Rendement immobiliers «prime» et rendement des obligations à 10 ans en Suisse.

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Une analyse de CBRE/Suisse

Le marché immobilier en Suisse cherche un nouvel équilibre

9 Nov 2022 | Articles de Une

Comme attendu, la Banque Nationale Suisse a rehaussé ses taux directeurs (+75 points de base) fin septembre, initiative d’une même ampleur que les hausses opérées par la Banque centrale américaine et la Banque centrale européenne, dans le but d’endiguer une inflation croissante. Ce renforcement des politiques monétaires restrictives initié en juin, conduisant à un retour des taux en territoire positif, pourrait amener les investisseurs institutionnels à poursuivre un rééquilibrage de leurs portefeuilles et à réévaluer leur attrait pour l’immobilier de rendement.

Certes en comparaison internationale, la Suisse semble mieux armée pour résister aux turbulences actuelles. Néanmoins, le marché immobilier helvétique est réellement en train d’embarquer dans un nouveau cycle, dans lequel vendeurs et acheteurs entrent dans une phase de redécouverte des prix.

L’immobilier suisse fait figure d’exception en Europe et dans
le monde

En examinant cinq facteurs potentiels d’instabilité influant sur l’immobilier, le constat pour la Suisse est qu’elle bénéficie d’une plus grande capacité de résilience que les principaux marchés étrangers. Premièrement, l’inflation et son ampleur. Si la Suisse a connu une forte poussée de l’inflation (+3,5% en août sur douze mois), celle-ci est sans commune mesure avec les taux d’inflation galopants en Europe (+9,1%) et aux Etats-Unis (8,3%). Ce renchérissement plus modéré en Suisse devrait plus facilement permettre à l’immobilier de jouer son rôle de protection contre l’inflation, au moins partiellement.
Deuxièmement, la hausse des taux directeurs impacte quasi mécaniquement les taux de rendement des obligations d’Etat à dix ans, généralement considérés comme le «taux sans risque» par rapport aux taux de rendement de l’immobilier. Et bien que la Suisse ait vu ses taux de rendement obligataires très nettement augmenter depuis un an (env. +150 points de base), cette progression reste contenue par rapport à celles que connaissent la France, l’Allemagne ou les Etats-Unis (env. +220 à +250 points de base). Par conséquent, la prime de risque de l’immobilier en Suisse – et donc son attraction relative – serait moins affectée par le relèvement des taux obligataires.
La remontée des taux touche également les coûts de financement et ce faisant, les taux d’endettement. Là encore, le marché suisse se montre moins vulnérable au choc haussier des taux directeurs, dans la mesure où les niveaux d’endettement y sont généralement faibles. En effet, les opérations d’acquisition par les investisseurs institutionnels réalisées à 100% en fonds propres – donc sans avoir recours à de la dette – sont bien plus fréquentes en Suisse qu’ailleurs en Europe. De plus, les ratios d’endettement des fonds immobiliers cotés suisses sont d’environ 20% en moyenne, contre 36% en Europe. Enfin, la remontée moins rapide en Suisse des taux swap à cinq ans indique que les coûts de refinancement y augmentent moins vite qu’en Europe.
Quatrièmement, l’exposition du marché immobilier suisse aux capitaux étrangers (env. 10% à 15%) est nettement plus faible qu’en Europe (env. 40%) et uniquement portée sur l’immobilier commercial en vertu de la LFAIE, alors que c’est le secteur résidentiel qui domine le marché de l’investissement immobilier dans la Confédération. Son caractère domestique permet ainsi de limiter les fluctuations en période de crise lorsque les investisseurs étrangers se retirent. Par ailleurs, compte tenu du renchérissement du franc suisse par rapport à l’euro ces derniers mois et d’un repricing en cours sur certains marchés européens, l’arrivée de capitaux étrangers – majoritairement européens – dans l’immobilier suisse est appelée à ralentir.
Enfin, il convient de rappeler que les fondamentaux du marché immobilier suisse se révèlent être plus favorables qu’en Europe. Par exemple pour le marché résidentiel, la Suisse affiche le taux de vacance le plus bas d’Europe et le taux de locataires le plus élevé, ce qui, couplé à une demande soutenue, justifie le statut de valeur refuge du secteur. En outre, le marché des bureaux, bien que sujet à une plus grande aversion au risque, affiche en Suisse une plus grande stabilité dans un contexte post-Covid-19, lui permettant de conserver un taux de vacance parmi les plus bas d’Europe.

