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LA CHRONIQUE JURIDIQUE de Me Patrick Blaser - Locataire insupportable

Huit ans de calvaire pour les voisins!

5 Mar 2025 | Articles de Une

Dans un arrêt récent, le Tribunal fédéral vient de valider la résiliation, avec effet immédiat, du contrat de bail d’un locataire qui, depuis des années, importunait ses voisins et commettait des dégradations dans l’immeuble, et cela malgré plusieurs avertissements du bailleur avec menace de résiliation du bail.

La régie a dû se résoudre à résilier le bail de la locataire avec effet immédiat.

A l’occasion de cet arrêt (ATF 4A_284/2024 du 17 décembre 2024), le Tribunal fédéral a rappelé, et appliqué au cas d’espèce, les conditions qui devraient être réalisées afin de permettre à un bailleur de résilier avec effet immédiat le bail d’un locataire qui rendait insupportable la vie des autres locataires de l’immeuble.
C’est déjà durant l’année 2016 que les locataires d’un immeuble situé dans une commune genevoise ont commencé à se plaindre des comportements répréhensibles d’une locataire de leur immeuble, ainsi que de son fils mineur. Au début, les plaintes portaient sur le fait que la locataire entreposait des sacs à ordures dans son jardin pendant plusieurs jours, ce qui engendrait des odeurs nauséabondes. A cela s’ajoutait que les occupants de l’appartement en question écoutaient de la musique à fort volume et à toute heure.
De surcroît, ces mêmes occupants utilisaient leur porte palière comme «garage» à vélos et à vélomoteur. Malgré plusieurs avertissements notifiés par la régie à la locataire, avec menace de résiliation de son bail, la situation dans l’immeuble ne s’est pas apaisée.
Au contraire, le fils de la locataire, avec des comparses du quartier, ont à plusieurs reprises endommagé des extincteurs de l’immeuble et dessiné des graffitis sur les murs. 

Résiliation du bail et plainte pénale

En raison de ces dégradations, la régie a été contrainte de déposer une plainte pénale pour dommages à la propriété.
Dans le cadre de cette procédure pénale, le Tribunal fédéral des mineurs a finalement reconnu – puis condamné en conséquence – le fils de la locataire coupable de diverses infractions, dont celle de dommages à la propriété au motif qu’il pouvait être retenu à son encontre le fait qu’il avait saccagé une boîte à extincteur de manière «puérile et désinvolte», selon une précision du Tribunal.
La régie a également dû se résoudre à résilier le bail de la locataire avec effet immédiat. La locataire a toutefois contesté cette résiliation par-devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers laquelle, d’entente entre les parties, a accordé un délai d’épreuve de six mois à la locataire.

Caméras et société de surveillance

De son côté, le concierge de l’immeuble avait attesté par écrit qu’il avait constaté que depuis deux ans, de nombreux actes de vandalisme avaient été commis par des jeunes du quartier, dont le fils de la locataire. Ces faits avaient nécessité l’intervention tant de la police que des pompiers. Les voisins se plaignaient en outre quasi quotidiennement des agissements de ces jeunes.
Dans ces circonstances, la régie a été contrainte d’installer des caméras de surveillance, ainsi que de mandater une société pour assurer la sécurité de l’immeuble. Cette société de sécurité a rendu pas moins de 26 rapports – sur 18 mois! – dont il ressortait que plusieurs jeunes du quartier, dont le fils de la locataire, commettaient régulièrement des incivilités (bruit à des heures tardives, vélomoteurs mal stationnés, déchets laissés sur le sol, consommation de stupéfiants).
Dans ces circonstances, le bailleur a saisi les tribunaux d’une requête en évacuation immédiate à l’encontre de sa locataire.

Résiliation validée, puis annulée et finalement validée!

Finalement, en octobre 2023, le Tribunal des baux et loyers a condamné la locataire à évacuer son appartement avec effet immédiat.
Fin de l’histoire et de la procédure? Que nenni!
En effet, la locataire a saisi la Chambre des baux et loyers de la Cour de justice de Genève (ci-après: La Cour de justice) d’un appel dirigé contre le jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers. Et là, surprise!  
En effet, la Cour de justice a, par son arrêt du 12 avril 2024:
– admis l’appel de la locataire;
– annulé la résiliation du bail;
– et rejeté la requête en évacuation.
Compte tenu de cet arrêt de la Cour de justice, que l’on pourrait qualifier de surprenant au vu des faits de la cause, le bailleur a été contraint d’interjeter recours à son encontre auprès du Tribunal fédéral. Et avec succès!
En effet le Tribunal fédéral a jugé que l’arrêt rendu par la Cour de justice était arbitraire. Il a par conséquent annulé cet arrêt et directement condamné la locataire à évacuer son appartement avec effet immédiat.

