Inès Lamunière

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CELLES QUI CONSTRUISENT LA SUISSE

Inès Lamunière: comment penser l’architecture

22 Sep 2021 | Articles de Une

Construire, vaste programme… «Comment construire?», demande Inès Lamunière, pensive et même méditative, avant de préciser: «Et surtout, comment construire en Suisse, dans un concentré de zones urbaines? Comment concevoir une urbanité densifiée qui accepte la nature, c’est-à-dire l’existence d’une forme de bien-être entre les espaces extérieurs et les espaces intérieurs?

Architecte aux nombreuses récompenses ayant signé plusieurs ouvrages remarqués, Inès Lamunière nous reçoit dans son atelier situé dans le quartier de la Servette, à cent mètres de l’Ecole d’ingénieurs devenue HES. Un lieu qui lui ressemble, chaleureux et paisible, avec des classeurs et des cahiers un peu partout, des étagères qui débordent de livres, des croquis et des maquettes çà et là. Des collaborateurs qui s’affairent, une ruche silencieuse et bourdonnante… On aperçoit, par la fenêtre, une petite cour à l’ancienne avec deux ou trois arbres, une lumière agréable, un immeuble en vieilles pierres.
Cocteau avait intitulé un livre «La difficulté d’être». Inès Lamunière s’interroge, pour sa part, sur «la difficulté d’être» en tant de société. Architecte, elle est au cœur de tout, dans ce vaste espace fluctuant entre les individus et le groupe, c’est-à-dire entre soi et les autres. L’architecture est partout, puisqu’elle est visible de partout et puisqu’elle fédère la vie commune, mais son message reste souvent ambigu, insaisissable, caché. Que veut dire une place communale ou une fontaine? Que veut dire une maison en béton? L’architecture capte des éclats de vie, mais comment vivre ensemble dans cette ville qui est la même pour tous, tout en étant radicalement différente d’une personne à l’autre, d’un quartier à l’autre, d’un immeuble à l’autre? «Il faut trouver des pistes, dit Inès Lamunière, songeuse, il faut trouver des espaces partagés, des émotions qui puissent parler aux uns et aux autres».

Deux projets forts et symboliques

L’architecte genevoise travaille, aujourd’hui, sur deux très gros projets: l’agrandissement souterrain du nœud ferroviaire de la gare Cornavin, à Genève, qui deviendra ainsi une gare souterraine à l’horizon 2032, et l’extension verticale du siège de la banque Pictet, la Tour Pictet comme on l’appelle déjà, dans le quartier Praille-Acacias-Vernets, qui devrait être achevée dans quatre ans. Deux projets hors normes, deux projets qui concentrent tous les défis possibles et imaginables, urbanistiques et politiques, mais aussi artistiques et spirituels.
La gare, explique Inès Lamunière, c’est le lieu même où tout se croise, se mélange, se côtoie dans un coude-à-coude incessant et parfois infernal: les flux des voyageurs, la cohue, les heurts, les lieux d‘attente, les commerces, les cafés, les quais… C’est le lieu où chacun arrive avec son propre rythme, ses propres envies, ses impatiences, ses angoisses, ses attentes… «Nous sommes encore dans une phase de réflexion, dit-elle; nous travaillons sur l’avant-projet. La gare constitue par excellence le lieu de rencontre entre l’espace privé et l’espace public, le lieu où ils doivent donc trouver un certain équilibre. Il faut réinventer ce type d’espace pour qu’il ne soit plus uniquement un espace de circulation, avec des gens qui courent après leur train, mais un espace de vie. C’est vraiment ce qui me passionne le plus: réinventer des espace fonctionnels comme une gare pour en faire des espaces vivants».
La gare souterraine de Cornavin aura du volume, du coffre. Elle changera aussi l’image de Genève! Comme Grand Station à New York ou la gare de Lyon à Paris, elle sera une nouvelle porte d’entrée pour les touristes, et donc une nouvelle manière pour eux de percevoir Genève. Quatre cents mètres de long sur quatre niveaux, des mezzanines, des quais, des commerces, des espaces où l’on aura envie de marcher, de s’arrêter, de prendre son temps… Une espèce de poésie âpre, une atmosphère simple et précieuse qui est celle de la vie de tous les jours.

La Tour Pictet au cœur de Genève

Et puis il y a le futur agrandissement de la banque Pictet, dans le quartier (en devenir, lui aussi) Praille-Acacias-Vernets. Un immeuble révolutionnaire, une tour lumineuse de 24 étages (90 mètres), plus haute que celle de la RTS (62 mètres), qui achèvera de transformer une fois pour toutes, dans un esprit de force et de modernité, la cité de Calvin. Baptisé Feng Shui, le complexe est conçu autour d’une sorte d’îlot ouvert, avec un jardin public à l’intérieur. Deux mille cinq cents personnes pourront y travailler.
«Comment (allons-nous) vivre ensemble?», se demandait la Biennale de Venise. Eh bien! En se retrouvant dans le défi, dans le dépassement, dans l’envie. Les travaux préparatoires de construction de la Tour Pictet ont commencé au début de l’année et Inès Lamunière se rend régulièrement sur le site. Pour vérifier l’avancement des travaux, bien sûr, mais aussi et surtout pour sentir les choses, pour voir naître son projet. Un sculpteur part d’un bloc de pierre qu’il épure peu à peu pour lui donner sa forme, ses lignes, des creux et des pleins, jusqu’à en faire une œuvre. L’architecte travaille un peu en sens inverse: tout commence dans des dessins sur ordinateur et le projet prend forme peu à peu, jour après jour, dans cet espèce de bruit et de fureur qu’on appelle un chantier.
La Tour Pictet a commencé de prendre forme, elle sera occupée dès 2025 et Genève entrera, à sa manière, dans une nouvelle ère.

 

ROBERT HABEL

La future tour de la banque Pictet, de 24 étages (90 mètres), plus haute que celle de la RTS (62 mètres).

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