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Marchés immobiliers

La banque Edmond de Rothschild reste confiante

17 Nov 2021 | Articles de Une

Nos confrères du «Temps» (12.11.21) ont fait état de plusieurs rapports publiés jeudi dernier, dont ceux de la FINMA et de l’UBS. L’Autorité des marchés financiers, à l’instar de ce que la BNS souligne à rythme régulier, s’inquiète de la hausse des prix immobiliers suisses et de leur «découplage croissant de l’évolution des revenus et des prix à la consommation». «L’immobilier monte encore, l’inquiétude aussi», titre l’article du quotidien qui nous est proche. Dans ce contexte, l’analyse macroéconomique semestrielle de la banque Edmond de Rothschild, dont le Journal de l’Immobilier a eu la primeur, paraît plus pondérée, voire rassurante.

La banque privée Edmond de Rothschild dispose d’une expertise reconnue en investissements immobiliers. Jean-Christophe Delfim, en charge de la recherche sur les marchés immobiliers européens, est considéré comme l’un des meilleurs spécialistes en la matière. Tous les six mois, l’analyse du Pôle Recherche économique d’Edmond de Rothschild, portant sur six pays de l’UE, la Suisse et le Royaume-Uni, est donc très attendue. Premier constat de cette étude, ciblée comme chaque automne sur l’immobilier résidentiel (l’immobilier commercial est analysé au printemps): les prix européens ont accéléré depuis l’été 2020, de 8,3%. Toutefois, les fortes hausses sont observées aux Pays-Bas, en Allemagne et au Royaume-Uni; l’Italie, l’Espagne et la Suisse affichent de moins fortes progressions. Les experts s’attendaient plutôt à un ralentissement, mais divers facteurs sont intervenus: les mesures budgétaires des Etats pour soutenir les ménages, la politique monétaire accommodante des banques centrales, des conditions d’octroi de crédit encore assez attrayantes et les craintes d’inflation dues, entre autres, aux pénuries de matériaux et aux prix de l’énergie. Enfin, dans toute l’Europe, une demande plus forte pour les logements en zone moins peuplée et dans les agglomérations moyennes s’est fait jour, suite à la pandémie.

La croissance des prix de l’immobilier résidentiel suisse devrait ralentir, mais rester positive.
Au 2e trimestre 2021, les prix résidentiels en Suisse seraient
sensiblement surévalués de 10.7 % au dessus des fondamentaux.

Pas de bulle!

La question lancinante dans un tel paysage est celle de la «bulle» immobilière. Jean-Christophe Delfim rappelle dans son rapport qu’«une condition nécessaire, mais pas suffisante, pour déterminer si on a affaire à une situation de bulle, est une différence positive marquée entre les prix observés sur le marché et la valeur qui devrait prévaloir compte tenu des fondamentaux du marché». Et il ajoute: «Les marchés de l’immobilier résidentiel se caractérisent par des cycles, relativement longs, pouvant s’étendre sur plusieurs décennies. Au cours de ces cycles, il est normal que le prix observé sur le marché puisse dévier, parfois fortement, de la valeur que suggéreraient les fondamentaux. Ces déviations peuvent être autant à la hausse qu’à la baisse. Elles peuvent prendre des années pour atteindre leur zénith et pour se résorber, du fait aussi de l’illiquidité importante des marchés immobiliers. Ces déviations n’étant pas suffisantes pour conclure à une bulle, nous parlons plutôt de surévaluation, ou de sous-évaluation des actifs. Enfin, précisons que si une bulle est avérée, cela n’implique pas forcément une correction brutale des prix issue d’un éclatement. En effet, les prix pourraient se tasser progressivement, voire même continuer à progresser, mais à un rythme sensiblement plus modéré, le temps qu’ils soient en ligne avec les fondamentaux. Ces derniers peuvent justement se raffermir, rendant possible un rattrapage».
L’expert d’Edmond de Rothschild ne prévoit pas de correction marquée des prix de l’immobilier résidentiel en Europe, malgré la surévaluation constatée. Le modèle suggère que les prix résidentiels européens devraient, dans l’ensemble, continuer de croître au cours des prochains trimestres, mais à un rythme sensiblement plus faible que sur l’année écoulée. Les prix devraient progresser le plus en Allemagne, en Espagne et au Portugal, le moins en Italie et en Suisse.

