/

LA CHRONIQUE JURIDIQUE de Me Patrick Blaser - Nouvelle jurisprudence

La justice encourage les travaux de rénovation

18 Sep 2024 | Articles de Une

Le Tribunal fédéral vient d’établir une nouvelle jurisprudence en matière de hausse de loyers lorsque celle-ci est liée à d’importants travaux de rénovation effectués par un bailleur dans son immeuble locatif.

Par son arrêt récent (ATF 4A_75/2022 du 30 juillet 2024), le Tribunal fédéral permet au bailleur qui a effectué d’importants travaux de rénovation sur son immeuble d’augmenter les loyers en tenant compte désormais, dans le cadre de son calcul de rendement, d’un taux hypothécaire supérieur de 0,5% à 2% au taux hypothécaire de référence lorsque ce dernier est inférieur ou égal à 2%.
En clair, si, comme dans le cas jugé par le Tribunal fédéral, le taux hypothécaire de référence est de 1,5%, le bailleur peut tenir compte d’un taux hypothécaire de 3,5% (1,5% + 2%) dans son calcul de rendement lorsqu’il a effectué d’importants travaux de rénovation à plus-value.
Dans ce cadre, le Tribunal fédéral, s’est expressément fondé sur le fait que l’idée de base de la législation en matière de fixation des loyers était également d’inciter les bailleurs, dans l’intérêt des locataires, à réaliser des travaux importants de rénovation à plus-value dans leurs immeubles.

Majoration des loyers en cas de travaux: les principes de base

La législation en matière de fixation des loyers pose le principe de base selon lequel les loyers ne sont juridiquement pas valables lorsqu’ils s’avèrent abusifs, car ils procurent au bailleur un rendement excessif du bien loué.
Dans ce contexte, la loi spécifie toutefois qu’un loyer ne peut pas être qualifié d’abusif lorsqu’il est justifié, notamment, par des hausses de coûts ou par des prestations supplémentaires du bailleur.
Sont considérés en particulier comme constituant des prestations supplémentaires de bailleur les investissements du bailleur dont il résulte des améliorations créant des plus-values à l’objet loué.
Il en résulte que le bailleur peut majorer le loyer à chaque fois qu’il procède à des travaux de rénovation qui améliorent la qualité de l’objet loué et en accroissent la valeur, cela toutefois dans la mesure où ces travaux ne peuvent pas être considérés comme de simples travaux d’entretien, soit ceux qui ne visent qu’à maintenir l’objet loué dans un état conforme à son état initial.
Cela étant, lorsque d’importants travaux de rénovation sont entrepris dans un immeuble, il est souvent difficile de pouvoir distinguer les améliorations à plus-values, justifiant une hausse de loyer, des travaux d’entretien qui doivent être couverts par le loyer actuel.
Pour pallier cette difficulté, la législation prévoit qu’en règle générale, les frais occasionnés par d’importantes rénovations doivent être considérés, à hauteur de 50% à 70%, comme correspondant à des travaux à plus-values.
De telles rénovations sont celles qui sont de nature à moderniser l’immeuble concerné et à le faire perdurer. Ces travaux de rénovation dépassent les réparations habituelles et l’entretien courant.
En général, ces travaux de rénovation concernent une grande partie de l’immeuble et entraînent des coûts considérables, sans commune mesure avec l’état locatif de l’immeuble.
Les hausses de loyer fondées sur des travaux de rénovation entraînant des plus-values ne sont pas abusives lorsqu’elles couvrent l’amortissement, les frais d’intérêts et l’entretien résultant de l’investissement.

Le cas concret jugé par le Tribunal fédéral

Dans le cas concret jugé par le Tribunal fédéral, le bailleur est propriétaire à Genève d’un immeuble construit en 1920 et comprenant 24 appartements. Les locataires concernés par la procédure sont au bénéfice d’un bail conclu en 1983, portant sur un appartement de 5 pièces.
Le bailleur a entrepris des travaux de rénovation sur son immeuble en 2000 (rénovation des façades, fenêtres, stores, chauffage à mazout), puis en 2009 (modernisation de l’ascenseur).
En 2012, le bailleur avait notifié aux locataires un avis de majoration du loyer, entré en vigueur, comprenant notamment:
• une proposition d’un nouveau bail de 5 ans au loyer indexé, renouvelable de 5 ans en 5 ans;
• une réserve du bailleur de pouvoir majorer le loyer en cours de bail, en cas de «prestations supplémentaires», en plus de l’indexation du loyer à l’indice suisse des prix à la consommation (ISPC).
Par la suite, en 2015, le bailleur a obtenu une autorisation de construire portant sur de nouveaux travaux de rénovation de son immeuble, concernant les cuisines, les salles de bains et les conduites sanitaires, ainsi que diverses mises aux normes.
Les travaux de rénovation ont été exécutés d’août 2015 à novembre 2016, pour un coût total de CHF 2’449’069. Avant travaux, l’état locatif de l’immeuble s’élevait à CHF 349 920.-
En 2019, le bailleur a notifié aux locataires un avis de majoration portant leur loyer annuel de CHF  10  860.- à CHF 17 025.-. L’avis de majoration de loyer invoquait à titre de motivation «les prestations supplémentaires du bailleur», soit les travaux de rénovation effectués en 2015 et 2016.

Il devient intéressant de rénover.

