Dès qu’un mayen est sur le marché, il part à vitesse grand V!

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En Valais

Le boom complexe des mayens, granges et mazots

24 Nov 2021 | Articles de Une

Dans un Valais où le bâti ancien s’arrache comme des petits pains, les agents immobiliers traquent les objets à restaurer en résidences secondaires, pour une clientèle bien plus nombreuse que les biens à disposition.

«Quand on trouve des mayens, des mazots, des étables, des granges ou des refuges à vendre, on a immédiatement des clients intéressés, mais les pratiques de l’Etat du Valais et de la Confédération transforment ce marché en un véritable parcours du combattant». Pour Daniel Agten, de Agten Immobilien, à Naters dans le Haut-Valais, le doute n’est pas permis: boom il y a s’agissant du bâti ancien valaisan, mais il est loin, très loin du bon plan à portée de toutes les bourses.
«Hélas! déplore notre interlocuteur, les autorités valaisannes s’assurent que l’on respecte à la lettre l’esthétique extérieure des constructions, et cela représente des discussions interminables, des allers et retours de plans qui peuvent aller jusqu’à cinq ans. Au final, cela se traduit par des sommes importantes pour l’acheteur, pouvant même aller jusqu’à 300   000 ou 400 000 francs, soit l’équivalent d’un petit appartement en station. Cela dit, si j’en avais un par semaine à vendre, il s’arracherait comme des petits pains».
Pour Grégoire Schmidt, agent à Martigny, même constat: «Cela fait vingt ans que j’achète, vends ou rénove des mayens, que ce soit pour des clients, des amis ou pour moi, alors oui, la demande est très importante, mais tout le monde n’est pas capable de se projeter dans un objet qui doit passer par la Commission de construction de l’Etat, par la décision du Canton, ou même parfois par un recours au Tribunal fédéral. Il faut une âme de pionnier pour achever une telle course d’obstacles en vainqueur».

Un joli marché de niche

Pour Grégoire Schmidt, il y a trois typologies de clients intéressés par ces objets tant désirés: le pur rêveur prêt à tout; le père de famille qui veut revivre ses souvenirs d’enfance chez le grand-père; et, je cite, «l’écolo qui ne veut pas d’un chalet à Verbier, mais souhaite une résidence sobre, historique et presque coupée du monde». Au sus, poursuit notre ami, il y a autant d’écueils, voire davantage: «On a de vraies difficultés pour rénover certains objets, je pense ainsi aux problèmes d’accès directs en voiture ou aux raccordements à l’eau ou à l’électricité; il y a enfin les problèmes de succession, puisque si aux Grisons le bien revient généralement à l’aîné, en Valais, il faut parfois négocier avec plusieurs ayants-droit à l’héritage, ce qui fait monter les prix de l’objet à vendre à des sommes souvent totalement déraisonnables». Moralité pour l’agent martignerain: «Le boom c’est une chose, mais cela reste d’abord un joli marché de niche»,
Une évidence que souligne Pascal Sarrasin, agent immobilier à Conthey: «Oui, niche il y a pour les mayens, les mazots et les granges à rénover! Mais dès que nous avons un objet de ce type, il part à vitesse grand «V». Depuis la crise de la Covid, c’est fou: ça se vend encore plus vite qu’avant. J’ai même des clients en portefeuille qui me relancent régulièrement et sont prêts à investir gros en moins de vingt-quatre heures». Un bémol toutefois, et pas des moindres, le prix: «Ce sont des reconstructions bien plus chères que le neuf! Il faut en effet le plus souvent tout démonter, numéroter les pièces et rebâtir ensuite. Investir dans un tel projet, c’est une aventure pas gagnée d’avance».
«Tout est là, déplore Daniel Atgen. Dans la différence entre le potentiel, certes bien réel, et avec la réalité législative qui place l’Etat systématiquement en opposition avec les milieux qui veulent sauvegarder notre patrimoine». Car au-delà de la volonté de sacrifier à un juteux business, il existe bel et bien un élan pour sauvegarder ce patrimoine valaisan en passe de disparaître. «Nous ne faisons pas uniquement de l’argent, témoigne Grégoire Schmidt. La plupart des collègues du canton ont vraiment en tête de respecter le patrimoine ancien. Cela étant, il est indispensable que l’Etat desserre son emprise sur ces futures résidences secondaires, car c’est aussi dans son intérêt de relancer l’immobilier dans nos vallées».

Sauvegarder les techniques
d’autrefois

Professionnelle de l’immobilier et citoyenne engagé dans la sauvegarde du patrimoine de Nendaz, sa commune, Dominique Bourban a vécu elle-même le chemin de croix des acquéreurs de mazots et autres granges: «Cela m’a pris des années pour restaurer mon mayen, et je trouve dommage que nos autorités cantonales et fédérales ne soient pas un peu plus flexibles s’agissant du nombre de fenêtres autorisées ou de telle ou telle façade en ruine à sauvegarder à tout prix. Mais de plus en plus de communes, à l’instar de Nendaz, s’intéressent à la préservation de cette architecture d’autrefois».
Grégoire Schmidt acquiesce: «L’essentiel n’est-il pas de soigner et de préserver notre patrimoine? On sait vraiment reconstruire à l’ancienne – mais il faut entretenir ces techniques – alors entre laisser à vau-l’eau des bâtisses historiques et les rénover avec du mélèze neuf pour respecter les méthodes de nos ancêtres, mon choix est vite fait, et je suis étonné que le Canton ne nous encourage pas quand on va dans cette direction. Il en va non seulement de notre culture, mais aussi de notre image touristique et de son attrait»

Identité touristique
et volonté cantonale

Pour Françoise Gillioz, de Nendaz-Vente Immobilier, la problématique est limpide: «Le marché est bloqué par la loi. Un dossier prend facilement quatre ou cinq ans. Ce que je voudrais, c’est une Commission de sauvegarde du patrimoine au niveau cantonal, commission qui permettrait quelques aménagements quand c’est possible et qui serait garante des garde-fous le reste du temps».
Et d’enfoncer le clou: «Une chose est sûre, notre génération doit prendre son destin en main pour que ce beau patrimoine des mayens, mazots ou autres granges ne passe pas par pertes et profits. Il est des exigences légales indéfendables dans ce dossier: pour coller à la réalité, je connais des cas où le Canton a refusé de jolis toits en tavillons et exigé qu’on utilise des tôles comme dans les granges standards. C’est contraire à l’esprit même de la préservation de l’architecture d’autrefois».
La clef de ce débat? «La volonté politique, qui est déficiente, souligne Françoise Gillioz. Il en va de l’avenir de notre tourisme. Préserver les valeurs de nos anciens, c’est cultiver cette identité qui séduit nos visiteurs alémaniques ou étrangers. Or si l’on persiste à mettre trop de bâtons dans les roues de celles et ceux qui souhaitent rénover le bâti d’autrefois, ils vont se détourner tout naturellement de cette mission. Et c’est tout le Valais qui sera perdant!».

 

Jean-François Fournier

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