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Protection du patrimoine ou énergie solaire?

La justice genevoise soutient l’installation de panneaux photovoltaïques

9 Nov 2022 | Articles de Une

Protection du patrimoine ou promotion des énergies solaires? La balance de la Justice, en l’occurrence genevoise, vient de pencher très nettement en faveur de l’installation de panneaux photovoltaïques performants, et cela même dans le cadre d’un village situé en zone protégée.

La Justice vient de pencher très nettement en faveur de l’installation de panneaux photovoltaïques performants.

Cette décision de Justice a été rendue par la Chambre administrative de la Cour de justice de Genève, en date du 23 août 2022. Et son aspect le plus surprenant réside dans le fait que la Cour de justice n’ait pas suivi le préavis contraire émis par le Service des monuments et des Sites (ci-après: SMS) sur ce sujet. On doit cette quasi-révolution de Palais à un viticulteur de Lully.
Ce dernier avait en effet demandé à pouvoir poser sur le toit d’une grange une installation photovoltaïque de couleur noire, celle-ci étant plus performante que celles de couleur tuile. Le problème? La grange de notre viticulteur se situe à Lully, soit dans une zone villageoise protégée.

Opposition du SMS

Dans le cadre de la procédure d’autorisation, le SMS avait exigé dans son préavis que la couleur des panneaux photovoltaïques soit de couleur tuile et non pas de couleur noire comme prévu dans le projet.
A ce propos, le SMS a considéré que l’installation photovoltaïque noire envisagée par la requête d’autorisation de construire ne s’intégrait pas suffisamment dans le paysage du village, situé en zone 4B protégée. De ce fait le SMS exigeait que les panneaux photovoltaïques soient de couleur «tuile».
Le préavis du SMS a été suivi par le Département du territoire (ci-après: DT), lequel a certes délivré l’autorisation de construire sollicitée, mais aux conditions imposées par le SMS, soit une installation photovoltaïque de couleur tuile et non pas noire.
Or cette décision du DT ne faisait pas l’affaire de notre viticulteur. En effet les panneaux photovoltaïques de couleur tuile exigés par le SMS présentaient, par rapport à ceux envisagés par le viticulteur, le triple inconvénient:
• d’entraîner un surcoût de près de 75%;
• d’avoir un rendement inférieur;
• et, au final, d’entraîner un coût par kWh produit revenant quasiment au double.

Le SMS déjugé par la Cour
de justice

Fort de cet amer constat, notre viticulteur a saisi le Tribunal administratif de première instance (ci-après: TAPI) d’un recours contre la décision du DT. Mais sans succès. Le TAPI a en effet jugé qu’il convenait de suivre à la lettre le préavis émis par le SMS.
Ce jugement n’a toutefois pas découragé notre viticulteur qui s’en est allé frapper, par un recours, à la porte de la Cour de justice. Et bien lui en a pris. En effet, par son arrêt du 23 août 2022, la Cour de justice a annulé le jugement rendu par le TAPI, ainsi que la condition imposée par le SMS.
L’arrêt de principe rendu par la Cour de justice s’étant avéré juridiquement fort bien motivé, aucun recours auprès du Tribunal fédéral n’a finalement été interjeté à son encontre. Cet arrêt est donc devenu définitif et exécutoire. Le viticulteur est par conséquent au bénéfice d’une autorisation en bonne et due forme, lui permettant de poser l’installation photovoltaïque de son choix.

CMNS: préavis jugés «dogmatiques à l’extrême»

Comment se fait-il que, dans le cas d’espèce, la Cour de justice n’ait finalement pas tenu compte du préavis du SMS? Cette décision est d’autant plus surprenante qu’en général, les tribunaux se montrent très réticents à contester les préavis émis par des services et commissions spécialisées comme le sont la CMNS et le SMS.
Cela étant, cette habituelle retenue des tribunaux par rapport aux préavis émis notamment par la CMNS et le SMS a parfois, mais très rarement, été remise en cause par les tribunaux eux-mêmes. Le cas le plus récent remonte à un arrêt de la Cour de justice du 27 novembre 2018, par lequel cette autorité avait finalement admis un projet d’installation de panneaux solaires sur l’intégralité d’une toiture dans un village genevois. Et cela totalement à l’encontre du préavis émis à l’époque par la Commission des monuments, de la nature et des sites (ci-après: CMNS).
A l’occasion de cet arrêt, la Cour de justice avait expressément expliqué qu’elle n’entendait pas suivre le préavis de la CMNS, tant celui-ci lui paraissait «dogmatique à l’extrême». Or ce genre de considérant à l’égard d’un préavis est plutôt rare dans le cadre d’une décision de justice.
Cela dit, dans le cas de notre viticulteur de Lully, la Cour de justice ne s’est toutefois pas montrée aussi sévère à l’égard du préavis du SMS, bien qu’elle ne l’ait pas suivi.
En revanche, la Cour de justice a fait un examen exhaustif et approfondi de la pesée d’intérêts entre le critère esthétique défendu par le SMS et la nécessité de développer l’énergie solaire sur les constructions existantes et cela même en zone protégée.

