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Jurisprudence de la construction

L’architecte, le client et le devis

15 Déc 2021 | Articles de Une

Dans un arrêt récent du 2 septembre 2021 (ATF 4A_531/2020), le Tribunal fédéral s’est prononcé sur les effets, quant à la responsabilité de l’architecte, d’un dépassement du devis relatif aux coûts de construction.

Al’occasion de cet arrêt, le Tribunal fédéral a rappelé les principes généraux qui pouvaient engager ou non la responsabilité de l’architecte en cas de dépassement de devis.
Dans les relations contractuelles entre mandant et mandataires, notamment architectes, il est toujours recommandé de se fonder sur un devis établi en bonne et due forme.
S’agissant des architectes, la norme SIA 102, soit le règlement concernant les prestations et honoraires des architectes, prévoit que, dans le cadre de l’étude d’un projet, un devis doit être établi sous une forme transparente, qui doit comprendre:
• une description détaillée des travaux et fournitures prévus;
• une désignation des matériaux choisis avec métrés et prix indicatifs;
• la mention du degré de précision dans le devis, qui doit être de ±10%, sauf accord contraire;
­• les montants pour les imprévus.
Par ailleurs, à la suite du retour des appels d’offres, il convient de procéder à une comparaison de l’estimation des coûts fondés sur les offres avec le devis et d’en justifier les éventuels écarts.
Les parties au mandat peuvent également convenir d’établir un devis révisé sur la base des offres reçues. Lors du décompte final, une comparaison avec le devis initial devra être effectuée.
En tout état, le devis reste un pronostic, c’est-à-dire une estimation du coût présumé des prestations qui seront fournies par les tiers entrepreneurs. Or cette estimation comporte toujours une part d’incertitude.

Le calcul des coûts

L’architecte doit rédiger un devis précis et compréhensible, dont l’ampleur, la méthode et la précision doivent être définies d’accord entre les parties.
A ce propos le devis peut être établi selon:
• le Code des frais de construction (CFC) (SN 506 500);
• le Code des frais par éléments (CFE) (SN 506 502);
• le Code des coûts de construction Bâtiment (eCCC-Bât).
Ces trois codes, qui font autorité dans le domaine suisse de la construction, permettent à l’architecte de rédiger un devis suffisamment précis.

Le TF considère qu’il faut distinguer entre la responsabilité de l’architecte pour les coûts supplémentaires qu’il a causés et sa responsabilité pour un simple dépassement du montant prévu dans le devis.

Responsabilité de l’architecte
en cas de dépassement du devis

En cas de dépassement du devis, le Tribunal fédéral s’est ingénié à vouloir distinguer le dépassement de devis à proprement parler des surcoûts causés par des violations contractuelles.
A ce propos, le TF considère en effet qu’il faut distinguer entre la responsabilité de l’architecte pour les coûts supplémentaires qu’il a causés et sa responsabilité pour un simple dépassement du montant prévu dans le devis.
La responsabilité de l’architecte peut ainsi être engagée en particulier dans les cas suivants:
• dépassement du devis approximatif de l’architecte-entrepreneur;
• dépassement des coûts causés en violation du contrat;
• dépassement d’une limite des coûts;
• dépassement de la garantie de coût de construction.
Il découle de ce qui précède que, selon le Tribunal fédéral, l’architecte a, vis-à-vis de son mandant, cinq obligations dont la violation peut engager sa responsabilité, à savoir:
• établir un devis de manière diligente;
• contrôler continuellement que l’évaluation des coûts demeure dans les limites du devis;
• informer immédiatement le client en cas d’écarts de coût;
• informer le client sur la marge de tolérance;
• informer le client des conséquences financières en cas de modification de sa commande.
En cas de défaillance de l’architecte dans l’accomplissement de l’une ou l’autre de ses obligations, il viole ses obligations contractuelles et engage par conséquent sa responsabilité.

