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architecture - Carouge se construit

La Cité Léopard rugit à nouveau

18 Déc 2024 | Articles de Une

Située à l’est du Vieux-Carouge/GE, la Cité ouvrière du Léopard a cédé la place à un ensemble d’immeubles dont la construction s’achèvera d’ici quelques semaines. Avec sa forme en îlot et la part belle accordée au bois sur la façade intérieure, l’ensemble d’habitation se déploie dans le respect et la mise en valeur de l’identité du site. Alors que les rez sont occupés par des activités, les étages sont, quant à eux, destinés à 284 logements s’ouvrant sur la cour-jardin, au calme et à l’ombre des arbres. Une atmosphère aux airs méditerranéens en plein centre urbain!

De majestueuses arches constituent les seuils d’entrée à la Cité, créant une transition entre l’échelle du voisinage et l’échelle domestique.

Le secteur Est de Carouge s’étend entre l’Arve et le relief de la Moraine de Pinchat. Datant de la seconde moitié du XIXe siècle, ce quartier était essentiellement constitué d’un tissu artisanal et industriel. Il se caractérise aujourd’hui par la présence de ces anciennes structures, de villas et de logements sociaux. Maillon essentiel du développement territorial de Carouge, le secteur présente un fort potentiel de renouveau, notamment avec le passage du Léman Express. Afin d’accompagner la mutation du tissu artisanal en lieu d’habitation mixte, la Ville de Carouge s’est dotée d’un outil d’aménagement flexible: le Plan guide Carouge-Est, élaboré en 2008 par le bureau d’architectes genevois Bassi Carella.
Construite dans les années 1950 pour loger des familles ouvrières, la Cité Léopard – avec ses cinq barres de petits immeubles (162 logements) – était devenue vétuste en termes de confort, commme d’isolation énergétique et acoustique. Afin de prévoir son remplacement, la Suva propriétaire majoritaire des parcelles, lança en 2010 un mandat d’études parallèles; le bureau lausannois LocalArchitecture fut désigné comme lauréat. Son projet s’inscrit dans la stratégie de densification énoncée par le Plan guide de Carouge-Est; il s’appuie également sur la Charte de Carouge qui définit un certain nombre de caractéristiques (textures, teintes, passages, etc.) liées à l’architecture d’origine de la ville royale.

Un îlot hybride et perméable

La nouvelle Cité Léopard comprend quinze immeubles contigus, formant un pentagone et ceinturé par les rues des Moraines, de la Fontenette, du Trusquin et des Horlogers. Les travaux de construction (février 2022 à janvier 2025) ont été réalisés sous la houlette de l’entreprise totale Construction Perret, qui a également déployé son équipe de maçonnerie, tout en s’entourant de mandataires et d’entreprises/artisans spécialisés.
Le projet est porté par plusieurs maîtres d’ouvrage: la Suva, propriétaire des droits à bâtir à 84,6%; la Fondation Immobilière de la Ville de Carouge (FIVC), propriétaire de 8,45% – sur la base d’un droit de superficie mis en PPE par la Ville de Carouge – correspondant aux étages qui accueillent 26 logements de type HLM; la Ville de Carouge, qui a la propriété en PPE de deux arcades au rez-de-chaussée (1,62%); enfin, Construction Perret, qui détenait 5,33% des parcelles, soit l’allée d’immeuble de logements en PPE qui ont tous déjà trouvé preneur.
«Afin de remédier à la rupture de niveau existante, véritable cassure dans la continuité piétonne entre la parcelle et l’espace public, le nouveau square s’implante sur un terrain en pente légère qui relie le niveau bas du centre du quartier existant avec le niveau haut de la rue des Moraines, explique Antoine Robert-Grandpierre, co-fondateur de LocalArchitecture. Cette reconstitution de la topographie naturelle permet de faire profiter les espaces des rez-de-chaussée d’une vraie relation de plain-pied avec les rues autant qu’avec la cour». De majestueuses arches constituent les seuils d’entrée à la Cité, créant une transition entre l’échelle du voisinage et l’échelle domestique.

