«L’architecte Jean-Marie Ellenberger était surtout spécialiste de l’art sacré (église Sainte-Croix à Sierre, église de Chermignon, église de Verbier et d’autres encore); mais là, il a réussi un bâtiment encore plus épuré, où toutes les larges fenêtres de la façade sud donnent sur un paysage d’exception».

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urbanisme - Architecture alpine

La Tour de Super-Crans, objet exceptionnel

14 Août 2024 | Articles de Une

L’originalité du célèbre bâtiment de 17 étages qui surplombe Crans-Montana lui a valu son classement comme monument d’importance cantonale. Visite guidée avec de grands connaisseurs de cette merveille due à l’architecte Jean-Marie Ellenberger.

C’est un bâtiment unique, visible de loin et depuis maints et maints endroits en Valais. En s’en approchant, on découvre ses qualités: son socle en forme de champignon, sa forme en éventail. Il s’agit là d’une véritable performance architecturale à la montagne et d’un chantier héroïque, de cet héroïsme qui a présidé à la construction des barrages dans ce canton. La presse locale évoquait même un chef-d’œuvre de l’architecture valaisanne. Historienne de l’architecture, spécialiste notamment du XXe siècle, Martine Jaquet est une grande avocate de ce bâtiment alpin souvent décrié: «L’architecte Jean-Marie Ellenberger était surtout spécialiste de l’art sacré (église Sainte-Croix à Sierre, église de Chermignon, église de Verbier et d’autres encore); mais là, il a réussi un bâtiment encore plus épuré, où toutes les larges fenêtres de la façade sud donnent sur un paysage d’exception».

Nature préservée

Ellenberger a également fait montre d’une approche novatrice dans l’attention portée à la nature, à travers une gestion avisée des surfaces. Martine Jaquet: «Le projet initial de l’architecte Bornet prévoyait en effet une dizaine d’immeubles et donc une atteinte importante à ce paysage. La solution Ellenberger sur ce promontoire où trônait jadis l’Hôtel Forest (détruit dans un incendie) a bel et bien permis de préserver l’environnement en aménageant uniquement la surface déjà consacrée à l’exploitation hôtelière».

Une ville secrète

Examinons la «bête» de plus près, tout en sachant pertinemment qu’elle réserve jalousement ses secrets aux copropriétaires, comme en atteste François Besson, l’un d’entre eux, président du Conseil d’administration de La Tour Super-Crans SA: «Je l’ai vue s’élever peu à peu – c’était impressionnant – avant de finir par l’habiter. C’est un cadre exceptionnel avant que d’être une œuvre architecturale. La forêt est immédiatement là. L’hiver, on part skis aux pieds. On a la plus grande piscine de Crans-Montana, un sauna, deux courts de tennis, un minigolf, quatre hectares privatifs et une grande pelouse où l’on peut prendre le soleil l’été». Et d’ajouter à ce tableau idyllique des services fort appréciés des résidents: nettoyage, blanchisserie, réception.
Mais il y a plus important encore, estime l’administrateur. «Nous avons beaucoup d’espaces publics où l’on peut se rencontrer entre habitants des lieux. Un restaurant de 80 couverts, qui sert aussi en plein air à la belle saison, deux bars dont un bar-restaurant au 17e étage avec la plus belle vue sur les Alpes, un grand hall d’accueil. Ou si vous préférez: comment vivre à l’hôtel sans vivre à l’hôtel!».

Ellenberger comme Le Corbusier

«En fait, enchaîne François Besson, la Tour ressemble beaucoup à un club, je dirais même à une communauté. On se croise, on échange. Tout le temps. Si ce mode de vie et cet art de vivre ne vous conviennent pas, vous serez malheureux ici! L’échange, le partage, cela fait partie du quotidien de nos habitants».
A l’intérieur, Ellenberger pose toutes les questions modernes de l’immeuble résidentiel, comme Le Corbusier l’a fait avec La Clarté à Genève. On a des logements imbriqués en duplex dans les éléments latéraux. Tous les logements sont traversants, sauf les parties réservées aux personnels à disposition des propriétaires, qui donnent au nord. Tous les matériaux sont de première classe. La qualité spatiale garantit un grand confort. L’isolation phonique est impeccable.

Des sœurs et des cousines

Pour l’historienne d’art Martine Jaquet, qui a signé une étude pour le compte de Patrimoine Suisse, cette Tour n’est pas sans famille: «Nous avons Aminona à côté, où le projet d’André Gaillard a vu la réalisation de trois tours alors qu’il existait des variantes à 12 ou à 18. Mais là, l’approche est différente: il s’agissait de créer une station entière à la montagne et non juste un immeuble. Cela dit, la Tour de Super-Crans a une grande sœur en Allemagne et une petite sœur à Lucerne, toutes deux dues au talent de l’architecte, urbaniste et designer finlandais Alvar Aalto».
Il n’empêche que les copropriétaires ont dû récemment ferrailler dur contre les autorités cantonales pour obtenir le classement de leur bijou, ce que salue Martine Jaquet: «Le simple fait que le Conseil d’Etat valaisan fût contre son classement et donc sa préservation prouvait qu’il y avait toujours débat. Cela n’enlève rien au fait que la Tour est un jalon important de l’histoire touristique et architecturale du Valais. Elle est reconnue par les milieux de la construction et de l’architecture comme un objet rare et pour tout dire exceptionnel. Et puis, ce qui est un bon indicateur, elle suscite un vrai attachement de la part de tous ses habitants. J’ajoute que si on regarde la qualité moyenne des immeubles dans les stations valaisannes, la Tour est plus que très intéressante».

 

Gérard Sermier

Historienne de l’architecture, spécialiste notamment du XXe siècle, Martine Jaquet est une grande avocate de ce bâtiment alpin.

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