La préfabrication permet d’obtenir des bétons sur mesure qui intègrent une dimension esthétique.

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construction - Prelco, maître du préfabriqué, a cinquante ans

Le béton est bien vivant, mais il doit se réinventer

14 Déc 2022 | Articles de Une

Le béton est-il vraiment le grand méchant matériau que l’on dit? Peut-on l’améliorer? Le remplacer? La préfabrication a-t-elle un avenir? Pour ses cinquante ans, l’entreprise Prelco SA, sise à Satigny/GE et active dans la conception et la production de préfabriqués, organisait diverses manifestations, dont une table ronde qui n’a pas esquivé les questions brûlantes. Constat unanime: rien ne peut remplacer le béton dans nos sociétés, mais celui-ci ne peut faire l’économie de se réinventer. Cet échange s’est tenu au cœur de l’exposition «L’art de la préfabrication, une culture locale, 1972-2022», présentée au pavillon Sicli de Genève.

A Genève, qui dit préfabriqué en béton pense Cité nouvelle de Meyrin, le Lignon ou les nombreux Cycles d’orientation bâtis dans les années 1960, lorsque rapidité et standardisation étaient les maîtres-mots. Vision dépassée, pense Andrea Bassi, fondateur du bureau BCMA Architectes à Genève: la préfabrication permet d’obtenir des bétons sur mesure qui intègrent une dimension esthétique. «Le béton est beaucoup plus riche en expression que ce que l’on pense. N’oublions pas que c’est de la pierre!» Et d’énumérer les divers minéraux alpins qu’il a été amené à choisir pour obtenir des amalgames adaptés à l’identité des édifices qu’il a dessinés.
«Certes, le béton représente 8% à 10% des émissions de CO2 mondiales, mais ramené au kilo, sa fabrication émet dix fois moins de CO2 que celle de l’acier, relève Karen Scrivener, directrice du Laboratoire des matériaux de construction de l’EPFL. Parce que l’on construit beaucoup et que le béton est largement utilisé, sa part à l’effet de serre est importante; pour autant, ce n’est pas lié à sa nature intrinsèque».
«Le béton, c’est 80% de pierre, 5% d’acier et 15% de ciment», détaille Andrea Bassi. Seuls l’acier et le ciment posent problème quant au CO2. Avec le béton précontraint, on réduit de moitié le recours à l’acier, mais son usage s’est perdu. Les méthodes éprouvées n’empêchent cependant pas l’innovation: «J’ai trouvé aux Etats-Unis des fibres de polymères recyclées plus rigides que l’acier et que l’on peut couler dans le béton», indique-t-il.

Nos villes sont des carrières

«Le CO2 n’est que l’une des dimensions de l’empreinte écologique du béton», commence Benoît Charrière, géographe, cofondateur de DSS+, avant de lancer que «nos villes sont des carrières urbaines». L’économie renferme plus de ressources naturelles que la nature; la circularité est dès lors incontournable. «Qu’avons-nous d’ailleurs fait pendant des millénaires», enchaîne Andrea Bassi, si ce n’est démanteler des bâtiments pour en recréer d’autres?
«La Suisse produit 6,5 millions de tonnes de béton de démolition par an», détaille Célia Küpfer, doctorante au Structure exploration Lab de l’EPFL. Cette masse est broyée en agrégats et il existe déjà du béton avec une teneur de 50% de matière recyclée. Mais on constate aussi des réutilisations d’éléments entiers dans de nouvelles constructions. Dans la plupart des cas, il s’agit de préfabrications, qui se prêtent mieux à la déconstruction que les éléments coulés in situ.
«Le bois a le vent en poupe, constate Marc Frochaux, rédacteur en chef de la revue «Tracés» et modérateur de la soirée; à Zurich, on ne jure que par lui». «C’est une illusion que d’y voir une solution, réplique Karen Scrivener: si l’on voulait remplacer 25% du béton utilisé annuellement par du bois, il faudrait planter une forêt couvrant 1,5 fois l’Inde et attendre 30 ans qu’elle pousse». «En Suisse, 60% du bois indigène est déjà utilisé, le 40% restant ne peut se substituer au béton», renchérit Andrea Bassi.

Les normes SIA sont un frein

Des pistes et des savoir-faire existent, s’accordent les intervenants. Mais où sont les freins à leur mise en œuvre? Andrea Bassi pointe les normes SIA, qui empêchent le constructeur d’offrir une garantie si les matériaux utilisés ne sont pas reconnus et prescrivent des mesures inutilement élevées. «Quand j’ai commencé dans le métier, les dalles devaient avoir huit centimètres d’épaisseur. Maintenant, c’est vingt-quatre!», illustre-t-il.
L’absence de règles légales contraignantes est également relevée. «La liberté est dans la contrainte», s’amuse Andrea Bassi. «A Plan-les-Ouates, il a été possible de réaliser des logements sociaux de qualité avec de la pierre, malgré un contrôle très serré des coûts de construction, illustre Marlène Leroux, du Bureau d’architectes Archiplein à Genève. Avec un maître d’œuvre engagé, c’est possible». «Les critères environnementaux devraient peser plus lourd dans les choix des maîtres d’ouvrage», plaide Benoît Charrière.
Pierre-Alain L’Hôte, administrateur délégué de Prelco SA, clôt la rencontre en ouvrant une fenêtre vers l’avenir. «La loi genevoise 12869, en attente de promulgation, introduit l’obligation de privilégier le réemploi des matériaux existants pour les constructions ou rénovations importantes, rappelle-t-il. Ce texte, soutenu par l’ensemble du secteur de la construction, va changer les pratiques dans le canton, sans pour autant signer la fin du préfabriqué». Rendez-vous pour les cent ans de Prelco?

 

Cesare Accardi

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