Le revenu des ménages a rebondi de manière marquée au second
trimestre 2021 dans les pays d’Europe.

Suisse: le risque est lié au crédit

Au troisième trimestre 2021, les prix de l’immobilier résidentiel en Suisse accéléraient encore à 1,7% en glissement trimestriel (g.t.), impliquant une progression de 4,6% sur un an (g.a). Une dynamique aussi robuste depuis le premier trimestre 2020, à plus de 1% g.t., n’avait plus été observée depuis les années 2010 à 2012 et 2004 à 2008, mais cela reste toutefois bien en dessous des pics à plus de 3% g.t. de la fin des années 1980.
L’étude d’Edmond de Rothschild note une accélération récente de la tendance à l’accroissement de la divergence entre les prix observés sur le marché et les valorisations qu’impliqueraient les facteurs fondamentaux du marché résidentiel suisse (graphique page 13). Cette surévaluation resterait modérée, bien qu’elle s’établisse à un plus haut historique de 10,7% au deuxième trimestre 2021. L’analyse montre des fondamentaux du marché robustes sur les quatre derniers trimestres, notamment en ce qui concerne la progression du revenu par habitant et les conditions de crédit favorables, alors que la croissance de la population est restée soutenue. Néanmoins, au cours des prochains trimestres, la vigueur des fondamentaux devrait se modérer, particulièrement en raison d’un relatif resserrement des conditions de crédit, mais aussi par un effet de rattrapage de la construction et par l’arrivée sur le marché de plus de nouvelles réalisations, qui se concentreraient cependant dans les régions les plus tendues. En revanche, les progressions du revenu par habitant et de la population resteraient fermes et malgré la baisse du rendement direct de l’immobilier résidentiel, la différence avec le taux souverain à 10 ans, demeurant à près de 2%, permettrait de maintenir un fort attrait de l’immobilier pour les investisseurs institutionnels.
Ainsi, selon l’économiste, la croissance des prix de l’immobilier résidentiel suisse devrait ralentir, mais rester positive, pour adopter un rythme moyen comparable à celui des années 2015 à 2017. Concernant les principaux risques, outre ceux évoqués dans l’encadré page 13, un resserrement des conditions d’octroi de crédit provoqué par l’introduction de nouvelles règles macroprudentielles pèserait légèrement sur la progression des prix.
«Au niveau régional, la situation paraît la plus tendue dans l’agglomération zurichoise, où les prix paraissent diverger le plus des fondamentaux, relève Jean-
Christophe Delfim. La progression des prix, déjà très élevés, dans le bassin genevois devrait renforcer l’attrait du proche canton de Vaud et de la France voisine, plus abordables. Enfin, les régions plus excentrées, tels que le Haut-Valais, une partie de l’Arc jurassien et le Tessin, devraient toujours pâtir d’un relatif déficit de demande».

 

