histoire - Décédé fin décembre
Jimmy Carter, le président américain qui aimait Genève
Il nous l’avait dit avec un grand sourire, il y a plus de trente ans, lors d’une rencontre à Genève: Jimmy Carter aimait la cité de Calvin qui était pour lui, avant tout, la ville des Droits de l’homme, comme en attestent les fameuses Conventions de Genève qui ont inscrit les principes humanitaires dans la loi internationale.
Il est décédé le dimanche 29 décembre 2024, chez lui en Géorgie, à l’âge de 100 ans, peu de temps après son épouse Rosalynn, qui avait pour sa part atteint le bel âge de 96 ans. Jimmy Carter fut le 39e président des Etats-Unis, pour un seul mandat, de 1977 à 1981, coincé entre Gerald Ford, un intérimaire sans relief qui avait succédé pendant deux ans à Richard Nixon après le scandale du Watergate, et Ronald Reagan qui allait présider au retour triomphal et à la victoire de l’Amérique dans la Guerre froide.
Président déjà un peu lointain, président oublié et un peu négligé, comme si son passage à la Maison-Blanche n’avait été qu’une parenthèse étrange et finalement peu glorieuse à un moment crucial, marqué à la fois par la fin des années Brejnev en Union soviétique, avec l’invasion de l’Afghanistan dans la nuit du 24 au 25 décembre 1979, et par le désarroi qui avait saisi l’Amérique après sa débâcle au Vietnam, quatre ans plus tôt.
Mais Jimmy Carter, en réalité, a joué et continue de jouer un grand rôle dans notre histoire récente: il a modifié en profondeur la politique américaine dans le monde en inventant ou en réinventant, bref en remettant au goût du jour, le concept central des Droits de l’homme, ces fameux et sacro-saints human rights qui sont devenus l’indépassable mantra de tous les présidents américains après lui, même de Donald Trump. Human rights: il y avait un côté un peu magique dans ces mots, une sorte d’idéal et de promesse, un mouvement du cœur, une lumière… Après la présidence très réaliste, voire cynique, de Richard Nixon, de 1969 à 1974, poursuivie telle quelle par Gerald Ford, Jimmy Carter avait remis la morale à la base et au centre de la diplomatie et de la politique américaines. Une sorte de retour aux sources et de clin d’œil aux founding fathers, en quelque sorte, l’Amérique se flattant depuis toujours de son exceptionnalité.
Nous avions rencontré Jimmy Carter à Genève, il y a plus de trente ans, avant et après une conférence à l’Institut des hautes études internationales. Il était déjà devenu cette espèce d’ambassadeur de la paix et de facilitateur qu’il aura été jusqu’à la fin de sa vie. Très chaleureux, modeste, il nous avait dit que Genève lui était chère parce qu’elle était la ville des Droits de l’homme. C’était le siège européen de l’ONU et c’était aussi, plus largement, le lieu d’une tradition humanitaire qui remontait bien sûr à la création de la Croix-Rouge, aux deux conflits mondiaux et aux innombrables rencontres internationales dans la cité de Calvin.
Boston sur le modèle de Genève
Jimmy Carter, qui était baptiste et avait beaucoup joué sur sa foi pour être élu, se sentait à l’aise à Genève, qui lui apparaissait comme une petite ville, presque un village, propice à des relations humaines et à un mode de vie apaisé. On l’a curieusement oublié chez nous, mais Genève fut le modèle des protestants américains et la ville de Boston fut conçue et bâtie comme une nouvelle cité de Calvin dans ce nouveau monde qu’était l’Amérique. Jimmy Carter se sentait chez lui à Genève, dans une atmosphère amicale et familière. Il y avait chez lui un côté un peu suisse, cette envie de devenir un médiateur et d’offrir ses bons offices pour tenter de résoudre les conflits qui déchirent le monde.
En faisant de la promotion des Droits de l’homme le maître-mot de sa politique, Jimmy Carter aura totalement modifié les règles ou, du moins, la perception des règles de la politique internationale. Si la Commission des Droits de l’homme de l’ONU à Genève joue un rôle de plus en plus visible, c’est aussi parce Jimmy Carter a remis cette préoccupation au goût du jour, contraignant l’ensemble des dirigeants de la planète à se positionner et à rendre des comptes sur ce plan.
Durant sa présidence, d’ailleurs, Léonid Brejnev s’était retrouvé en porte-à-faux et largement désemparé face à ce discours qui ne cessait de se déployer sur le registre de la morale. Un discours insaisissable pour lui, incontrôlable, inarrêtable! Un discours qui aura puissamment contribué à la critique et à la chute finale du modèle soviétique. Face à l’Union soviétique qui paraissait de plus en plus menaçante, multipliant les avancées en Afrique avant l’Afghanistan, Jimmy Carter repositionnait les Etats-Unis sur le socle majestueux et inexpugnable des Droits de l’homme, ce qui avait aussi l’avantage de faire oublier quelque peu la longue et impopulaire guerre du Vietnam…