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La densification de la zone villas à Genève: quels enjeux?

13 Nov 2024 | Articles de Une

Canton exigu avec ses 282 km2, Genève devrait compter 110 000 habitants de plus d’ici 2050, ce qui comporte le risque d’une pénurie de logements majeure. Faut-il valoriser l’utilisation du sol en densifiant la zone 5, dite zone villas? Si oui, il est essentiel de s’assurer que l’offre résidentielle soit adaptée aux spécificités de chaque quartier. Mais il s’agit aussi de considérer les alternatives au développement de cette zone. Les intervenants au déjeuner-débat, organisé par l’Association professionnelle des gérants et courtiers en immeubles de Genève (APGCI), ont exploré les différentes facettes de ces questions. L’événement – animé par Thierry Oppikofer, directeur du Journal de l’Immobilier – s’est tenu au Restaurant Les Vieux Grenadiers, en présence d’une soixantaine de professionnels de la branche.

Thierry Oppikofer (Journal de l’Immobilier), Christophe Aumeunier (CGI), Stéphane Penet (CGI), Romain Lavizzari (APCG), Pascal Uehlinger (conseiller adminstratif de Thônex).

Avant de débattre, il faut poser les jalons. Christophe Aumeunier, secrétaire général de la Chambre genevoise immobilière (CGI), a retracé le mouvement de densification de la zone villas à Genève. Adoptée le 9 mars 1929, la première Loi sur les constructions et installations diverses (LCI) comporte cinq zones; la 5e zone comprend les villas et «tout le reste», c’est-à-dire la zone agricole. En 1940, la LCI est modifiée afin de séparer la zone villas de la zone agricole. L’indice d’utilisation au sol (IUS) – qui permet de mesurer l’intensité de l’utilisation du sol, soit le rapport entre les surfaces de plancher et la surface de la parcelle – est déterminé à 0.2.
Dans les années nonante, des députés PLR et socialistes font alliance: la loi du 17 novembre 1994 maintient les mêmes conditions qu’auparavant, mais prévoit des dérogations (article 59, al. 4).
A cette époque déjà, le Département en charge du territoire pouvait donc autoriser exceptionnellement un projet en ordre contigu ou sous forme d’habitat groupé. Une nouvelle modification de la loi voit le jour le 30 novembre 2012, proposée notamment par Olivier Jornot et Christophe Aumeunier: elle autorise une densité supérieure à la densité usuelle pour les parcelles de plus de 5000 m2 et pour les projets au standard de performance énergétique reconnu «si les circonstances le justifient et que la mesure est compatible avec le caractère, l’harmonie et l’aménagement du quartier». L’objectif du législateur est de faciliter la production de logements dans la zone 5, afin de répondre à l’importante pénurie des années 2010, sans passer par une modification de zone.
Le succès est au rendez-vous: entre 2014 et 2018, le nombre de logements construits annuellement en zone villas à Genève passe d’environ 460 à 1300 unités. Six communes (Thônex, Vandoeuvres, Collonge-Bellerive, Chêne-Bougeries, Troinex et Veyrier) accueillent la moitié de cette production de logements directement issue des dérogations de la LCI. Face à cette densification rapide et aux réactions populaires et des communes, l’Etat «gèle», pendant un certain temps, les dispositions dérogatoires de la loi.

La fin du moratoire

Pour répondre aux enjeux de qualité et de gestion du territoire, le Grand Conseil adopte le 1er octobre 2020 une mise à jour de la LCI (texte de loi porté par Cyril Allen et Francine de Planta).
La principale nouveauté consiste à limiter l’application du régime de densité dérogatoire, soit l’octroi d’un indice de construction supérieur à l’indice ordinaire, aux «périmètres de densification accrue» qui devront être déterminés par les communes dans leur Plan directeur communal (PDCom) révisé. L’idée est de voir les constructions plus denses regroupées et d’éviter un mitage de la zone villas. En outre, la notion de préservation de pleine terre est introduite; une valeur de 40% de pleine terre doit être ciblée. S’ajoute l’indice de verdure (IVER), un outil visant à quantifier les effets de la construction sur l’environnement et qui prend en compte la surface en pleine terre, la stratégie végétale, la gestion de l’eau. «Ces objectifs, bien que vertueux, posent régulièrement des difficultés d’application», note Christophe Aumeunier. En outre, une taxe d’équipement est prélevée afin de participer au financement des coûts liés aux infrastructures publiques, induites par la densification.
En 2021, une «Marche à suivre pour la densification de la zone villas. Modalités d’application du nouvel article 59 de la LCI» est éditée à l’intention des promoteurs et développeurs. Le document décrit les exigences auxquelles les projets de construction et les PDCom doivent se conformer pour une densification de la zone 5. Il décrit également la manière dont les dossiers de demandes d’autorisation de construire sont instruits, avec et sans dérogation de densité. Les communes doivent définir des secteurs de densification nuancée, soit de faible densité (IUS entre 0.25 et 0.3, sans dérogation) pour les lieux sensibles, présentant des qualités paysagères et/ou des éléments patrimoniaux; à densifier (0.3-0.6, avec dérogation), sous condition; à densifier (de 0.6 à plus) avec modification de zone.