Thierry Oppikofer

GROS PLAN

Trois risques pour l’Europe

Une augmentation trop importante des prix de l’énergie attiserait de façon importante l’inflation totale, mais pour de mauvaises raisons, puisque cela serait l’expression d’un choc de coûts. Ainsi, le pouvoir d’achat des ménages diminuerait, car il serait grevé par la hausse de leurs charges et dépenses en énergie. De plus, la hausse des prix de l’énergie pourrait affecter l’activité économique et détériorer le marché de l’emploi, sur lequel les salaires ne progresseraient plus autant. Enfin, une inflation totale qui persisterait à plus haut niveau pourrait conduire les banques centrales à resserrer leur politique monétaire, ce qui affaiblirait un autre soutien majeur aux marchés immobiliers. Dans de telles perspectives, si les autorités ne prenaient pas des mesures suffisamment fortes pour compenser ces impacts négatifs des prix de l’énergie, une correction des prix immobiliers pourrait survenir.
Un retrait prématuré des soutiens budgétaires et monétaires à la reprise pèserait sur les revenus des ménages et sur les conditions de financement, affaiblissant les déterminants majeurs des prix de l’immobilier résidentiel. Une forte décélération des prix seraient à attendre, voire une correction de ceux-ci selon les régions.
Une panique de la part des investisseurs pourrait être directement liée aux marchés immobiliers européens eux-mêmes, par exemple si un nombre important d’agents estiment que les prix ne sont plus soutenables et souhaitent vendre. Une correction des prix de l’immobilier résidentiel serait à redouter sur la plupart des marchés. Une source indirecte serait une panique provenant des marchés financiers, que ce soit par exemple en raison des difficultés auxquelles fait face le marché immobilier chinois actuellement, ou par une crainte que les actifs financiers en général soient surévalués. Sauf contagion plus large au reste du secteur financier et de l’économie réelle, l’impact sur les marchés immobiliers serait transitoire.

Interview: Jean-Christophe Delfim

– Votre analyse paraît globalement plus optimiste que celles d’autres observateurs, sans parler de la BNS ou de la FINMA. Comment cela se fait-il?
– Nous ne sommes pas éloignés des estimations des études les plus complètes. Si certaines d’entre elles évoquent des situations de bulle par endroit, nous concluons plutôt à des situations de surévaluation, notamment en Suisse, car tous les éléments constitutifs d’une bulle ne nous semblent pas réunis. La Suisse dispose d’une remarquable stabilité financière et la question centrale est de savoir si ce pays peut supporter ou non une surévaluation manifeste, de l’ordre de 10%, de ses actifs immobiliers. Les hausses de ces dernières années ont été importantes, mais risque-t-on ou non la formation d’une «bulle», et le cas échéant, son éclatement? Il y a en principe trois scénarios: la correction brutale après éclatement d’une bulle, le rétablissement progressif d’un équilibre entre prix immobiliers et fondamentaux économiques et la poursuite d’une hausse plus modérée, avec en parallèle un renforcement desdits fondamentaux. C’est le troisième scénario que notre modèle met en avant. Mais je souligne que la surévaluation n’est pas en soi quelque chose de catastrophique. Bien sûr, un choc externe pourrait bouleverser le marché et aboutir à une correction des prix.

– La hausse de prix des matières premières et de l’énergie, ainsi que la pénurie de matériaux, sans oublier les normes environnementales de plus en plus strictes, peuvent-elles influencer l’évolution des marchés immobiliers?
– A moyen et long terme, les biens certifiés par des labels énergétiques seront évidemment valorisés. Quant à la hausse des prix gaziers et pétroliers, elle peut certes perturber l’activité économique, notamment en Suisse où l’industrie (par exemple chimique) en est grande consommatrice, et peser sur les marges des entreprises, donc à terme sur les salaires. Cela pourrait affaiblir la demande privée. D’un autre côté, les anticipations d’inflation plus élevées, que pourrait induire la crise énergétique, seraient de nature à accroître la demande pour les actifs réels que sont les biens immobiliers. Le risque de choc externe, pour la Suisse, pourrait se concrétiser si les autorités nationales ou étrangères (le pays étant fortement exportateur) décidaient de retirer brusquement les soutiens budgétaires et monétaires à la consommation. Un resserrement de la politique monétaire ou un durcissement de la Lex Weber, limitant les investissements étrangers en Suisse, seraient aussi préoccupants.

 

Propos recueillis par Thierry Oppikofer