Détermination du dommage

En cas de faute, l’architecte répond de la mauvaise exécution de son contrat et doit réparer le dommage subi par son mandant.
La faute de l’architecte peut être liée, par exemple, à:
• une planification défectueuse des travaux;
• des adjudications défavorables;
• de mauvaises instructions données lors de l’exécution du chantier;
• un défaut de direction du chantier;
• une estimation inexacte des coûts, imputable notamment à l’omission de certains postes, à une erreur de calcul, à une mauvaise évaluation des prix.
Et ces fautes doivent avoir entraîné des surcoûts de la construction.
Dans ce cadre, le Tribunal fédéral estime que le dommage résulte de la confiance déçue qu’a subi le mandant, qui pouvait considérer que l’estimation indiquée par l’architecte dans le devis était exacte et qui, en conséquence, a pris ses dispositions, notamment sur le plan financier.
Cela étant, la confiance déçue du mandant suite à un dépassement de devis n’entre en considération que pour autant que le mandant ait eu connaissance du devis et n’ait pas réalisé son inexactitude. Par ailleurs, le dommage n’équivaut pas nécessairement à la totalité du dépassement du devis.
Il tient au fait que le mandant, s’il avait été correctement informé, aurait pu prendre d’autres décisions qui lui auraient épargné des surcoûts, par exemple en s’assurant un financement plus avantageux, en passant commande d’un ouvrage plus économique, voire en renonçant à son projet.
Le cas échéant, il appartient toutefois au mandant de prouver qu’il aurait adopté un comportement différent et épargné ainsi certains frais. De surcroît, il convient de déduire du dommage les avantages que le lésé retire de l’événement dommageable.

Marge de tolérance

Le caractère prévisionnel du devis est à l’origine de l’institution, en matière de devis, de la «marge de tolérance», dite également «marge d’incertitude» ou «marge d’imprécision».
Cette marge, dont il convient de tenir compte lorsqu’un devis est établi, doit compenser autant que faire se peut les incertitudes liées:
• à l’estimation des coûts;
• à la réalisation des travaux de construction;
• aux changements de circonstances qui peuvent se produire en cours d’exécution.
Dans ce contexte, une marge de 10% est généralement admise pour les nouvelles constructions. Mais cela aux conditions suivantes:
• l’architecte a le devoir d’indiquer la marge d’incertitude dans son devis;
• lorsque le dépassement du devis s’inscrit dans cette marge, l’architecte est présumé n’avoir commis aucune violation contractuelle;
• à défaut d’indication d’une marge d’incertitude, on peut partir du principe que tout devis peut être dépassé, ce qui est inhérent à la nature du devis. Dans ce cas, la marge à fixer dépend des circonstances de chaque cas d’espèce. En tout état, cette marge n’est admissible que pour autant qu’elle ne comprenne qu’un léger dépassement.
Cela étant, le degré de précision de l’estimation des coûts dépend avant tout de l’avancement du projet. Le Règlement SIA 102 prévoit deux degrés de précision selon le degré d’avancement du projet, soit au moment de la phase d’avant-projet (±15%), puis à celui de la phase du projet (±10%).
A ce propos, le Tribunal fédéral a précisé que l’absence de mention du degré de précision dans le devis constituait une violation des devoirs de l’architecte qui ne lui permettait pas d’invoquer par la suite la marge de tolérance à son bénéfice.
En outre, l’architecte ne peut se prévaloir de la marge de tolérance que s’il a correctement renseigné le client sur celle-ci et ses conséquences.
Selon le Tribunal fédéral la simple intégration du Règlement SIA 102 dans le contrat d’architecte ne suffit donc pas.
Il résulte de ce qui précède que l’établissement d’un devis suffisamment précis constitue bien la pierre angulaire de toute construction et permet d’éviter, ou de cadrer, tout éventuel litige qui pourrait surgir entre un architecte et son mandant.

 

Patrick Blaser
Avocat associé,
Etude Borel & Barbey, Genève
patrick.blaser@borel-barbey.ch

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