Hélas, le carbone est maître-chanteur!

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Le climat recto verso

8 Jan 2025 | Articles de Une

Dans ce journal – et encore plus dans cette rubrique – on défend souvent des opinions «contraires»: non par sport, mais pour voir si les opinions «normales» tiennent la route à deux. Un cas qu’on a traité plus d’une fois est celui de la finance «responsable», «durable», «à impact», bref, «éthique». Un forum – Building Bridges – se tient chaque année en notre ville pour faire de Genève La Mecque de cet avenir bancaire. On pourrait ironiser sur ce spectacle: des prophètes en bombance aux frais des banquiers en pénitence. Disons en tout cas que c’est «l’autre manière de voir».

Un on-ne-sait-quoi cloche dans la finance durable: à ce jour, elle n’aboutit pas avec le même succès que jadis les plans contre les «dix plaies d’Egypte» et ses filles: soif, faim, pluie, peste, misère et même pollution… sans parler de l’abolition de l’esclavage ou de la victoire des suffragettes.

Même sans toit la chaleur se serre

L’action «climatique» n’a pas attendu les militants pro-climat: il y a un siècle, Londres a dû être sauvée du «smog» – ce mélange de brouillard naturel et de fumée industrielle – et de nos jours partout dans le monde, les émissions des fabriques sont filtrées sous la loupe de la loi. Dans les transports, les moteurs «fossiles» – sur route, en l’air, sur mer – sont devenus de plus en plus «propres». Les systèmes de chauffage (ou de fraîcheur) des habitations ont connu la même évolution. Cela n’a pas suffi, toutefois, à laisser le climat tel qu’on l’a connu dans le passé. Des régions du monde risquent de devenir invivables, même si d’autres pourraient y gagner. Alors, où est le hic dans l’air, entre la chaleur, le carbone et la pollution?

L’enfer, c’est les autres

Il y a plus d’un hic, et le plus grave est celui de la démographie: avec dix fois plus d’humains qu’il y a deux siècles, le problème a-t-il une solution; et si oui, laquelle? La fission de l’atome fut jugée la plus propre puis la plus sale des énergies; on a eu le même imbroglio avec le diesel puis avec les batteries, le solaire et l’éolien ne tiennent pas toujours leurs promesses (et ont aussi leurs «effets pervers» sur le climat). Quant aux parades de technocrates – la fusion nucléaire ou le «geo-engineering» – elles font hurler les «verts». Qui se tournent vers la «finance» en clamant «il nous faut trois mille milliards de dollars par an pour rétablir l’Eden sur Terre». Discours cousu de fil blanc, car il veut dire en clair «Tout ce que le mouvement social a raté au siècle dernier – même quand il avait pris le pouvoir politique -, c’est désormais aux banquiers de le régler… à leurs frais».

L’heure des comptes est-elle
bonheur?

Pour masquer cet aveu peu flatteur pour la «société civile», on couvre le débat de rhétorique douteuse. Un des thèmes du dernier forum Building Bridges en décembre fut «le devoir fiduciaire»: en mettant l’argent des clients dans des fonds «durables», le banquier viole-t-il son devoir de faire fructifier ou, du moins, de préserver le pécule du client? La réponse était courue d’avance: cela fait des lustres que les «avocats» du climat clament que «oui, bien sûr, les fonds verts sont bons non juste pour l’air, mais aussi pour l’or» des comptes en banque. Cette fois, la preuve est cousue de fil vert: «Peut-on imaginer une table ronde à ce genre de congrès qui arrive à une autre conclusion?» Les panélistes admettaient que non. Et si fonds pour le climat durable et fonds à haut rapport sont une seule et même chose, qu’a-t-on besoin de deux concepts? Laissons la rapacité usuelle faire grand œuvre climatique, sous les vivats du public et des oiseaux… bref, des pigeons. En un sens, ces comptables ont raison, mais la raison du plus fort (en gueule): dans une ambiance d’inquisition, tout usage d’argent hors du vert est si mal vu qu’il en devient risqué, cqfd. Même un simple crédit le plus légal pour (par exemple) le métro d’un aéroport est de fait criminalisé.

