L’Aile Est met l’accent sur la qualité des espaces passagers en maximisant la transparence et la lumière naturelle.

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Aile Est de l’Aéroport International de Genève

La promesse d’un redécollage

22 Déc 2021 | Articles de Une

Lumineuse et colorée, l’Aile Est de l’aéroport est impressionnante. L’ouvrage en verre et en acier se distingue par ses dimensions – 520 mètres de long pour 20 mètres de large, sa conception «sur pilotis» et sa forte inclinaison vers le tarmac. Le nouveau terminal gros-porteurs vise à améliorer l’accueil des passagers des vols moyen et long-courriers, tout en répondant aux standards actuels. Après un an de retard lié à la pandémie, les travaux sont aujourd’hui terminés et le bâtiment flambant neuf vient d’entrer en fonction. Visite commentée d’un édifice avant-gardiste en compagnie du bureau Jacques Bugna, architectes associés du projet avec le bureau anglais RSHP.

Certes les chiffres affichent une baisse considérable des vols: environ 60% seulement du trafic d’avant pandémie. Mais cela n’empêche pas l’Aile Est de l’Aéroport international de Genève (AIG) – un parallélépipède métallique au design industriel – de briller de tout son éclat. Six avions gros-porteurs ou dix moyen-porteurs peuvent y stationner; chaque position est desservie par deux passerelles indépendantes, qui permettent d’améliorer la qualité du flux de passagers. L’Aile Est remplace le pavillon gros-porteurs, construit à titre provisoire en 1975 et aujourd’hui désuet, aussi bien sur les plans technique et énergétique que sur celui du confort des voyageurs. Relevons que la capacité de l’aéroport n’a pas été augmentée par cette nouvelle jetée, qui dessert exclusivement des postes avions existants et comprenant des positions éloignées, précédemment alimentées par bus. Désormais, qu’ils soient en transfert, au départ ou à l’arrivée, tous les passagers bénéficieront de la même générosité de lumière et du même panorama orienté sur les montagnes et l’activité du tarmac.
Ce projet s’inscrit dans la logique du Plan directeur de l’AIG 2007-2015, portant sur les transformations du site. «Mes prédécesseurs ont initié cet important chantier, dont la nouvelle Aile incarne la réalisation la plus spectaculaire de travaux entrepris sur cette décennie. C’est pourquoi nous avons misé sur des équipements innovants et indispensables pour la connectivité intercontinentale de Genève en 2030-2040, voire au-delà», souligne non sans fierté André Schneider, directeur général de Genève Aéroport. Ce dernier estime que le trafic passager retrouvera ses niveaux d’avant-crise à Cointrin d’ici 2024 ou 2025.

Dix ans pour un chantier
complexe

Le nouveau terminal est en mesure d’accueillir près de 2800 passagers par heure au départ et 3000 aux arrivées. L’opération – dont le coût s’élève à 610 millions de francs – comprend le bâtiment Aile Est proprement dit, la route douanière, la construction et la démolition du bâtiment provisoire GP+ (GP pour gros-porteurs), l’INAD Nord dédié aux personnes non admises sur le territoire suisse, ainsi que les travaux préparatoires de GeniLac. Si la dernière étape de l’Aile Est a été réalisée entre 2017 et 2021, les travaux préliminaires ont, quant à eux, duré près de cinq ans (2012-2017). Ces derniers consistaient notamment à déplacer le séparateur à hydrocarbures et à adapter les réseaux enterrés, ainsi qu’à créer l’infrastructure. Des modules de 20 x 20 mètres chacun constituent l’Aile Est, qui a nécessité 7000 tonnes d’acier pour sa construction, soit l’équivalent de la Tour Eiffel! L’édifice est implanté sur une surface disponible extrêmement limitée. Les concepteurs ont dû rivaliser d’ingéniosité pour contourner le peu de liberté laissée en termes de gabarit, restreinte par les bâtiments voisins au sud et le tarmac au nord, mais aussi pour enfouir 200 mètres de la route douanière. Le chantier s’est déroulé dans un périmètre en constante activité, avec trois positions restées accessibles pour accueillir les avions et leurs passagers, exigeant ainsi une prodigieuse organisation.
L’Aile Est abrite principalement la nouvelle salle d’embarquement, desservant les six postes avions existants, grâce à de nouvelles passerelles télescopiques, ainsi que les circulations des arrivées, des transferts et les contrôles aux frontières. Il comprend également des surfaces commerciales, de livraison et de stockage. L’ouvrage a été mis en service officiellement le 14 décembre 2021 à l’occasion du vol Genève-New York; l’inauguration est, quant à elle, repoussée au printemps prochain.

Le projet de l’équipe RSHP-Bugna-Ingerop-T Ingénierie se distingue par sa transparence et son inclinaison, ce qui résout l’impératif du dégagement visuel avec les constructions voisines.

