Anne-Sophie Dunand-Blaesi, dynamique patronne d’Aprotec SA.

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Entreprises familiales - Transmission - Aprotec SA, pionnière des installations de secours et sécurité

Le coup de jeune d’une Carougeoise méconnue

1 Mar 2023 | Articles de Une

Les signaux lumineux indiquant les sorties de secours appartiennent à notre quotidien, mais nous n’y prêtons pas attention. Ces «drapeaux», selon leur dénomination technique, sont la pointe de l’iceberg de la sécurité dans les bâtiments modernes. La société familiale genevoise Aprotec SA est souvent identifiée à son produit-phare: les éclairages de secours qui équipent tout type de lieux publics ou privés. Anne-Sophie Dunand-Blaesi, petite-fille du fondateur, la voit pourtant en société de services offrant non seulement un produit fabriqué in-house dans ses ateliers carougeois, mais également des solutions et concept de sécurité sur mesure, ainsi que des prestations de maintenance.

Il faut parfois une catastrophe pour que les mentalités évoluent. La perte du Titanic a ouvert une nouvelle ère dans les dispositifs de sauvetage maritimes. L’incendie du «5-7», un dancing de Saint-Laurent-du-Pont, en Isère, en octobre 1970, a été le déclencheur de la création à Genève de l’Inspection cantonale du feu et du développement de normes de sécurité pour les constructions. Eugène Blaesi, qui avait créé Aprotec SA en 1958, a compris qu’un nouveau marché s’ouvrait.
Un demi-siècle plus tard, sa petite-fille, Anne-Sophie Dunand-Blaesi, dirige l’entreprise dont le nom est désormais synonyme d’éclairage de secours et d’armoires d’énergie pour éclairages de sécurité. Ses produits labellisés Swiss Made équipent notamment l’ONU, Patek Philippe, Rolex, la patinoire des Vernets, l’EPFL, l’hôpital de Sierre, la Maison de la radio à Lausanne et de nombreux immeubles d’habitation.

Une société de services

Au fil de ses 65 ans d’existence, Aprotec, tout en restant fidèle à l’intuition de son fondateur, a su s’adapter tel un caméléon aux besoins sociaux changeants. Le développement de l’informatique a amené Michel Blaesi, le père d’Anne-Sophie, à commercialiser des onduleurs, avant de revendre ce département. Il en est allé de même avec les défibrillateurs. A ce jour, Aprotec est également spécialisée dans la sonorisation d’évacuation, la lustrerie, ainsi que l’équipement des véhicules prioritaires.
Bien qu’Aprotec ait une histoire industrielle derrière elle et qu’elle ait été la première en Europe à produire des éclairages de secours à tubes fluorescents, plus visibles à travers la fumée que les ampoules ordinaires, ainsi que des centrales de gestion pour ces éclairages, Anne-Sophie Dunand-Blaesi la considère comme une société de services. «Notre implication dans la sécurité d’un nouvel édifice commence dans notre bureau d’étude, au stade des plans, pour définir les concepts de sécurité personnalisés, puis fabriquer les produits sur mesure et les maintenir», relève-t-elle. L’aspect technique est primordial, tout comme l’aspect humain, qui occupe une place centrale dans sa vision entrepreneuriale.
Depuis toujours engagée dans une économie durable, Aprotec travaille avec des fournisseurs locaux dans un esprit d’économie circulaire. Lorsqu’elle a repris la direction générale en 2018, la jeune manager a fait effectuer un audit centré sur la responsabilité sociale et environnementale (RSE) de l’entreprise, afin de mesurer le chemin qu’il restait à parcourir et les futurs challenges. Elle a choisi d’impliquer le personnel dans la définition du chemin, du rythme et des étapes à parcourir vers les buts sociaux et environnementaux, en créant un comité, la green team, réunissant 15 des 75 membres du personnel et lui donnant le statut d’un département au sein de l’entreprise.