Conditions pour résilier avec effet immédiat

S’agissant spécifiquement de la protection des locataires victimes d’incivilités commises à leur encontre par un autre locataire, le Tribunal fédéral rappelle que la loi (soit l’art. 257f CO) prévoit expressément que le bailleur peut résilier avec effet immédiat le bail de tout locataire «perturbateur».
Dans ce cadre, les cinq conditions cumulatives suivantes doivent être réunies pour que la résiliation de bail avec effet immédiat puisse être considérée comme valable:
– le locataire concerné a manqué d’égards envers ses voisins;
– le bailleur, pour ce fait, lui a adressé un avertissement écrit, avec menace de résiliation de son bail;
– malgré cet avertissement, le locataire a persisté à manquer d’égards vis-à-vis de ses voisins;
– le maintien du locataire «perturbateur» dans son appartement est devenu insupportable pour ses voisins;
– le bailleur a résilié le bail avec un préavis de 30 jours pour la fin d’un mois.
La jurisprudence du Tribunal fédéral a par ailleurs ajouté les conditions suivantes:
– le manque d’égards du locataire «perturbateur» à l’encontre de ses voisins doit revêtir une certaine gravité;
– l’avertissement du bailleur doit préciser quels manques d’égards sont reprochés au locataire, pour que ce dernier puisse y remédier.
En particulier, et concrètement, le Tribunal fédéral a admis que l’excès de bruit et l’utilisation abusive des parties communes d’un immeuble constituaient des motifs typiques pouvant motiver une résiliation de bail avec effet immédiat.
A noter que le Tribunal fédéral a expressément précisé que le manque d’égards vis-à-vis des voisins ne devait pas nécessairement être imputable à la seule personne du locataire, partie au bail, mais qu’il peut également être le fait des personnes avec lequel le locataire vivait, notamment les membres de sa famille, qui n’étaient pas parties au contrat de bail.

Arrêt de la Cour de justice taxé d’arbitraire

Dans le cas d’espèce qu’il avait à juger, le Tribunal fédéral a considéré, au contraire de l’appréciation faite par la Cour de justice, que le bailleur avait dûment décrit, dans ses avertissements, les manques d’égards reprochés au fils de la locataire, lesquels étaient au demeurant établis à satisfaction de droit par la procédure.
Dans ce cadre, le Tribunal fédéral a considéré que la Cour de justice, en ne retenant pas que ces conditions étaient réalisées, avait «sombré dans l’arbitraire».
En particulier, le Tribunal fédéral reproche à la Cour de justice de ne pas avoir tenu compte:
– des faits attestés par écrit, et confirmés par témoignages, constatés par le concierge de l’immeuble et imputables notamment au fils de la locataire;
– de la reconnaissance de certains de ces faits par la locataire elle-même;
– du climat d’insécurité créé dans l’immeuble par le fils du locataire et ses comparses du quartier, qui était de nature à dissuader les autres locataires à intervenir dans le cadre la procédure;
– du fait que les comparses du fils du locataire n’ont pu commettre les dégradations reprochées que parce que le fils du locataire leur avait permis d’entrer dans les locaux de l’immeuble.
Ce faisant, selon le Tribunal fédéral, la Cour de justice a fait preuve d’arbitraire dans l’appréciation des preuves, en déniant que les faits reprochés au fils de la locataire, et ayant motivé la résiliation du bail avec effet immédiat, étaient dûment établis.
Par ailleurs, le Tribunal fédéral a également jugé qu’il était établi par la procédure que le fils de la locataire avait persisté à commettre de nouveaux actes de vandalisme, malgré les avertissements notifiés par le bailleur à la mère.
Enfin, et à nouveau contrairement à ce que la Cour de justice avait jugé, le Tribunal fédéral a considéré que le maintien du bail était devenu insupportable pour le bailleur et les voisins, tant les faits, répétitifs, reprochés au fils de la locataire, au demeurant réprimés sur le plan pénal, dénotaient un mépris total à l’égard des voisins et du bailleur et constituaient une source incontrôlable d’insécurité et de nuisances pour les autres locataires de l’immeuble.
Il en résulte que le Tribunal fédéral, compte tenu de l’arbitraire qui avait présidé à l’arrêt de la Cour de justice, ne pouvait qu’annuler cet arrêt et condamner la locataire, ainsi que son fils, à évacuer immédiatement l’appartement qu’elle occupait.
Et cela plus de huit ans après le constat des premières «incivilités»! 

 

Patrick Blaser
Avocat associé,
Etude Borel & Barbey, Genève
patrick.blaser@borel-barbey.ch

Patrick Blaser.
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