Energie solaire contre protection du patrimoine

Dans ce nouveau cas d’espèce, le Département du territoire a soutenu que le préavis du SMS devait être suivi pour les motifs suivants:
• le projet de panneau photovoltaïque concerne un bâtiment situé dans un village classé, en zone protégée;
• ce bâtiment a été recensé comme «intéressant» et se situe dans un ensemble rural de valeur patrimoniale élevée;
• ce bâtiment est particulièrement visible depuis la route.
Or, après une analyse approfondie de ces arguments, la Cour de justice a de son côté finalement considéré que:
• la seule implantation d’un projet de panneaux photovoltaïques, même de couleur noire, dans une zone protégée ne suffit pas à justifier un refus pour des considérations purement esthétiques;
• les bâtiments concernés par le projet ne bénéficient d’aucune protection de la Loi genevoise sur la protection des monuments, de la nature et des sites (LPMNS), telle qu’une mise à l’inventaire ou un classement;
• ces bâtiments sont certes inventoriés dans le recensement architectural cantonal (RAC), mais seulement avec la mention «intéressant» (et non «exceptionnel»);
• la visibilité de l’installation depuis la route doit être relativisée, puisque le bâtiment est situé derrière des arbres;
• des installations photovoltaïques apparaissent déjà sur d’autres parcelles voisines, ce qui a été constaté lors d’un transport sur place.
Avec ces considérants, la messe semble déjà être dite.

Tribunal fédéral et Cour de justice: priorité à l’énergie solaire

Mais la Cour de justice s’est également référée aux derniers arrêts du Tribunal fédéral, qui avait expressément admis que l’approvisionnement du pays en énergie, lequel a d’ailleurs pris une importance accrue ces derniers mois, constituait un intérêt public prépondérant.
Par ailleurs la Loi fédérale sur l’aménagement du territoire (ci-après: LAT) prévoit expressément (à l’art. 18a alinéa 4) que: «Pour le reste, l’intérêt à l’utilisation de l’énergie solaire sur des constructions existantes ou nouvelles l’emporte en principe sur les aspects esthétiques». Voilà qui est clair!
Or, le Tribunal fédéral a confirmé que cette disposition de droit fédéral s’imposait directement aux autorités cantonales. Et cette règle doit également s’appliquer dans les zones protégées selon le droit cantonal genevois, soit, pour le cas d’espèce, dans la zone 4B protégée. Il en découle qu’en cas de pesée d’intérêts, la promotion de l’énergie solaire l’emporte largement sur les aspects esthétiques, sauf dans des cas exceptionnels, qui devront toutefois être largement et précisément étayés.
Or, en l’espèce, la Cour de justice n’a pas jugé que cette condition d’un cas exceptionnel, permettant de s’opposer à l’installation photovoltaïque envisagée par le recourant, était réalisée. Ce d’autant moins que, selon la Cour de justice, il convient actuellement de tenir largement compte, dans le cadre de la pesée d’intérêts, des récents développements géopolitiques et des craintes qui leur sont liées, telles qu’elles ont été exprimées par le Conseil fédéral à propos de l’approvisionnement de la Suisse en énergie.
Dans le cas d’espèce, la Cour de justice a par conséquent jugé que le refus d’autoriser, pour des raisons esthétiques, l’installation des panneaux photovoltaïques noirs sur la grange du viticulteur ne se justifiait pas. Cela d’autant moins que les panneaux en question s’avèrent largement plus rentables, tant en termes de production d’énergie que d’investissement financier, que les panneaux de couleur tuile préconisés par le SMS.
Dans le cadre de la pesée d’intérêts, les seules considérations esthétiques invoquées par le SMS n’étaient ainsi pas suffisantes pour faire pencher la balance en faveur d’un refus des panneaux photovoltaïques noirs envisagés par le recourant.
Cette décision de la Cour de justice ne va pas manquer de faire incontestablement jurisprudence en matière de promotion des énergies, notamment solaires.
Et cela colle avec l’actualité.

 

Patrick Blaser
Avocat associé,
Etude Borel & Barbey, Genève
patrick.blaser@borel-barbey.ch

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