Un cœur végétalisé de quartier

Un parc en pleine terre, ponctué d’arbres de grande hauteur, occupe le centre de l’îlot; il est à la fois un lieu de détente et de rencontre pour les habitants et un cheminement public que promeneurs et cyclistes peuvent emprunter. Animé par les activités diverses qui l’entourent, il est directement accessible par les habitants des logements dont les cages d’escaliers sont traversantes. Une place de jeux anime l’espace. «L’organisation spatiale de la nouvelle Cité Léopard est une réinterprétation des îlots fermés présents dans le centre de Carouge: nous y avons ajouté une notion de porosité qui s’exprime en termes de vues, d’air et de lumière. Côté cour, une géométrie en mouvement est privilégiée, par le biais des balcons dont les formes dynamiques viennent encercler le cœur d’îlot», poursuit l’architecte. Déclinés en trois teintes, les pavés offrent des cheminements à travers la cour, tout en se prolongeant vers les passages couverts et la rue.
La Cité Léopard présente un contraste marqué entre le côté extérieur, minéral et lisse, et le côté intérieur, organique: «La façade sur rue est en béton préfabriqué panachée de teintes rougeâtres, avec des fenêtres en bois-métal et des garde-corps à barreaudage métallique, souligne le responsable du projet chez Construction Perret. Côté cour se dresse une façade préfabriquée en bois, des fenêtres en bois, des garde-corps à barreaudage également en bois, ainsi que des balcons linéaires abrités par ceux de l’étage supérieur, faisant référence aux coursives carougeoises». Intégrés à l’ensemble, les stores à lamelles sont en brun ocre, alors que des bandeaux en béton vert apportent une touche de couleur.

Une offre d’habitat augmentée

S’élevant sur six et sept étages, le complexe totalise 273 appartements locatifs, du 2 au 6 pièces (régimes ZDloc et HLM); s’ajoutent 11 logements en PPE, regroupés dans une même allée. Les appartements nord-sud sont traversants, alors que certains logements sont mono-orientés sur les corps Est et Ouest. La plupart des séjours s’ouvrent sur le jardin, les chambres se trouvant côté rue. Les logements se prolongent par de larges balcons ouverts sur le parc.
Les rez-de-chaussée sont occupés par 3850 m2 d’activités. Ces surfaces adaptables, livrées brutes et semi-aménagées (de 96 m2 à 731 m2), sont idéales pour les grandes enseignes, les artisans ou les commerçants indépendants qui souhaitent s’établir à Carouge. Selon les orientations définies par le Plan guide de Carouge-Est, les rues des Moraines et de la Fontenette, relativement passantes, présentent des activités ouvertes au public: une ludothèque et un restaurant participatif gérés par la Ville de Carouge, des locaux de sport et de détente, une cave à vin, etc.
Aménagé en sous-sol, un parking dédié aux locataires et aux occupants des commerces est accessible depuis la rue de la Fontenette; il compte 162 places pour véhicules notamment électriques, 29 places motos. «Le chantier exigu a impliqué de nombreuses contraintes (bruit, poussière, etc.), indique Construction Perret. Cependant, la circulation routière n’a pas été perturbée grâce à un cheminement qui a permis aux camions de transiter à travers le site». Parmi les autres défis relevés, citons la pose d’une natte d’étanchéité visant à isoler le bâtiment de la nappe phréatique souterraine.
En termes énergétiques, la production de chaleur sera assurée par un chauffage à distance (CAD Rive gauche de SIG). La valorisation des rejets de chaleur des activités, via une boucle d’énergie, permettra le préchauffage de l’eau chaude sanitaire. Une ventilation à double flux pour les logements et les commerces est prévue. Par ailleurs, la surface de toiture haute est recouverte de panneaux photovoltaïques pour la production d’électricité, d’une puissance totale de 240kWh associée à un Regroupement de consommateurs propres (RCP). L’ensemble bâti répondra aux labels Minergie® P et THPE.
Aux dires des premiers locataires qui ont déjà pris leurs quartiers, la nouvelle Cité a tout pour plaire. Avec ses teintes, sa matérialité et son gabarit, l’ensemble bâti s’intègre parfaitement au contexte environnant. Et son nom, le léopard, lui va à merveille: un félin qui évoque les anciennes armoiries carougeoises (voir Gros plan), tout en apportant un élan certain à la commune!

 

Véronique Stein

Les balcons en bois présentent des formes dynamiques.

GROS PLAN

Un lion qui devint léopard…

 

L’appellation «léopard» – attribuée à la Cité et à une des rues de Carouge – perpétue une erreur dans les armoiries, commise au XIXe siècle. Lorsque Victor Amédée III éleva Carouge au rang de Ville royale; il lui donna des armoiries qui représentaient un lion couché (appelé «léopard» en héraldique) au pied d’un arbre. Le lion, symbole de liberté, continua à être représenté. Or, par la suite et selon les circonstances politiques, les armoiries de la période sarde furent retrouvées et un commis eut la charge de travailler à leur restauration. L’homme, bon dessinateur, devait être fantaisiste, car il ajouta aussi des fruits rouges à l’arbre (un chêne en héraldique), qui devint un caroubier. De nos jours, deux rues (du Léopard et des Caroubiers) témoignent de cette péripétie.

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