La gestion de l’imprévu comme quotidien

Aprotec est désormais certifiée par B Lab suisse via le Swiss Triple Impact (STI) et une démarche de certification internationale B Corp est en cours. Cette abréviation de «Benefit Corporation» distingue les sociétés ayant des effets bénéfiques sur leur environnement, tout en étant rentables.
Avant d’intégrer Aprotec, Anne-Sophie Dunand-Blaesi organisait des événements pour le Groupe de luxe Richemont, puis pour Clarins. «Dans l’évènementiel, j’ai appris la gestion de l’imprévu, ainsi que des relations humaines qui sont le quotidien des chefs d’entreprise», observe-t-elle. Son passé sportif (elle a fait de la compétition de tennis et de ski), un passé partagé par tous les membres de la famille à toutes les générations, lui a appris à faire face aux succès comme aux échecs, à s’entourer d’une excellente équipe et à rester positive en toute circonstance.
Pour autant, l’aspect commercial et R&D n’est pas absent de sa réflexion. Elle annonce un nouveau produit innovant développé en interne, à Carouge, sans vouloir en dire plus. Elle constate avec plaisir qu’Aprotec continue à gagner des parts de marché en Suisse romande, son territoire privilégié, bien qu’elle ait aussi une antenne au Tessin. Et quand on l’interroge sur ses concurrents, elle répond ne pas les connaître pour éviter d’en donner le nom!

 

Cesare Accardi

GROS PLAN

«Le fruit ne tombe jamais loin de l’arbre»

 

Titulaire d’un Bachelor en sciences économiques et d’un Master en management de l’Université Bocconi à Milan, Anne-Sophie Dunand-Blaesi ne s’était jamais imaginé travailler chez Aprotec, lorsqu’en 2014 son père lui demande si elle serait intéressée à l’y rejoindre. «En trois jours j’ai décidé d’accepter», raconte celle qui est l’aînée d’une fratrie de trois sœurs.
«Aprotec était bien sûr présente dans nos vies, raconte-t-elle: notre père portait des vêtements aux couleurs de la société et nous assistions aux fêtes d’entreprise. Nos parents, tous deux entrepreneurs, n’ont cependant jamais parlé de leurs activités en famille; ils faisaient de la place à leurs enfants.» Une attitude qu’elle a adoptée aujourd’hui au sein de son propre foyer, avec son mari, lui aussi chef d’entreprise.
A son arrivée dans la société, elle intègre directement le Comité de direction, ce qu’elle vit comme un challenge: «J’étais femme dans un monde d’hommes, fille du patron. Je n’étais ni ingénieure, ni technicienne. Pour me faire accepter et reconnaître, j’ai suivi un parcours découverte au sein de l’entreprise, à la rencontre des collaboratrices et collaborateurs, ainsi que de notre métier.»
«La Covid m’a aidé à asseoir et positionner mon management», constate-t-elle aujourd’hui. La pandémie a révélé les capacités de chacun à être ou non à la hauteur de son rôle et a donné l’opportunité à la dirigeante de renouveler le Comité de direction, ainsi que le Conseil d’administration. Ce dernier est aujourd’hui formé des trois sœurs et de leur père, une composition qui reflète la structure de l’actionnariat. La famille possède en effet 82% des parts de la société, 18% étant en mains d’anciens collaborateurs. Consciente du risque d’entre-soi, Anne-Sophie Dunand-Blaesi travaille à mettre sur pied un Advisory board.
Comment s’est passé la transition entre son père et elle? «Nous avons une totale transparence mutuelle et souvent une identité de vues.» Certes Michel Blaesi a renâclé lorsqu’elle a introduit les horaires flexibles au sein de l’entreprise. «Il est de la génération des chefs qui arrivent les premiers et partent les derniers, commente-t-elle, mais au fond le fruit ne tombe jamais loin de l’arbre.»