La saga judiciaire

Les locataires ont contesté la hausse de leur loyer par-devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers et demandé une baisse de loyer en raison de la baisse du taux hypothécaire de référence (de 2,25% à 1,5%). Saisi du litige, le Tribunal des baux et loyers a fixé le loyer annuel de l’appartement à CHF 13 404.-.
Les locataires ont interjeté appel contre ce jugement auprès de la Chambre des baux et loyers de la Cour de Justice, qui a revu l’augmentation de loyer à la baisse en le fixant à CHF 11 820.-. Le bailleur a dès lors saisi le Tribunal fédéral et conclu à la confirmation du jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers.
Et dans le cas d’espèce, ce qui mérite d’être souligné tant cela n’est pas fréquent, le Tribunal fédéral a annulé l’arrêt de la Cour de Justice pour confirmer celui rendu par les premiers juges en fixant le loyer à CHF 13 404.-.
Mais ce qui est surtout intéressant dans cet arrêt, c’est que le Tribunal fédéral a établi une nouvelle jurisprudence, permettant expressément aux bailleurs de mieux rentabiliser leurs travaux de rénovation à plus-value en retenant un taux hypothécaire supérieur à celui de référence.

Nouvelle jurisprudence du Tribunal fédéral

Dans le cas d’espèce jugé par le Tribunal fédéral, les parties ont admis que les travaux effectués par le bailleur correspondaient bien à une importante rénovation de l’immeuble et que ceux-ci correspondaient à des travaux de plus-value à hauteur de 50%.
L’amortissement et l’entretien justifiant une partie de la hausse de loyer n’a pas non plus été remis en question. En revanche, c’est le calcul de la répercussion sur le loyer des intérêts d’investissement à plus-value qui a été remis en cause.
Dans ce cadre, le Tribunal fédéral a jugé qu’il convenait de se référer à sa jurisprudence récente selon laquelle le taux de rendement admissible du capital investi par le bailleur pouvait être porté de 0,5% à 2% en plus du taux de référence, dans la mesure où ce taux de référence était égal ou inférieur à 2%.
Confirmant cette récente jurisprudence, et après une solide analyse de la doctrine récente en la matière, le Tribunal fédéral a en outre finalement jugé que celle-ci pouvait également être appliquée au rendement de la part de l’investissement constitutif de plus-value en cas de travaux importants de rénovation.
A l’appui de sa décision, le Tribunal fédéral a expressément rappelé que cette méthode de calcul, qui s’inscrit dans le cadre des dispositions légales applicables en la matière, a pour vocation de ne pas dissuader les bailleurs de rénover leurs anciens bâtiments, et même de les inciter à le faire.
Cette méthode de calcul quant à l’augmentation du rendement possible en cas de travaux à plus-value est en effet, selon le Tribunal fédéral, conforme au but visé par le législateur, puisqu’elle est de nature à inciter d’avantage les bailleurs à entretenir leurs immeubles et à effectuer en même temps des travaux de rénovation, cela dans l’intérêt bien compris des locataires.
Cela d’autant plus, comme le précise le Tribunal fédéral, que cette méthode de calcul n’entraîne en réalité qu’une hausse modérée des loyers.

Taux hypothécaire c/ISPC?

La seconde question jugée par le Tribunal fédéral était celle de savoir si, dans le cadre d’un bail à loyers indexés comme dans le cas d’espèce, le locataire pouvait demander une réduction de loyer en invoquant une baisse du taux hypothécaire de référence lorsque le bailleur notifiait une hausse de loyer liée à des travaux de rénovation, soit des prestations supplémentaires.
A titre préalable, le Tribunal fédéral a rappelé que le loyer d’un bail formellement indexé à l’ISPC ne pouvait pas être augmenté par d’autres facteurs d’adaptation de loyer tels que, par exemple, l’évolution du taux hypothécaire de référence.
Le Tribunal fédéral prévoit toutefois une exception à cette règle, en admettant qu’une majoration de loyer puisse également être justifiée par des prestations supplémentaires du bailleur, tels des travaux de rénovation, mais cela dans la seule mesure où le contrat de bail stipule expressément cette possibilité.
A ce propos le Tribunal fédéral souligne que les parties, en concluant un bail indexé à l’ISPC, renoncent expressément à se prévaloir d’autres facteurs de hausse ou de baisse. Les parties peuvent toutefois prévoir une exception, celle d’une augmentation de loyer liée à des prestations supplémentaires comme des travaux de rénovation.
Cela étant, le Tribunal fédéral met en exergue que cette possibilité ne constitue qu’une exception spécifique et non pas une brèche dans le système du bail indexé permettant d’introduire d’autres facteurs de hausse ou de baisse de loyer.
Selon le Tribunal fédéral, il résulte de ce qui précède que le locataire au bénéfice d’un bail indexé qui s’oppose à une augmentation de loyer justifiée par des travaux de rénovation ne peut pas invoquer à cette occasion une baisse de loyer, au motif que le taux hypothécaire de référence aurait baissé.
Néanmoins, c’est à l’expiration de la durée du bail indexé, soit au terme de la période d’indexation, que les parties pourront invoquer ces autres facteurs de hausse, respectivement de baisse.
Par conséquent, le Tribunal fédéral a débouté les locataires de leur demande de baisse de loyer fondée sur la baisse du taux hypothécaire de référence.

 

Patrick Blaser
Avocat associé de l’Etude Borel & Barbey, Genève
Juge assesseur au Tribunal administratif
de première instance
patrick.blaser@borel-barbey.ch

Patrick Blaser.