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Rénovation énergétique des logements

Le casse-tête des autorités françaises

10 Mai 2023 | Articles de Une

Chez nos voisins français, la rénovation énergétique des logements est une priorité nationale qui se traduit essentiellement par des objectifs chiffrés. L’analyse récemment publiée par l’Institut Paris Région est riche d’enseignements, notamment à propos de l’efficacité des subventions et de l’arbitrage entre patrimoine à préserver et panneaux solaires à installer (Réd.).

Le rythme de logements rénovés s’accélère, mais les travaux sont-ils en adéquation avec les objectifs? En effet, mal assumée, la double ambition de la rénovation énergétique, environnementale et sociale, peut se heurter à des contradictions entravant sa mise en œuvre. Aujourd’hui, définir des priorités et adopter une approche ciblée des ménages et des logements visés semble nécessaire.
La révision de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) à partir de 2018 a été l’occasion de constater que les émissions de gaz à effet de serre des bâtiments ne suivaient pas la trajectoire de baisse prévue. L’écart avec les budgets carbone définis pour ce secteur s’élève à 39 millions de tonnes équivalent CO2 (Mt CO2eq) sur la période 2015 à 2018. La SNBC attribue ces mauvais résultats «aux rénovations dont le rythme et l’ampleur sont insuffisants». En outre, en moyenne, seules 0,2 % des rénovations annuelles du bâti auraient été performantes entre 2012 et 2016, selon le Haut Conseil français pour le climat. Une rénovation est jugée «performante» si elle permet au logement d’atteindre le niveau de performance «Bâtiment basse consommation» (BBC), soit l’équivalent des étiquettes énergétiques A ou B. Afin de remettre le secteur résidentiel sur la trajectoire vers la neutralité carbone, la SNBC, adoptée en 2020, prévoit un rythme annuel de 370 000 rénovations équivalentes BBC en moyenne jusqu’en 2030, puis atteignant 700 000 rénovations.

Ciblage nécessaire

Ces objectifs sont formulés sans hiérarchisation des cibles concernant le profil des ménages et le type de bâti. Or, les ménages n’ont pas tous les mêmes capacités financières à engager des travaux, et certains ont basculé dans la précarité énergétique. Parallèlement, certains bâtiments présentent des facilités techniques pour leur rénovation, permettant d’appliquer des solutions similaires à un grand nombre d’immeubles, quand d’autres présentent des contraintes techniques et patrimoniales. La politique nationale de rénovation énergétique renvoie à deux objectifs principaux, l’un écologique, l’autre social. Vu sous l’angle de la décarbonation du parc immobilier, le cap à atteindre est clairement fixé: «aboutir au niveau assimilable aux normes BBC en moyenne sur la totalité de ce parc en 2050». Vu sous l’angle des enjeux sociaux, l’impact de mesures plus coercitives (à l’instar des interdictions de location des «passoires thermiques») sur le parcours résidentiel est difficile à évaluer. Elles portent le risque de soustraire du marché les rares logements que les ménages pauvres sont capables de payer et de créer un marché clandestin. Aujourd’hui, les acteurs de terrain témoignent de difficultés à concilier l’accompagnement des ménages vers des rénovations performantes et les objectifs nationaux visant une forte accélération du rythme des opérations. Face à ces constats, quelles sont les contradictions structurant les politiques de rénovation énergétique des logements, et comment les dépasser?

Ces dernières années, les priorités et les critères de l’aide financière à la rénovation des logements ont considérablement évolué.

Evaluer l’impact des mesures

Pour accélérer la rénovation du bâti, la puissance publique mobilise deux leviers. Le premier est réglementaire et le second incitatif, via un arsenal de dispositifs d’accompagnement et de financement. Ces dernières années, les priorités et les critères de l’aide financière à la rénovation des logements ont considérablement évolué. Au fil des amendements, les intitulés et les conditions d’éligibilité des aides ont été modifiés. La Cour des comptes évoque ainsi des «réformes fréquentes qui ont nui à leur lisibilité». Difficile pour les ménages et, parfois, pour les acteurs de la rénovation eux-mêmes, d’identifier l’ensemble des aides auxquelles un foyer a accès. L’instabilité des aides et des règles de cumul entrave aussi le déploiement des dispositifs.
Adoptée en 2021, la loi Climat et résilience marque une nouvelle étape dans la stratégie de rénovation. Elle impose des mesures coercitives aux propriétaires de logements à faible performance énergétique (étiquettes énergétiques E, F ou G). En effet, depuis août 2022, les propriétaires bailleurs de ces logements très énergivores n’ont plus le droit d’augmenter leur loyer et seront progressivement concernés par des interdictions de location. À défaut d’une obligation explicite de rénovation énergétique, ces interdictions visent à inciter les propriétaires bailleurs à investir dans la rénovation de leur bien. Cependant, ces nouvelles mesures ne semblent pas encore engendrer la dynamique espérée. L’annonce de l’ouverture des aides à toutes catégories de revenus et la campagne de communication associée ont déclenché un engouement sans précédent autour du système «MaPrimeRénov’». En effet, le nombre de demandes de subvention a plus que triplé entre 2020 et 2021. Malgré cet effet de massification, très peu de propriétaires se lancent dans des rénovations globales. De plus, la faible circulation des données sur les travaux réalisés et les résultats obtenus rend laborieuse toute évaluation, que ce soit à l’échelle régionale ou nationale. Par conséquent, l’appréciation de la politique d’aides se fonde bien plus sur les moyens déployés que sur les résultats.

