Quatrième étape de renaturation, travaux en cours en 2021.

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Renaturation de l’Aire

La nature reprend ses droits

17 Août 2022 | Articles de Une

Honorée par le Prix du Conseil de l’Europe en 2019, l’exemplaire revitalisation de la rivière franco-genevoise, menée depuis vingt ans, arrive à bout touchant avec la dernière étape du chantier, allant du village de Certoux à la frontière française. Visite des lieux au début du mois de juillet avec tous les acteurs du projet réunis par l’entreprise Induni, qui pilote le consortium Induni-Scrasa.

De la passerelle piétonne des Bis, à hauteur du Club de tennis de Perly-Certoux, à la frontière française: un kilomètre, le dernier tronçon de la renaturation de l’Aire. Bientôt terminée, la quatrième étape du chantier, lancée fin mai 2021, aura compté, avec 50 000 mètres cubes de terres excavées, 15 000 m3 de remblais, 10 000 tonnes d’enrochements. Et des défis majeurs. «Pour consolider le pont routier de Certoux, plus que centenaire, il aura fallu durant quatre mois travailler en rivière pour reprendre l’ouvrage en sous-œuvre, terrasser à 3,5 m de profondeur et réaliser un enrochement bétonné permettant de protéger les berges contre l’érosion», explique Yoann Collomb, technicien, responsable du chantier chez Induni. «Deux seuils en enrochement bétonné réalisés en amont, l’un à la frontière avec la France, et l’autre à l’aplomb d’une conduite oléoduc sous la rivière, renforcent le dispositif, tandis qu’un plan d’eau a été créé entre ces deux points durs».

Economie circulaire et écologie à l’ordre du jour

L’ingénierie civile se réjouit. La gestion exemplaire par le consortium Induni-Scrasa des matériaux d’excavation enregistre zéro mètre cube livré à la décharge. Une prouesse en la matière. La revalorisation de quelque 5000 m3 de terre végétale a rejoint la filière des paysagistes, le reste est utilisé pour les remblais. Quant à la société genevoise Edaphos, spécialisée dans la dépollution des sols et la reconstitution de terres fertiles, à partir notamment de résidus d’excavations, sa contribution au succès a été essentielle dans cette dernière phase du chantier. Présenté par Mathieu Pillet, son cofondateur, ce jeune bureau d’ingénierie innovant a appliqué sa solution par génie biologique et pédologique qui a permis d’atteindre des résultats positifs en quelques semaines, «là où il faut au stade naturel des centaines, voire des milliers d’années».

La mise en eau de losanges, un dispositif inédit qui laisse libre cours à la rivière.
De gauche à droite, Yoann Collomb, Induni & Cie SA; Georges Descombes et Greg Bussien (ADR, Atelier Descombes Rampini SA); Sébastien Revaux, Scrasa SA; Clémence Giet, Edaphos SA; Francis Delavy, OCEau – Office cantonal de l’eau; Corinne Van Cauwenberghe, B+C Ingénieurs SA; Christophe Ruisi, Induni; Franck Pidoux, OCEau; Julien Descombes, ADR; Didier Chifflet et Léa Carlesso, Edaphos.

«Sortir l’eau puante de son cercueil»

Rivière née de ruissellements au pied du Salève, en Haute-Savoie, et qui alimente l’Arve un peu avant sa jonction avec le Rhône, l’Aire eut dès la fin du XIXe siècle un cours corseté, canalisé, une ligne droite bordée de peupliers, conçue pour gagner des terres cultivables. Les travaux ont continué dans les années 1930, pour éviter les débordements réguliers causés notamment par la déforestation. Au total, l’Aire sera endiguée sur près de 5 km, soit la moitié de son parcours sur sol genevois. En fin de compte, on a mis la rivière «dans un long cercueil de béton, raide, l’œil creux, puante». Voilà ce que dénonçait déjà en 1936 le naturaliste genevois Maurice Blanchet. Il faudra attendre 60 ans pour que l’on se rassemble au chevet de l’agonisante. «En 1997, le Canton modifie la loi sur les eaux et crée un Fonds de renaturation, permettant des plans d’action pour nos rivières», rappelle Francis Delavy, de l’Office cantonal de l’eau. En 2001, le projet de Superpositions, groupe pluridisciplinaire piloté par l’architecte-paysagiste Georges Descombes, sera retenu sur concours. Les travaux commencent l’année suivante sur un trajet pilote dans les communes d’Onex et de Confignon et se poursuivent dès 2006 sous la houlette du consortium Induni-Scrasa.
Pour redonner de l’espace au cours d’eau et réaliser ce qui est un véritable projet d’aménagement du territoire, quinze hectares ont été pris sur les terres agricoles, (par achat ou accords de relocation). L’autorisation de construire des serres assure un rendement identique aux producteurs. Coût total de l’épopée de renaturation pour l’Etat de Genève: 80 millions de francs.

Ode à la liberté

C’est désormais un trajet au fil de l’eau où herbes, roseaux, arbustes, arbres à bois dur attirent tout une faune spécifique. S’y promener, c’est aussi découvrir la nouvelle façon de libérer un cours d’eau. Le projet de Superpositions n’a pas fait table rase du passé. Ainsi, l’Aire d’aujourd’hui juxtapose le canal comblé sur certains tronçons, agrémenté de terrasses et pergolas, et des méandres favorisées par le façonnage du nouveau lit en une série de losanges. Une audace. La rivière mord peu à peu ces dessins trop réguliers qui lui ont été offerts comme une impulsion, pour qu’elle choisisse son chemin comme elle l’entend. Se conjuguent ainsi un intérêt culturel, historique, esthétique et une gestion heureuse d’une rivière redevenue source de diversité biologique. Le projet honoré par le Prix du Conseil de l’Europe en 2019 a reçu plusieurs autres distinctions suisses et internationales. Georges Descombes a pour sa part reçu le Grand Prix suisse d’art 2021.

Viviane Scaramiglia

GROS PLAN

Les étapes

 

2002-2006
Tronçon pilote du pont des Marais, Confignon, au pont du Centenaire, Onex. Création de méandres, d’une passerelle et d’un marais pour les batraciens. Le pont de Lully a été agrandi pour donner plus de liberté à la rivière.
Aire I – 2008-2009
Travaux du Club de tennis de Perly-Certoux au pont de Lully.
Aire II – 2009-2010
Suite à l’inondation de 2002 à Lully, réalisation d’une digue pour protéger le village contre tout risque de nouvelles inondations. Une parcelle de 30 000 m2 a été rendue à la nature.
Aire III 2012-2014
Création d’une zone tampon protégeant le quartier des Cherpines et la zone du PAV. Excavation du lit de la future rivière, aménagement de zones de promenade.
Aire IV 2021-2022
Dernier tronçon, du village de Certoux à la frontière française. Reprise en sous-œuvre du pont routier de Certoux, protection des berges par enrochements bétonnés, création d’un plan d’eau. Une passerelle piétonne sera bientôt installée au pont.