D’aucuns reprochent au Crédit Suisse d’avoir lâché son coeur de métier pour une douce image «rose et verte».

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La banque, temple des jeux de mots

10 Mai 2023 | Articles de Une

«Diversifier accroît les gains et diminue les risques»: ce slogan – résumé ici – s’étale ces jours sur les affiches d’une banque, mais on a là surtout le credo de la finance de tous les pays sinon de tous les temps. Et si on y consacre une page dans un journal pour tous les publics, c’est qu’elle condense toutes les questions sur les vraies et fausses valeurs. Bien au-delà de la débâcle du Crédit Suisse ou des sottises de la Banque Nationale.

A quoi servent les banques? On ne va pas refaire ici leur histoire depuis les origines: on trouve dans les encyclopédies d’excellentes synthèses depuis l’Antiquité sumérienne et védique jusqu’au Krach de 1929 ou la récente Crise des «subprimes»; le Bâlois Herbert Lüthy – snobé par Google – a théorisé la Banque Protestante encore mieux que Max Weber; et si l’Université de Genève n’avait pas chassé (à l’usure) Youssef Cassis, elle serait la Mecque du sujet… au grand profit de Genève «place financière». Disons juste qu’une banque est censée mettre les avoirs à l’abri des voleurs, faire crédit au travail productif, régler les dettes à distance. A quoi s’ajoutait – jusqu’à la création de l’euro du moins – le change: simple quand les monnaies étaient du genre «peso» (à condition qu’elles soient «de bon aloi», donc pas trop… plombées); mais plus douteuse quand la valeur était une «mark».

Le fourgon blindé pour les nuls

Rien de cela n’est bien sorcier, même si au début, la banque était souvent au temple: il suffit d’un «safe» contre le vol, d’un emprunteur solvable à terme et d’un réseau de correspondants. Certes, le crédit demande d’être sagace, car si l’argent prêté est – depuis les Péreire – celui des dépôts de tiers, c’est bien à la banque de casquer quand la créance se dégonfle. Sans doute le seul plan où une banque doit savoir ce qu’elle fait, et donc celui que de moins en moins de banquiers veulent toucher. Par contre, vendre du vent fait gagner gros, d’où l’essor de la «gestion de fortune» au XXe siècle. Et c’est là qu’on revient aux risques et gains du slogan des affiches.

L’amour, grand pari

Un «gain», un «profit», un «rendement »… c’est quoi? Jadis, c’était avoir trois chèvres quand on n’en avait au départ que deux… pour peu qu’on puisse vendre la troisième: même dans la reproduction, il y a parfois crise de surproduction. C’est vrai aussi de l’or: en avoir plus dans son bas de laine quand le cours est en chute libre est-il un «gain»? Tout est relatif, en finance plus qu’ailleurs, sauf la valeur totale de la Terre… et encore. Alors dire que «diversifier» fait «gagner» est un de ces sophismes qui rapproche la finance de la religion… et pas au sens de Max Weber. «Diversifier», c’est le contraire de «sélectionner» ou «choisir»: l’avantage est grand pour un pacha qui préfère un harem diversifié à un coup de foudre éphémère… Socrate ne dirait pas le contraire et seul Toto Riina avait là une éthique sans faille… c’est du moins ce que dit la légende. Mais si «choisir» baisse le profit – à en croire le slogan -, à quoi sert le banquier? Prendre au hasard dans un chapeau – comme on l’a fait faire à des singes à titre d’essai – ou acheter «l’indice», c’est-à-dire une liste fixée par la Bourse, c’est ça, «diversifier». Certes, en misant tout sur une société miracle – comme celle de Louisiane du temps de Laws ou un titre obscur du fonds Madoff ou encore une «jeune pousse» qui rime avec Bio ou Web – on peut tout perdre. Mais si, en analysant et sélectionnant, on fait moins bien que la moyenne, c’est à désespérer de l’analyse… et ça pourrait expliquer pourquoi le petit peuple ne parie que sur les sélections sportives.

Le lapin croît plus que la chèvre

De même pour le risque, qui n’est, au fond, que l’ombre du profit: le risque, c’est le profit attendu qui n’est pas au rendez-vous. C’est sans doute le seul cadeau que nous font les banques: nous offrir deux mots là où il n’y a qu’un sens. Seuls les «contrarians» – ces experts qui défient la «tendance» – donnent à la finance son vrai sens. Plus qu’un «Nobel» comme Harry Markowitz, ce sont des incroyants comme De Candolle (lui aussi snobé par Rero), des révoltés comme Michel Santi, des farceurs comme feu Gérard Le Roux, qui rendent à la «spéculation» sa racine de «vision». Mais même en restant «classique», une banque digne de confiance remplit déjà un rôle utile, sinon (comme dit un ancien patron de Pictet & Cie), «pourquoi après tant de siècles qu’on les décrie, existent-elles encore»?

 

Boris Engelson