L’interview a eu lieu devant la villa La Grange, un cadre idéal pour la réflexion, au milieu du parc, avec la vue sur la villa d’un côté, le lac et les montagnes de l’autre, avec la douceur d’une belle journée d’automne…

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En visite chez…

Jean Ziegler et les quarante penseurs

27 Oct 2021 | Articles de Une

Il fait partie, avec Angela Merkel, l’architecte japonais Tadao Ando, le Nobel de l’économie Paul Krugman, l’historien Yuval Harari, le chef d’orchestre Daniel Barenboim et quelques autres, des quarante penseurs – intellectuels, artistes, dirigeants politiques – choisis par la télévision sud-coréenne EBS comme les représentants les plus marquants de notre époque pour son émission «Great Minds», qui cartonne au pays du Matin calme.

Seul Suisse sélectionné, le bouillonnant sociologue genevois Jean Ziegler a expliqué aux journalistes séouliens les raisons de son combat et son irréductible espoir d’un monde meilleur. L’interview devait avoir lieu chez lui, dans sa maison de Russin/GE, en son bureau ou peut-être dans son jardin, mais le bruit des avions, qui ont recommencé à voler après la pandémie, rendait l’enregistrement impossible. Finalement c’est devant la désormais célèbre villa La Grange, où s’est déroulé le sommet Biden-Poutine le 16 juin dernier, que Jean Ziegler a participé mardi après-midi, pendant plus de quatre heures, au programme «Great Minds» (grands penseurs, grands esprits) de la télévision sud-coréenne EBS, dont l’audience dépasse plus de quarante millions de téléspectateurs. Comment le sociologue engagé, auteur de nombreux best-sellers, voit-il le monde actuel? Que veut-il changer? Et que veut-il mettre à la place?

Penser le monde pour le changer

Un cadre idéal pour la réflexion, au milieu du parc, avec la vue sur la villa d’un côté, le lac et les montagnes de l’autre. La douceur d’une belle journée d’automne, le soleil, les cris des corneilles et des mouettes, les jeux des enfants un peu plus loin… Une équipe d’une vingtaine de personnes, cameramen, photographes, producteurs, assistants. Intellectuel, homme politique, écrivain, Jean Ziegler a été choisi par la télévision sud-coréenne pour faire partie des quarante personnalités du monde entier, venues de tous les horizons, qui ont contribué à repenser et parfois à changer le monde.
«Nous avons créé une émission, «Great Minds», qui en est à sa deuxième saison et rencontre un très grand succès, explique Anna Lee, la productrice. Nous donnons la parole à des spécialistes dans des domaines très différents et nous écoutons leurs idées, leurs propositions, leurs critiques. Nous avons voulu rencontrer Jean Ziegler, rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation de 2000 à 2008. Son livre «Destruction massive. Géopolitique de la faim», a été traduit en coréen. Il est très connu chez nous et nous sommes très sensibles à ses analyses. Nos précédents invités, nous les avons rencontrés dans leur bureau ou chez eux. C’est la première fois que nous faisons une interview à l’extérieur, ce qui donne de la lumière, de la respiration. Son émission sera diffusée en février prochain».

Seul Suisse sélectionné, le bouillonnant sociologue genevois Jean Ziegler a expliqué aux journalistes séouliens les raisons de son irréductible espoir d’un monde meilleur.

L’intelligence et la réflexion

Chaque émission dure vingt minutes, avec des plans de coupe qui font ressortir la réflexion, l’effort de la pensée, la méditation en temps réel: des gros plans sur les yeux, sur le mouvement des mains, les expressions du visage. On a presque envie de dire que c’est une approche à l’ancienne, fondée sur l’intelligence et la réflexion, non sur l’indignation obligée qui est désormais la règle.
«Pourquoi le monde souffre-t-il encore de la faim?», demande la télévision sud-coréenne à Jean Ziegler. «A cause du capitalisme, à cause de l’ordre cannibale du monde, à cause des banques et des oligarchies financières», répond sans surprise le sociologue genevois. «Mais quelle solution, alors?» demande la journaliste. «Une insurrection des consciences», répond Jean Ziegler, qui croit à une avancée vers un monde nouveau et totalement imprévisible que «la liberté libérée de l’homme, comme il dit, finira par créer un jour ou l’autre, à la faveur d’un improbable événement, un peu comme la prise de la Bastille a fini par créer un monde nouveau avec la proclamation de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et l’établissement de la République».

Wall Street et la faim

Jean Ziegler ne supporte pas que l’on cite son âge, 87 ans, parce qu’il ressent bien le préjugé négatif qui s’attache, dans les pays occidentaux, au passage du temps. Il a publié son premier best-seller qui fit scandale, «Une Suisse au-dessus de tout soupçon», en 1976, et il n’a cessé depuis lors de bousculer son pays. Il est plus actif que jamais, plus militant et plus déterminé. Il passe la plupart de ses journées dans son bureau, à lire et à écrire; une atmosphère de sérénité, un calme trompeur qui, chez lui, ne cessent d’aiguiser la critique. Son prochain livre est en cours: «Il montrera, dit-il, comment Wall Street détruit la démocratie et crée l’ordre cannibale du monde qui provoque le massacre de la faim dans le monde».

 

Robert Habel

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