Les fresques des salles de garde sont moins «sans-gêne».

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La médecine a-t-elle de l’avenir?

20 Nov 2024 | Articles de Une

Parmi les «plus beaux métiers du monde», le médecin est resté longtemps sur le podium: il cumulait le prestige de la science et l’altruisme du sauveur. Le présent texte ne va pas compter les points pour voir si cette image est surfaite. Mais il va signaler deux ou trois colloques genevois récents mettant à nu la crise – ou même le désarroi – d’une médecine qui implose sous le poids de sa science.

Le soussigné – pourtant coutumier du «sus à l’icône» – fut lui-même surpris par la violence de l’attaque: c’était le 27 septembre à l’Hôpital, lors d’une
demi-journée sur l’avenir du système de soins d’un pays riche comme la Suisse (hug.ch/evenement/notre-systeme-sante-enjeux-actuels-futurs). Curieux: ce colloque était mené par des anesthésistes, décidés cette fois à réveiller le monde plutôt qu’à l’endormir! Parmi les orateurs – lucides sur «l’impasse de notre politique de santé» -, l’un a battu le record de pessimisme, voire de… masochisme.
Respecté en France au point d’être une autorité officielle de l’éthique médicale, le professeur Marc Samama a brossé un tableau affolant de la recherche médicale. On savait que des ambitieux sombraient parfois dans la fraude; on connaissait la course aux publications, qui oblige à faire du remplissage; mais selon les chiffres alignés à l’écran par ledit professeur, c’est le gros de la recherche qui est gangrénée depuis des lustres par le plagiat et le truquage.

La ruée vers… quoi?

Pourquoi ce cri de colère, qui fut en fait un cri d’alarme? «Si nous ne prenons pas d’urgence le problème à bras le corps, nous allons le payer très cher assez vite». On l’a dit plus haut, ce n’est la faute à personne: c’est systémique, car la plupart des médecins et des chercheurs sont aussi braves que savants. C’est vrai dans la médecine du corps, et dans celle des âmes: à un récent congrès sur les «troubles de l’attention» (tdah2024.org), on était impressionné par «l’engagement» de ces professionnels de la santé de tous ordres (et par le nombre – le matin dans la file à l’entrée – tant le sujet est chaud). Mais si ces gens sont prêts à travailler jour et nuit sans répit pour leur cause, on hésitait sur la morale à tirer: cette cause est-elle celle des patients et d’une bonne cure, ou celle d’un domaine en plein «boom» qui donne du boulot? Dans la médecine psy, les effets de mode et le flou des impacts sont encore plus grands qu’ailleurs.

La suffisance n’est pas suffisante

Si la taille des hôpitaux, la concurrence entre chercheurs, la lourdeur des formations… font de la médecine actuelle un navire pénible à manœuvrer, l’engin pourrait bien avoir aussi un ou deux vices de conception. Une soirée organisée par les étudiants en pharmacie – hasard: elle aussi sur les troubles de l’attention – a laissé le soussigné perplexe. Par le côté interactif de ce colloque junior, tout d’abord, qui tranchait avec le cérémonial académique normatif (voir pharmasee.ch; le 29 octobre en collaboration avec l’OFAC et Visana; et aussi agenda.unige.ch/events/view/40919).
Mais c’est surtout quand ces étudiants eurent livré leurs motivations que la surprise atteignit son comble. «Pourquoi on organise de telles soirées? Parce que face aux profs, on n’ose pas prendre la parole». Mais la suite en dit encore plus long: «Pourquoi avons-nous opté pour des études en pharma plutôt qu’en médecine? Parce que nous aimons la science!». Ah! et pas les médecins? La franchise de ces jeunes a laissé le journaliste bouche bée, mais son tympan a vibré au verdict… cité ici de mémoire sans trop d’excès. «Les médecins pensent en savoir des tonnes, mais leur science est fragile: pour eux, la recherche est juste un plus en quête de gloire et en fins de mois». Tout ceci était dit sans penser à mal; juste comme des évidences que seul pouvait ignorer un journaliste. A ce moment revint en mémoire dudit journaliste une autre phrase entendue au premier colloque cité plus haut: «Le corps médical est désormais fait de vieux messieurs au seuil de la retraite et de jeunes femmes pleines d’allant». Il ne fut pas précisé si c’est là une victoire de l’égalité des genres ou une revanche d’ambitions débridées.

Main tendue ou contre-attaque?

Sans ce bref échange avec les étudiants du Cercle, la tenue du congrès d’«implémentation» (unige.ch/impact2024) n’aurait pas livré toutes ses clefs. Le soussigné n’y a pas assisté, et s’est contenté d’un dialogue éclair avec l’initiatrice, pharmacienne elle aussi: le congrès était destiné aux agents d’institutions sanitaires capables de se le payer. Mais il avait été annoncé par le journal de l’Uni, et le programme détaillé en disait long sur l’urgence à «combler le fossé entre le savoir et l’action». En fait, l’«Implementation Science» ne concerne pas que la santé: l’environnement ou l’action sociale, par exemple, est aussi une de ses préoccupations. Sa déclaration d’intention est formulée de manière à ne vexer personne, mais on y parle tout de même de «réduire le gaspillage en recherche» et de mieux identifier les «preuves scientifiques».
En résumé, on ne fait pas ici le procès de la médecine, et encore moins celui des médecins. Nul ne nie que la médecine ait fait des miracles au cours des deux derniers siècles. Mais on ne peut nier non plus que le «système» soit en crise: le nôtre brille encore aux yeux des pays pauvres, mais les médias ne croient plus en la survie de nos hôpitaux. La seule chose que dit en plus cet article – sur la base des trois rencontres citées -, c’est que la science médicale elle-même est malade d’indigestion.
En fouinant dans les vieux livres aux puces, on découvre qu’au XVIIe siècle déjà – dans l’esprit de l’antique Galien – des médecins prenaient la plume pour rendre la médecine et la chirurgie accessibles aux indigents ruraux, alors qu’elle était devenue le fief des médecins de Cour et des marchands d’ingrédients exotiques à prix d’or.

 

Boris Engelson

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