Evolution des taux de rendement «prime» en Europe (juin-septembre 2022).

Vers la fin de l’abondance
des capitaux à investir
dans l’immobilier

En dépit de cette mise en perspective de la résilience suisse, des signes manifestes montrent que le marché helvétique s’engage progressivement dans un nouveau cycle, dans lequel les allocations de capitaux pour de l’immobilier de rendement se réadaptent au changement de régime de l’économie et des politiques monétaires.
Premier signe: le ralentissement des nouvelles levées de fonds. Malgré le maintien d’un bon dynamisme prévu pour ces prochains mois, plusieurs d’entre elles ont été annulées, reportées ou revues à la baisse. Plus encore, ces capitaux sont parfois réorientés vers la rénovation des immeubles en portefeuille, ainsi qu’à l’amélioration des taux d’endettement des fonds immobiliers en question.
Ensuite, les fonds et sociétés immobilières cotés ont vu depuis le mois de juin leurs niveaux d’agios fondre – voire passer en disagio – traduisant ainsi un rééquilibrage de l’immobilier indirect dans les portefeuilles des investisseurs institutionnels. Autrement dit, la baisse des valorisations des actions et obligations induite directement par la hausse des taux directeurs a conduit les investisseurs à agir pour limiter un risque de surexposition à l’immobilier. Or, si la vente de parts d’immobilier indirect a permis un rééquilibrage rapide grâce à sa forte liquidité, l’immobilier direct pourrait à plus long terme devenir une nouvelle variable d’ajustement dans les stratégies d’allocation des institutionnels, ce qui dans ce contexte limiterait également le volume de capitaux à investir dans la pierre.
A ce titre, nous constatons une réduction effective de l’appétit des investisseurs, parallèlement à l’adoption d’une attitude défensive depuis cet été. Pour preuve, le nombre d’offres indicatives reçues en moyenne pour chaque processus de vente par CBRE en Suisse a sensiblement diminué au cours du 2e trimestre 2022, reflétant un certain attentisme des acteurs institutionnels. En conséquence, le rapport déséquilibré entre acheteurs et vendeurs (au profit des seconds) qui prédominait sur le marché depuis des années est aujourd’hui en cours de réajustement.

La nouvelle donne: perspectives haussières sur les taux de
rendement de l’immobilier

Au regard de ce changement de cycle en cours, une crise de l’immobilier de rendement en Suisse est-elle à prévoir? A ce stade, il serait plus prudent de parler d’une phase de normalisation, faisant suite à une période exceptionnelle – ou même «d’exubérance irrationnelle des marchés» pour reprendre la formule d’Alan Greenspan – qui reposait en grande partie sur un environnement de taux négatifs favorable au déploiement massif de capitaux en faveur de l’immobilier.
Par exemple dans le canton de Genève, les volumes investis dans l’immobilier de rendement (commercial et résidentiel, hors villas et PPE) avaient suivi une tendance haussière depuis 2012 jusqu’en 2020 et 2021, quand des niveaux records furent atteints, alors que les taux de rendement ne cessaient de se comprimer au cours de la période. Toutefois, avec la remontée des taux directeurs et obligataires en Suisse suite à cette dernière annonce de la BNS, la prime de risque de l’immobilier s’est rapidement érodée.
Dans ce contexte, il demeure difficile d’observer statistiquement si une réévaluation des taux de rendement de l’immobilier en Suisse est en cours, compte tenu du manque de transparence du marché, et dans l’attente des évaluations en fin d’année. Pourtant, sans perspective de forte croissance des loyers et dans un contexte de besoins croissants de remise aux normes des bâtiments selon les critères ESG, la pression pour une détente des taux de rendement de l’immobilier demeure forte. Finalement, une légère décompression des taux de rendement immobiliers nous ramènerait «seulement» à des niveaux pré-Covid en s’inscrivant dans un processus de normalisation, qui est bel et bien effectif et observé chez la plupart de nos voisins européens.
Cette nouvelle donne du marché laisse présager le besoin d’une plus grande sélectivité chez les institutionnels, tout en ouvrant de nouvelles opportunités pour les acteurs plus locaux.

 

Julien Scarpa
David Schoch
CBRE suisse