Thônex: des principes
reproductibles

La commune de Thônex connait une forte mutation de ses quartiers de villas qui représentent 70% des zones constructibles communales. Face à cette tendance, le passage de l’habitat individuel à groupé pose des questions de qualités urbaine et paysagère. Dans certains secteurs identifiés comme potentiellement densifiables, la Commune a consulté les propriétaires d’un groupe de parcelles en les encourageant à favoriser un regroupement foncier. Comme l’a expliqué le conseiller administratif de Thônex Pascal Uehlinger, il s’agissait de convaincre les architectes d’élaborer un plan qui permette une évolution, si le regroupement parcellaire venait à être effectif. Ainsi, l’IUS a pu être augmenté à 0.6 en surdimensionnant le sous-sol et en prévoyant des entrées en bordure de parcelle pour des parkings mutualisés.
Autre initiative communale déployée sur une parcelle de 15 000 m2: un plan localisé de quartier (PLQ) a été adopté, ce qui est peu habituel en zone villas. Cet outil d’urbanisme permet une dérogation au gabarit. Il en résulte la construction d’un immeuble de quatre étages, soit 84 logements (IUS de 0.6), synonyme de poumon financier pour la commune. «Cela a eu l’avantage d’éviter un déclassement en zone de développement. La Ville de Thônex aurait mis les pieds contre le mur et la procédure aurait duré des années, relève Pascal Uehlinger. Dans le cas présent, le PLQ a été adopté en 18 mois seulement et sans opposition. Cela peut aller très vite quand la Municipalité, l’Etat et les habitants se mettent d’accord».

La densification différenciée
à l’ordre du jour

Pour maintenir la prospérité de Genève, il s’agit de développer le canton de manière raisonnée et qualitative. Si tous s’accordent sur cet objectif général, des nuances dans les positions se font toutefois sentir entre les participants à la table ronde. Pour les représentants de la Chambre Genevoise Immobilière, soit Christophe Aumeunier, rejoint par le président de la CGI Stéphane Penet, le développement ne doit pas se cantonner à la zone villas. Une revitalisation des zones urbaines est une priorité avec, à la clef, des gabarits d’immeubles plus élevés, des surélévations et, en corollaire, des espaces publics plus généreux et de meilleure qualité. Chacune des zones du canton doit contribuer à soutenir une croissance raisonnée. En ce sens, la CGI prône un déclassement limité de la zone agricole, une zone qui couvre 45% du territoire cantonal et comprend à la fois des surfaces d’assolement et d’autres moins importantes: «Nous n’arriverons pas aux 2800 logements construits par an, nécessaires pour répondre à l’évolution démographique, notamment une fois que les grands projets comme Belle-Terre ou le PAV seront livrés». Le débat a également porté sur le déclassement de zones villas, en particulier pour celles qui sont enclavées en ville ou à proximité des nœuds de transport: pourquoi le Canton ne trouve-t-il pas les moyens de rendre ces changements d’affectation possibles?
Du côté de l’Association des promoteurs-constructeurs genevois (APCG), représentée par son président Romain Lavizzari, l’essentiel de l’effort est à engager sur la zone à bâtir existante dont la zone villas, sans pour autant négliger la zone agricole où des déclassements limités sont à envisager. Dans l’intérêt collectif, il est important de ne pas «gaspiller» la ressource qu’est le sol, une déclaration qui s’aligne avec le nouveau Plan directeur cantonal (PDCn). «Evitons de faire un amalgame de la zone villas, insiste Romain Lavizzari. Une hiérarchisation des secteurs est nécessaire: certains peuvent accueillir une densité importante, alors que d’autres doivent rester pavillonnaires, avec entre deux, une densité moyenne. Cependant, dans les zones définies comme densifiables, il serait bon d’intervenir de manière beaucoup plus soutenue que c’est le cas aujourd’hui». Pour chaque contexte, il s’agit de trouver le juste équilibre entre construction de nouveaux logements et préservation de l’environnement et du patrimoine. Un urbanisme et une architecture adaptés permettront de densifier en harmonie avec l’existant. Car c’est le projet qui rend la densité désirable, que l’on soit au centre-ville ou en zone villas.
Dans la salle, des voix s’élèvent pour émettre des idées, suggestions qui mériteraient d’être relayées auprès du Département du territoire pour être explorées davantage. Pourquoi ne pas développer les villages (zone 4) de manière concentrique comme l’ont fait, de tout temps, les villes? D’autres s’interrogent sur une suppression de l’IUS pour tenir compte uniquement du gabarit des constructions. Enfin, pourquoi ne pas «négocier» à la baisse le coefficient de pleine terre en mettant à disposition des véhicules partagés et électriques? Autant de questions qui ont animé les discussions bien au-delà du repas.

 

Véronique Stein

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