Les collectivités publiques ont-elles pour vocation de bâtir du logement ou bien de permettre qu’il s’en bâtisse?

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logement - Le droit de préemption crée-t-il du logement?

Le débat est rouvert à Genève et dans le canton de Vaud

7 Déc 2022 | Articles de Une

Les collectivités publiques ont-elles pour vocation de bâtir du logement, ou bien de permettre qu’il s’en bâtisse? Cette question traverse le débat quant au droit de préemption aux fins de réalisation de logements d’utilité publique, inscrit dans les législations vaudoise et genevoise. Dans le contexte de rareté des terrains dans ces cantons, la préemption par la ville de Prilly/VD d’une parcelle de 20 000 m2 est contestée devant le Conseil d’Etat et les tribunaux. A Genève, un projet de loi a été déposé au Grand Conseil pour préciser les conditions de préemption par les collectivités publiques.

Le Conseil municipal (Législatif) de la Ville de Genève a créé la surprise tard dans la soirée du mardi 29 novembre en revenant à une voix près sur un vote précédent, pour refuser en troisième débat de préempter une parcelle de 1500 m2 au Petit-Saconnex. Lors des échanges dans le plénum, Alia Chaker Mangeat, élue du Centre, a relevé «l’importance de respecter la parole donnée en 2018 lorsque la Ville a notifié au vendeur sa décision de ne pas préempter». Dans un communiqué, son parti voit dans la tentative de préemption «un message déplorable aux partenaires immobiliers, alors que développer un partenariat de confiance avec eux (…) devrait être une priorité de la Ville».
Cette commune, à majorité de gauche, n’avait pas habitué les Genevois à de tels refus. En juin 2021, son Parlement motivait son souhait de préempter une autre parcelle du Petit-Saconnex par l’importance de préserver ses arbres et l’intérêt pour la Ville de gérer la villa qui s’y trouvait. Rien quant à la réalisation de logements d’utilité publique (LUP) dans un délai raisonnable. «Cette exigence est pourtant essentielle à l’exercice du droit de préemption», écrit le député du Centre Sébastien Desfayes, dans l’exposé des motifs d’un projet de loi qu’il a contribué à déposer, en suspens devant la Commission du logement du Grand Conseil.

«Un dévoiement»

A Genève toujours, le Conseil municipal de Lancy a invité l’Exécutif à mener une politique plus active quant à la réalisation de LUP, quitte à préempter. Ce vote est intervenu après que cette commune avait décidé en septembre 2021 de préempter une parcelle, alors qu’elle menait des discussions depuis de nombreuses années avec l’acquéreur privé, sans jamais manifester d’intérêt à réaliser elle-même des logements. A Onex, le municipal a demandé que le droit de préemption soit exercé de manière systématique, faute de quoi l’Exécutif devrait se justifier de ne pas en avoir usé.
«Nous assistons à un dévoiement du droit de préemption», observe Christophe Aumeunier, secrétaire général de la Chambre genevoise immobilière. «A aucun moment, en Suisse, il n’a été imaginé qu’une collectivité publique achète du terrain pour autre chose que bâtir des écoles, des hôpitaux ou des prisons». Quant à l’argument qui veut que la préemption par l’Etat ou une commune permette de construire à moindre coût, «il tombe à faux, car l’Office cantonal du logement doit valider les prix de construction, location et revente en zone de développement», la seule concernée par les LUP.

Prilly: trois recours contre un vote

A Prilly, les élus PLR, UDC, Vert’libéraux et du Centre ont attaqué devant le Conseil d’Etat la préemption en septembre dernier par le Conseil communal (Législatif) d’un terrain de 20 000 m2 pour le revendre à la Société coopérative d’habitation de Lausanne (SCHL). Ils estiment que l’Exécutif a enfreint la Loi sur la préservation et la promotion du parc locatif (LPPPL), qui n’autorise pas les communes à céder leur droit de préemption sans adjudication publique. En outre, le droit à l’information des conseillers communaux aurait été bafoué par le refus de la Municipalité de leur transmettre un avis juridique.
Deux recours ont également été déposés à la Cour vaudoise de droit administratif public contre la décision pulliérane, l’un par l’acheteur écarté par la commune, l’autre par le vendeur du terrain. A noter que le transfert par une commune à la SCHL d’un terrain préempté n’est pas une première dans ce canton, où la décision de la Cour administrative aura valeur de jurisprudence.
Avec la LPPPL, les communes peuvent depuis 2018 préempter des biens, pour autant que le taux de logements vacants à l’échelle du district soit inférieur à 1,50%, selon une liste publiée annuellement par le canton. La finalité de la préemption doit être la réalisation de LUP, tels que définis par l’article 27 de la loi: logements pour personnes âgées ou étudiants ou logements bénéficiant d’une aide à la pierre notamment. Plusieurs communes du pourtour lémanique, où la pression démographique est forte et les prix élevés, en ont fait usage: outre Prilly, Lausanne, Renens ou Vevey sont dans ce cas.

Des instruments plus efficaces

Frédéric Dovat, secrétaire général de l’Union suisse des professionnels de l’immobilier Vaud (USPI Vaud), rappelle que le référendum que l’USPI Vaud avait lancé avec la Chambre vaudoise immobilière contre la LPPPL avait été rejeté en votation par 55% des Vaudois. Reste que pour lui, le cas de Prilly illustre les dérives de ce texte. «Il y a cession du droit de préemption à un tiers, ce que la loi ne permet pas», note-t-il. Il cite également le cas de Lausanne où les immeubles acquis par la Ville sont confiés en droit de superficie à des coopératives d’habitation qui acquittent une redevance annuelle à la commune: «C’est une opération purement financière, autre illustration du dévoiement de la préemption». De surcroît, ces opérations n’aboutissent pas à la création de nouveaux logements.
«La LPPPL contient des instruments plus rapides, plus efficaces et n’attentant pas ou moins au droit de propriété pour créer des logements répondant aux besoins de la population», souligne M. Dovat. Il mentionne notamment les bonus de construction, la fixation de quotas. En outre, les partenariats public-privé sont à privilégier, car ils aboutissent rapidement à la construction de logements et sont sans risque financier pour la collectivité publique.

Des quotas plutôt que la
préemption

Retour à Genève où la proposition de Sébastien Desfayes, cosignée par des députés PLR, du Centre, MCG et UDC, modifie la Loi générale sur le logement et la protection des locataires (LGL) en précisant les conditions de préemption par les collectivités publiques. Pour les signataires du projet, la modification par le Grand Conseil de la Loi générale sur les zones de développement (LGZD) en 2020, pour y inclure l’exigence d’un tiers de LUP, a changé le paradigme quant au droit de préemption. Le but visé par ce droit, à
savoir la réalisation de LUP, est désormais poursuivi par le biais des quotas impératifs.
Selon cette proposition, pour qu’une collectivité publique puisse préempter, il faudrait désormais qu’il y ait à la fois un Plan localisé de quartier en force sur la parcelle concernée, un projet disposant d’un crédit en force pour la construction dans un délai raisonnable des 33% de LUP prévus par la LGZD et l’absence d’engagement écrit de l’acquéreur privé de la parcelle visée de réaliser la part de LUP prévue par la loi.

 

Cesare Accardi

Christophe Aumeunier.
Sébastien Desfayes.
Frédéric Dovat.

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