Samy Belaïba.

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Au-delà des plans de sobriété

La rénovation immobilière est un véritable enjeu

9 Nov 2022 | Articles de Une

L’immobilier en Suisse est un gouffre énergétique. D’après l’Office fédéral de l’énergie (OFEN), le parc immobilier suisse consomme environ 90 TWh (terawattheures) par an, soit 40% de la consommation finale d’énergie du pays. C’est trop, évidemment. Et à l’heure de la crise climatique, c’est même une aberration.

D’après la Stratégie énergétique 2050, cette consommation doit diminuer à 55 TWh en 2050. Le grand écart est colossal. Mais la crise de l’énergie que nous traversons actuellement possède au moins le mérite de forcer tout le monde à réfléchir à des solutions. Ainsi vient d’émerger au cœur du débat public la nécessité d’une plus grande sobriété énergétique. Ces dernières semaines, les appels du Conseil fédéral se sont multipliés. Et s’ils peuvent s’avérer utiles pour passer l’hiver, ils apparaissent comme une option tactique insuffisante à elle-seule pour atteindre les objectifs fixés dans la Stratégie énergétique 2050. Au vu de l’état du parc immobilier actuel, dont on estime que plus d’un million de maisons – sur 1,7 million – sont mal ou pas du tout isolées, il semble évident que des efforts doivent être entrepris concernant la rénovation des bâtiments.

Une politique d’incitation impuissante

Depuis 2010, le «Programme Bâtiments» de la Confédération soutient financièrement les propriétaires qui ont l’intention de procéder à une rénovation énergétique de leur bien immobilier. De fait, depuis cette date:
• 2,7 milliards CHF de subventions ont été
versés dans le cadre du programme
• Plus de 72,1 TWh ont été économisés
• Plus de 17,8 millions de tonnes de CO2
n’ont pas été émises
Au niveau cantonal et communal, même engagement: le mille-feuille d’aides disponibles permet aux propriétaires de financer une partie des travaux de rénovation à prévoir. A Genève par exemple, le Canton dispose depuis cinq ans d’une enveloppe supérieure à 30 millions CHF par an réservée à cet effet (34 millions de francs en 2022). Le canton de Vaud, pour sa part, a budgété 15 millions pour 2022, tandis que du côté alémanique, Zurich a porté ses subventions à plus de 40 millions.
Mais malgré le large spectre de politiques incitatives, les efforts consentis ne suffisent pas. Au rythme où vont les choses, il faudrait près de 100 ans* pour rénover tous les bâtiments de Suisse. Et nous n’avons pas ce temps. Dès lors, face à l’urgence, il semble que le levier coercitif doive lui-aussi être actionné.
Certains cantons ont déjà pris les devants. L’Etat de Genève, par exemple, impose à tous les bâtiments chauffés du canton de calculer leur Indice de dépense de chaleur (IDC), c’est à dire la consommation d’énergie du bâtiment pour couvrir ses besoins de chaleur. En cas de dépassement des seuils d’acceptabilité, qui baisseront progressivement jusqu’en 2031, un assainissement sera imposé au propriétaire.

Les bailleurs particuliers au cœur de la réussite du projet

En Suisse, plus d’un tiers des propriétaires de bâtiment occupent leur bien. Pour eux, les motivations à rénover sont principalement de deux ordres: ils le font soit par conviction environnementale, soit par opportunisme financier (augmentation de la valeur du bien, baisse des charges…). Et s’ils sont parfois freinés par le manque d’information dont ils disposent sur les subventions disponibles ou l’impact financier de la rénovation, ils sont malgré tout globalement disposés à aller dans le sens du climat.
C’est moins vrai pour les propriétaires qui louent leur bien. Ces derniers, pour la plupart, rechignent à investir massivement dans un logement qu’ils n’occupent pas. Et quand on sait que plus de la moitié de la population suisse est locataire, on comprend rapidement où réside la clef de l’affaire.
La question des immeubles locatifs, au regard des objectifs de la politique énergétique et climatique, est majeure. Reste à convaincre les bailleurs que la rénovation peut leur être bénéfique. Aujourd’hui, les bailleurs sont majoritairement répartis en deux populations: les particuliers (60% des locations), et les institutionnels (30%). Le reste est aux mains des pouvoirs publics.
Si les bailleurs institutionnels, guidés par le maintien de la valeur de leur parc, ont bien compris l’intérêt de la démarche, la réalité semble tout autre pour les bailleurs particuliers. Avec un âge moyen avoisinant les 58 ans, ils voient peu de raisons d’investir massivement dans leur bien locatif. Autre aspect bloquant: la difficulté là aussi à retrouver son chemin dans la multitude de subventions disponibles.

Les énergéticiens, acteurs clefs des rénovations de demain

Pour lever les obstacles et faciliter la ruée vers la rénovation, une multitude d’acteurs se positionnent pour accompagner les propriétaires. Ainsi, de nombreux projets de rénovation immobilière d’immeubles collectifs se font désormais en collaboration entre les développeurs immobiliers, en charge du bâti, et les énergéticiens, qui gèrent les nouveaux équipements de fluides (chaud et froid). Si actuellement, les développeurs pilotent souvent la relation avec les propriétaires (primo-contractualisation), et font appel à des énergéticiens en sous-traitance, la situation pourrait évoluer et le rapport de force s’inverser.
En effet, les énergéticiens commencent à se positionner avec des offres innovantes de contractualisation auprès des clients ne souhaitant pas investir, comme les fonds privés par exemple. Par ce biais, les charges restent constantes pour les locataires, mais l’investissement de l’énergéticien est couvert par la baisse des coûts de l’énergie.
Les initiatives se multiplient donc pour que l’œil des propriétaires suisses se pose au bon endroit. C’est important et même fondamental pour la suite. Car si la crise actuelle de l’énergie a, certes, pour bienfait d’actualiser le sujet de la sobriété dans toutes nos maisons, il serait dangereux et inefficace de se concentrer uniquement sur des solutions à court terme et d’oublier les objectifs d’efficacité plus lointains comme celui de la rénovation immobilière.

 

Samy BelaÏba
Consultant Senior Colombus Consulting
Eysins/VD

 

• Sources: données récoltées auprès de l’Office Fédéral de Statistique et des cantons (GE, VD, ZH) + étude SwissInfo, janvier 2020.

Voir aussi Le Journal de l’Immobilier No 51, du 26 octobre 2022: «Transition énergétique – Le soutien des banques en première ligne».

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