Une porte d’entrée sur le
Grand Genève

Afin de sélectionner le projet le plus pertinent, l’Aéroport International de Genève, en tant que maître d’ouvrage, a lancé en 2010 un concours international. «Bien qu’étant rodés à l’exercice des concours et appels d’offres, nous ne nous sommes, a priori, pas intéressés à celui-ci, confie Jacques Bugna. Concevoir un aéroport, c’est ultra-compliqué, notamment du fait des réglementations internationales et de la gestion des flux (au départ, il y avait jusqu’à 34 types de flux différents!)». Resté sur ce constat, le directeur de l’Atelier d’architecture Jacques Bugna SA, Eddy Dijkhuizen, reçoit un beau jour un appel du cabinet londonien Rogers Stirk Harbour + Partners (RSHP): ses architectes-designers cherchent à s’associer à un partenaire local pouvant les épauler, notamment sur les normes suisses, l’administration des contrats et le contrôle des coûts, afin de déposer une candidature commune. Une belle surprise, puisque RSHP est un bureau de renommée mondiale, qui a entre autres réalisé le Terminal 5 à Heathrow, le Terminal 4 à Barajas, le Terminal 1 à Lyon. «Impossible de refuser une telle offre, ne serait-ce qu’en termes d’expérience!», relate Jacques Bugna. Sans se connaître, architectes anglais et suisses se regroupent, s’associant avec deux bureaux d’ingénieurs, Ingérop (Paris) et
T Ingénierie (Genève). Ils forment ainsi le consortium RBI-T, qui chapeautera au cours de la réalisation trente-deux bureaux partenaires sous-traitants, ingénieurs locaux ou étrangers.
Accompagné d’un collège d’experts internes et externes à l’AIG, le maître d’ouvrage avait opté pour une procédure sélective: le premier tour (de juillet à septembre 2010) servit à sélectionner les cinq pools de participants, organisés en groupements pluridisciplinaires, sur les trente-trois inscrits. Des mandats d’étude parallèle (MEP) leur sont alors confiés, s’étalant sur les trois mois suivants. «A notre grande satisfaction, nous avons été retenus. Nous avons fait connaissance avec nos homologues anglais lors de la première visite de l’aéroport, en septembre 2010. La découverte de tous les recoins du site et de son fonctionnement nous ont fascinés. Après la visite, sur un coin de table de bistrot, les principes clefs du projet ont été définis: ce sont eux qui nous ont fait gagner!», poursuit Jacques Bugna. Les architectes anglais font remarquer à ce dernier que les voyageurs, une fois avoir admiré le splendide panorama depuis les airs, sont «envoyés» dans un couloir souterrain de l’aéroport pour aller chercher leurs bagages. Un accueil pas très chaleureux! Afin d’inverser cette réalité, le groupe RBI-T imagine de diriger les passagers arrivant vers le niveau supérieur du terminal. Cheminant le long du bâtiment vitré avant de rejoindre le hall de bagages situé dans le Terminal T1 existant, ils pourront bénéficier d’une belle vue sur les montagnes environnantes, le massif du Jura en particulier.

Une longue et puissante pièce horizontale

Le projet de l’équipe RSHP-Bugna-Ingerop-T Ingénierie se distingue par sa transparence et son inclinaison, ce qui résout l’impératif du dégagement visuel avec les constructions voisines, très proches (dont l’Arena et Palexpo). Il répond également aux restrictions en hauteur liées au plafond aérien. Ainsi, l’Aile Est semble «couchée» côté tarmac, avec un angle marqué de 26 degrés. Enfin, troisième aspect déterminant: celui de la route douanière. L’aspect clef de la conception était d’enterrer cette route sous la forme d’une tranchée couverte, située sous le bâtiment de l’Aile Est. Cette connexion routière – qui s’étend jusqu’à la frontière française (Ferney-Voltaire) – permet aux passagers d’accéder directement au secteur français de l’aéroport de Genève, sans avoir à transiter en Suisse.
Suite aux auditions et aux adaptations successives demandées par le jury, le groupement RBI-T est désigné lauréat du MEP en février 2011 pour la conception et la réalisation de l’ouvrage. «Une idée, une forme pour toute réponse à une multiplicité de questions», lit-on dans le rapport du concours. Visiblement, le projet enthousiasme les experts, définitivement conquis au moment de la présentation de la maquette, qui se veut précise jusqu’aux moindres détails. La structure de l’édifice, un exosquelette métallique, participe intensivement de l’expression architecturale. Les portées sont généreuses et permettent de limiter le nombre d’appuis sur le tarmac. «Le terminal s’exprime comme un jeu habile de construction, une infrastructure dont toutes les pièces sont lisibles, dont la géométrie et la légèreté renvoient à l’histoire de l’aviation», indique d’une même voix le collège d’experts au sujet du projet lauréat. L’édifice est surélevé d’un étage sur pilotis, à six mètres du sol, laissant la possibilité aux bus et aux autres véhicules aéroportuaires de circuler en tout temps.