Criminel ne veut pas dire suicidaire

Mais voyons les choses sous l’autre angle: qui, dans notre société industrielle «capitaliste», a intérêt au gaspillage énergétique et au cataclysme climatique? Pas même Shell; à la rigueur, les Services Industriels de Genève et le Royaume d’Arabie Séoudite. Le citoyen – dans sa baignoire ou dans sa voiture, n’a pas intérêt à alourdir la facture. L’industrie ne vendra pas ses voitures si les concurrents en produisent de moins voraces. L’immobilier ne gagne rien aux dépenses de chauffage des ménages. Même les pétroliers savent que leur filière est menacée et qu’ils ne peuvent survivre que dans la diversification, voire la reconversion. Bref, on fait donc à «la finance» et à «l’industrie» un mauvais procès.

L’Eldorado a changé de côté

On dira que le vrai scandale du climat est ailleurs: c’est le Nord riche qui pollue et le Sud pauvre qui déguste. A Building Bridges cette fois, on a mis au podium une «pasionaria» du Vanuatu qui veut imposer – par le Tribunal de La Haye – une «responsabilité» judiciaire forçant le pollueur à être payeur. Certes, la Chine (et d’autres «Sudistes») polluent à leur tour, mais on a alors droit à un cours d’histoire pour prouver qu’elle ne fait que rendre au Nord la monnaie de sa pièce. Mais revenons au Vanuatu et à sa politique – militante – du «gagner sur les deux tableaux». On a vu dans le cas de Mayotte que – de manière bien imparfaite mais pourtant sans objection – une «métropole» aide sa lointaine province insulaire en cas de malheur. Vanuatu a rejeté le condominium franco-britannique pour le charme de l’indépendance: on peut le comprendre, car la tutelle ne fut pas toujours juste. Mais si «indépendance» est une pièce d’or à une face pour Guillaume Tell ou pour l’Escalade, il est temps de voir aussi le côté «pile» sans quoi ici aussi le jeu est pipé. D’ailleurs, les Mers Chaudes ne tirent pas si mal leur épingle du jeu face au Nord qui pollue avec ses usines d’avions ou ses chantiers navals: l’avion, c’est le tourisme, le bateau, c’est la pêche, les îles, c’est le système
ad hoc… comme la vente de (faux) passeports; et même libre, Vanuatu est aidée par l’Australie.

Des mensonges qui arrangent

Ce texte n’est pas un plaidoyer pour le grand méchant banquier pollueur: il se borne à poser des questions d’enfant que les adultes de la Genève Internationale évitent soigneusement. Certes, «éthique», «durable», «responsable» sont des termes qui sonnent bien, mais personne n’a le monopole de l’«impact», dont on peine tant à mesurer à chaque fois s’il l’est en bien ou en mal. Comment distinguer le vrai du faux calcul quand on n’est pas au signe près? Il y a deux ans à Building Bridges, une séance spéciale fut tout entière dédiée à Fabienne Fischer, divinisée de pères pasteurs en fille plaideuse. Bertrand Piccard est lui aussi valeureux, mais tomba de même dans le miroir aux alouettes. L’iconique Grameen – plus sociale que climatique, certes – est aussi au cœur de toutes les ambiguïtés, même si Mohamad Yunus est sorti de prison au Pakistan pour devenir premier ministre au Bangladesh. Ce qui rappelle que, pour une partie de l’humanité, rien n’est plus éthique que la «finance islamique».

Décrocher la Lune… sans sa face sombre

Bref, à ne montrer jamais qu’un côté des choses, on a raison sans danger mais on prouve sans penser. Car là-dedans, il y a du «jeu de l’avion» qui s’ignore: la finance «durable» montre désormais des signes de fatigue, signalait le journal «Agefi», dans un numéro spécial pour Building Bridges. Alors pour retrouver la foi dans la lutte pour le climat, rien ne vaut la prose des sceptiques: dans son roman «Cabane», même Abel Quentin – d’ordinaire non conforme – croit à ce combat!

 

Boris Engelson