Le problème social

Les objectifs en matière de rénovation énergétique renvoient d’une part à la SNBC, et d’autre part à des enjeux sociaux, de lutte contre la précarité énergétique. Si les objectifs de décarbonation du parc résidentiel sont définis à long et moyen termes, les situations d’extrême fragilité dues au coût de l’énergie, l’absence de chauffage dans certains logements et les conséquences du froid sur la santé des occupants nécessitent des réponses rapides. La précarité énergétique désigne la situation d’une personne éprouvant «dans son logement des difficultés particulières à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire pour satisfaire à ses besoins élémentaires». Ces ménages représentent 10,5% des Français, qui cumulent un état de pauvreté et des frais importants engendrés par un logement peu performant. L’enjeu ne concerne pas uniquement ces populations. Au cours de l’hiver 2020, 60% des Français déclarent avoir restreint le chauffage pour alléger leur facture et 20% déclarent avoir souffert du froid. Phénomène plus récent, 59% des Français ont souffert d’un excès de chaleur dans leur logement durant l’été 2021.
Destinée aux plus modestes, «MaPrimeRénov’ Sérénité» encourage l’adoption d’une démarche complète et la réalisation de travaux d’envergure. Le dispositif finance en effet des bouquets de travaux permettant un gain énergétique de 35%. Mais l’absence de reste à charge pour les ménages est conditionnée par le cumul des aides. Par ailleurs, celles-ci étant versées à l’issue des travaux, les ménages doivent obtenir un préfinancement bancaire. Or, les publics visés – ménages peu solvables et personnes âgées – n’ont pas facilement accès au crédit. Si l’éco-prêt à taux zéro pour financer des travaux de rénovation énergétique existe, il n’est pas accordé par tous les établissements bancaires. Autant d’obstacles qui freinent la rénovation performante pour les ménages à faibles revenus.

Pour les ménages très modestes, le reste à charge est toujours trop élevé pour mener un projet global et performant.

Limites de la méthode

Les acteurs de terrain observent que le seuil de gain énergétique minimal imposé par certaines aides se transforme de facto en plafond. En effet, les propriétaires chercheront rarement à pousser les travaux plus loin que le gain nécessaire pour débloquer les aides. De plus, le gain énergétique visé est décorrélé de la performance initiale du bâtiment et, à l’achèvement des travaux, un nouveau diagnostic de performance est rarement réalisé, ce qui complique le suivi de l’évolution de la performance du parc. Actuellement, l’appel à la massification de la rénovation ne prend pas en considération la disparité des marges d’action, qui dépendent des caractéristiques architecturales des bâtiments. Nombre d’acteurs de l’accompagnement en Île-de-France jugent que certains logements ne peuvent pas atteindre le niveau BBC, notamment pour des raisons patrimoniales (interdiction d’isolation par l’extérieur pour des bâtiments situés dans des périmètres protégés, par exemple). Cela implique soit de revoir les normes de protection patrimoniale, afin de faciliter la rénovation performante, soit d’accepter que la rénovation performante ne soit pas possible (techniquement et/ou financièrement) sur une partie du parc. Par conséquent, il serait pertinent de réfléchir aux leviers alternatifs mobilisables, afin d’atteindre, sur ces bâtiments, les objectifs environnementaux et sociaux. Une solution possible serait de s’appuyer sur le développement de réseaux de chaleur alimentés en énergie de récupération, pour diminuer la vulnérabilité des ménages aux augmentations des prix du gaz et du fioul, et décarboner l’énergie de chauffage.
Pour les ménages très modestes, alors qu’ils bénéficient d’un taux de financement plus important que les ménages plus aisés, le reste à charge est toujours trop élevé pour mener un projet global et performant, si la collectivité ne propose pas des aides et un accompagnement supplémentaires. Les ménages intermédiaires et aisés, attirés par la communication sur l’ouverture de «MaPrimeRénov’» à toutes les catégories de revenus, peuvent être négativement surpris par le faible montant auquel ils ont réellement droit. Enfin, si la demande de rénovation énergétique augmente avec les subventions, l’offre n’est actuellement pas en capacité de suivre cette évolution. En effet, la disponibilité de main-d’œuvre qualifiée représente un frein majeur. Par conséquent, il s’agit de structurer une filière aujourd’hui insuffisante au regard des objectifs et de faire monter en compétences l’ensemble des acteurs du secteur du bâtiment autour du fil rouge de la performance énergétique.

 

Franziska Barnhusen ET Lucile Mettetal
Institut Paris Région