L’approche des matériaux se veut, elle aussi, durable sur tous les plans.

Fonctionnement: une gestion
des flux optimale

L’ensemble est organisé sur deux plateaux hors sol, qui reçoivent tous les passagers: ceux partant sont dirigés vers le 1er étage, alors que ceux arrivant transitent par l’étage supérieur, conçu comme une mezzanine. Le bâtiment assure aux passagers en partance un confort d’attente dans des espaces lumineux, puis un embarquement de plain-pied, via des passerelles d’accostage aux avions. Associée à la faible largeur du bâtiment et à sa grande transparence, cette proposition donne à l’ensemble un caractère ludique et convivial. Les départs et arrivées sont gérés par le «processor», un élément de liaison réunissant le terminal existant à l’Aile Est et permettant aussi le contrôle des passeports des voyageurs. La jetée de 520 mètres accueille notamment la salle d’attente et ses commerces, les salons des compagnies aériennes au niveau supérieur. Elle est rythmée par des espaces de service côté nord (groupes sanitaires, ascenseurs, monte-charges, cages d’escaliers de secours) et des valves au sud, gérant les flux de passagers entre les étages.
Une palette chromatique anime l’Aile Est: l’ossature primaire est en gris clair, alors que les éléments structurels secondaires (menuiserie des vitrages par exemple) affichent une couleur anthracite. Les sols sont habillés de pierre naturelle, les garde-corps et les parois verticales de verre. Les teintes vives – vert, jaune, rouge, aubergine, etc. – accompagnent le déplacement et l’orientation des passagers au fil du parcours et marquent chaque module de 80 mètres de long: on retrouve ces couleurs au droit des plafonds froids acoustiques métalliques, des assises des sièges, des intérieurs vitrés des cabines d’ascenseur, sur la structure en acier des escaliers de secours et sur certains panneaux vitrés extérieurs des façades… tout est judicieusement accordé.

L’Aile Est reflète les ambitions de Genève Aéroport en termes d’image et de préoccupation environnementale.

Première aile aéroportuaire
à énergie positive

Le projet du groupement RBI-T vise à produire plus d’énergie qu’il ne devrait en consommer, en maximisant les énergies renouvelables sur site et en réduisant la demande grâce à des mesures de conception passive et à l’efficacité des systèmes actifs mis en œuvre. «L’isolation thermique des salles d’embarquement est garantie par le déploiement de façades à triple vitrage de haute performance, assorties de protections solaires spécifiques en période estivale», détaille Eddy Dijkhuizen. L’électricité est produite par une installation solaire installée en toiture de près de 7000 m2, soit 3777 panneaux photovoltaïques. Relevons en outre que l’étroitesse du plateau (20 mètres) sur toute la longueur du bâtiment maximise la lumière du jour et réduit considérablement la demande d’éclairage artificiel.
Ainsi, la neutralité énergétique est assurée grâce à la combinaison de la centrale solaire, d’une isolation poussée du bâtiment et de pompes à chaleur à haut rendement. Ces dernières produiront et stockeront dans un premier temps l’énergie thermique au travers de 110 sondes géothermiques d’une profondeur de 290 mètres. Le raccordement futur avec le réseau GeniLac (réseau qui utilise l’eau du lac de Genève) complètera cette source d’énergie 100% renouvelable. Enfin, l’eau de pluie sera récupérée, afin d’alimenter les systèmes ne nécessitant pas d’eau potable; la production d’eau chaude sera ponctuelle, limitée au strict nécessaire.

«Whole Life Carbon»

L’approche des matériaux se veut, elle aussi, durable sur tous les plans: recyclage possible des éléments en cas de déconstruction, conception en modules préfabriqués limitant le gaspillage et le transport, matériaux provenant d’Europe et sélectionnés pour leur pérennité, construction ne mettant pas en danger la santé des travailleurs et des futurs usagers, etc. «La structure primaire et les technologies à faible consommation d’énergie de l’Aile Est sont orchestrées et célébrées en une expression simple et audacieuse. Chaque composant est fabriqué avec soin, à la manière d’une belle montre suisse», résume Graham Stirk, Senior Partner de Rogers Stirk Harbour + Partners et responsable du design de l’Aile Est.
Malgré l’envergure de l’ouvrage, l’Aile Est donne une impression de légèreté, tel un bel insecte posé sur des pattes fines en acier. C’est là que réside le talent des grands architectes: réaliser des œuvres complexes, d’apparence simple. Sans conteste, le bureau Jacques Bugna peut être fier d’avoir été pleinement associé à la réalisation de cet édifice qui, par son identité architecturale forte et sa durabilité, est appelé à devenir l’image de marque de l’Aéroport international de Genève.

 

Véronique Stein