Le chalet de demain, ouvert sur la nature. (Architectes: Geneviève Bonnard et Denis Woeffray, lauréats de la Distinction romande d’architecture 2028).

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La vogue des chalets d’architecte

Le mythe du chalet suisse remis en question

15 Juin 2022 | Articles de Une

Tentés par la modernité, ils sont toujours plus nombreux, les citadins qui veulent vivre l’expérience du chalet de montagne, mais avec le confort de leurs appartements urbains. Les tenants de l’ancien monde s’arrachent, eux, les rares chalets de type «Heidi» encore disponibles sur le marché.

La maison de béton pur à Naters vient de déchaîner les foules et les foudres sur les réseaux sociaux, et ses mayens revisités d’Anakolodge à La Forclaz attirent les journalistes du monde entier. L’architecte Olivier Cheseaux (du bureau Cheseaux et Rey) n’a plus rien à prouver et c’est sans langue de bois qu’il évoque pour vous le succès du mythique chalet suisse: «Il y a aujourd’hui deux catégories d’acheteurs ou d’investisseurs. Les gens qui rachètent un objet tel quel, toujours aussi nombreux. Et ceux qui rêvent d’un logement atypique, doux mélange entre patrimoine et modernité, et qui sont en augmentation».
Et Cheseaux de préciser sa pensée: «La limitation désormais effective des résidences secondaires avec la Lex Weber entraîne une ruée sur les objets de cette catégorie qui finissent en vente. Mais on constate aussi, notamment dans les villages, que beaucoup de gens investissent dans des biens qu’ils souhaitent moderniser, tout en protégeant leur cachet. D’où le boom des chantiers de transformation, le genre de défi qui me plaît».

Trop de demandes

Olivier Cheseaux ne risque toutefois guère la surdose: il est obligé de choisir ses projets. «Je suis beaucoup trop sollicité. On m’approche plusieurs fois par semaine. Mais, pour prendre un exemple, à 600 ou 800 heures d’architecte pour développer un prototype dans un volume existant, comme je l’ai fait récemment à Evolène, c’est difficile de gagner sa vie. Alors je refuse beaucoup de mandats. Et de conclure: Que ce soit pour créer ou pour transformer, l’essentiel est d’être inventif en respectant certains aspects du patrimoine. La nouveauté fonctionne bien quand elle s’appuie sur la tradition».

A Nendaz, la Petite Maison signée Lionel Ballmer suscite beaucoup d’intérêt. Un concept 100% qui reprend des éléments du chalet traditionnel dans un habit de modernité.

Le chalet nouveau

Même discours, même constat, chez Savioz et Fabrizzi. «L’évolution de la loi et du marché font que nous avons peu de projets où il soit possible de partir de rien, explique Laurent Savioz. Mais le succès des transformations de granges et de raccards ne se dément pas. Oui, il est indéniable qu’il y a un désir de moderniser le modèle du chalet suisse et du chalet valaisan popularisé après l’Exposition Nationale et très marqué par le tourisme des Trente glorieuses».
Comment répondre concrètement à cette tendance? «On analyse le site, la fonction de l’objet à repenser, précise l’architecte. On se penche sur son histoire, sur la culture de la région. On décide ensuite des éléments qu’on peut mettre en valeur dans le projet et de ceux qu’on peut réinventer. S’il fallait définir le chalet nouveau dans nos villages, il aurait des extérieurs respectueux du patrimoine, avec en plus un vrai travail sur les ouvertures. En revanche, pour les intérieurs, la géométrie s’exprimerait de façon vraiment contemporaine».

La Petite Maison Ballmer

A Nendaz, La Petite Maison signée Lionel Ballmer suscite beaucoup d’intérêt. «On m’a déjà proposé plusieurs fois de faire la même ailleurs, sourit le jeune architecte. Ou alors la même en plus grand. Ça correspond, me semble-t-il, à un engouement des gens pour vivre plus proches de la nature». Et de fait, Lionel a conçu sa maison en fonction des arbres qui poussent sur la parcelle et ont déterminé sa volumétrie. Et avec du bois valaisan, interprété avec une grande modernité en lames verticales de mélèze. C’est dire si l’on sent l’âme de la forêt en ce logis.
«Je l’ai imaginé en tenant compte des contraintes, avec le cœur et l’envie de créer des atmosphères. Même à l’intérieur, tout de sapin valaisan. J’ai voulu cinq pièces sur cinq demi-niveaux, qui racontent cinq histoires différentes. L’ensemble est pensé écologique, naturel, et revient à l’essentiel. Parce que le chalet fait rêver tout le monde depuis des décennies. Or maintenant, de plus en plus de gens ont besoin de s’évader, à raison, de retrouver leur insouciance d’enfant, revivre leurs souvenirs de vacances au mayen, l’esprit de Noël distillé dans les films Netflix ou que sais-je? Il faut intégrer tout cela à l’architecture et bâtir concrètement du plaisir». On ajoutera que ce tableau «Treize Etoiles» se teinte de jolies références nordiques et japonaises.
Evoquant le profil des acheteurs actuel, Lionel Ballmer apporte une précision des plus intéressantes: «Les amateurs qui participent à cette évolution de l’architecture n’achètent pas pour la vie. Ils sont très mobiles, vivent en mode carpe diem et fonctionnent au coup de foudre, à l’intensité».

Dans le village d’Evolène, transformation d’une maison mitoyenne par l’architecte Olivier Cheseaux (du bureau Cheseaux et Rey). Intérieur ultra-moderne et ouverture qui respecte la façade extérieure, c’est la botte magique de l’architecte.

Se jouer des règlements

Pour les Montheysans Geneviève Bonnard et Denis Woeffray, pionniers du genre et lauréats de la Distinction romande d’architecture 2028, l’approche du chalet nouveau est encore plus radicale. «Primo, il est important de partir d’une feuille blanche, insiste Denis. Comprendre comment vit le client. Quels sont ses désirs, les différentes ambiances qu’il préfère. Secundo, on doit étudier la géographie de la parcelle, son orientation, les lumières, l’environnement du futur chalet. L’architecture, les lignes, les volumes se dessinent seulement ensuite et – c’est là qu’une bonne partie du projet se décide – lorsqu’ils doivent essayer de se jouer des règlements locaux».
Pour Denis Woeffray, à l’exception des Grisons («Les tours et les toits plats de Davos sont plus en adéquation avec le décor alpin que les jumbo-chalets Heidi qu’on voit pousser dans le reste des stations suisses»), la plupart des communes suisses de la zone touristique, entre 1200 et 2000 mètres, manquent en effet de courage et de culture architecturale: «En Valais, la modernité de l’architecture n’existe qu’à la marge. L’interprétation esthétique existe peu dans les dossiers normaux. Il nous reste les constructions hors zone à bâtir ou les cabanes à plus de 2000 mètres pour l’expérimenter. C’est, hélas! trop peu pour changer le regard du citoyen et de la société. Il faudrait beaucoup, beaucoup plus d’objets modernes pour changer la norme du fameux chalet suisse».

Jean-François Fournier