Hervé Dessimoz et sa fille Céline.

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Succession à la tête du Groupe H

Garder le cap en renouvelant la vision

31 Août 2022 | Articles de Une

Né durant une crise immobilière, le Groupe H achève une transition à sa tête alors que se dessine une nouvelle période d’incertitude économique. Semblable aux grands voiliers qui fleurissent sur le Léman, l’entreprise entend cependant virer la bouée du monde de demain, forte de son expérience en matière de développement durable et de sa palette de services.

1990: la Suisse est frappée de plein fouet par la hausse des taux hypothécaires. Le secteur du bâtiment perd 40% de son chiffre d’affaires. Comment résister? «A l’époque, je n’avais pas de construction emblématique qui m’aurait identifié aux yeux de la clientèle, raconte Hervé Dessimoz, fondateur de la société. Les entreprises générales commençaient à fleurir et j’ai pensé proposer un service de conseil global, sur leur modèle».
Succédant au Bureau Hervé Dessimoz, le Groupe H se positionne avec une approche élargie unissant architecture, ingénierie et management de projets. La position du prestataire de conseil général est cependant radicalement différente de celle de l’entreprise générale, insiste Hervé Dessimoz, car elle n’entre pas en conflit avec celle de son client.

La France salvatrice

C’est notamment de France que viendront les mandats salvateurs, dont celui de la tour de Winterthur Assurances à Paris qui, avec ses 135 mètres de haut, reste la plus haute tour jamais bâtie par un Suisse. Elle consommait 40% d’énergie en moins que les plus récentes tours de la Défense! L’avance en éco-architecture acquise par le Groupe H reste, mais celui-ci s’est recentré sur la Suisse, où il réalise désormais l’entier de son chiffre d’affaires.
En 2021, Céline Dessimoz, fille du fondateur, reprend la responsabilité opérationnelle de l’entreprise, avec le titre d’administratrice-déléguée. Celle qui se voyait juge ou avocate achevait son Bachelor en droit quand son père lui proposa de rejoindre l’entreprise. Elle accepte et y trouve sa place, aidée par les valeurs familiales forgées au contact de Pierre Dessimoz, le père d’Hervé, entrepreneur du bâtiment. «Mon père disait: tu dois être à l’écoute des collaborateurs et des partenaires. Sur un chantier, chacun apporte sa contribution et chacun est important», se souvient Hervé Dessimoz.
«Le succès n’est jamais le fait d’un seul», souligne Céline Dessimoz. Le secret, disent en chœur père et fille, est de bien s’entourer et d’adopter une attitude de respect et d’écoute. Bien épaulée, cette titulaire d’un Master en droit économique et d’un autre en immobilier est plutôt détendue dans son rôle, bien qu’elle ne soit pas architecte. «Mon approche diffère de celle de mon père, parce que nous n’avons pas le même parcours. Ainsi, je ne serai pas comparée à lui et je n’ai pas la contrainte de devoir prouver que je suis meilleure».

La tour des Vergers à Meyrin/GE.
La Tour Winterthur Assurances à Paris.

«A elle de fixer sa vision»

«Céline sait faire passer l’identité H, relève son père, mais c’est désormais à elle de fixer sa vision». «Notre organisation laisse une grande liberté aux concepteurs», ajoute sa fille, non sans avouer une sensibilité à l’architecture et à la préservation du caractère spécifique des réalisations du groupe.
Loin de ce qu’Hervé Dessimoz nomme «l’architecture hédoniste», dans laquelle il voit une vanité inutile, le Groupe H a développé une approche pragmatique, humaine et durable du geste de bâtir. Le bois y est très présent, que l’on pense à la tour des Vergers à Meyrin, au Globe de la Science et de l’Innovation (dont la réalisation a été possible grâce à une rencontre avec Joël de Rosnay) ou au Refuge du Goûter, posé à 3835 mètres d’altitude sur le flanc du Mont-Blanc.
Durabilité et construction ont de nombreuses facettes, notamment la rentabilité, la fiscalité, l’efficience énergétique, mais aussi la connaissance des réglementations, ainsi que le contact avec les autorités locales pour comprendre le contexte dans lequel s’insérera un bâtiment. Ce sont tous ces aspects que le Groupe H considère et intègre dans son approche.
Le H de la raison sociale «Groupe H» ne provient pas du mot «humilité», bien qu’Hervé Dessimoz utilise aussi cette parole pour définir l’attitude familiale. Cette lettre ne fait pas référence non plus à l’empereur romain Hadrien, cultivé, pacifique et bâtisseur. Plus simplement, c’est le H d’Hervé, mais ce pourrait le H du mot «humanité».

 

Cesare Accardi

GROS PLAN

Un rêve ukrainien brisé

 

En 2006, le Groupe H a la possibilité de participer à un appel d’offres pour la réalisation d’une ville de 6000 habitants à Boutcha, aux portes de Kiev, sur l’emplacement d’une ancienne porcherie industrielle. Il s’agit de bâtir des logements pour la classe moyenne en croissance, dans ce pays qui se rêve européen. C’est une opportunité rare de mettre en œuvre les savoir-faire multiples de l’entreprise.
Hervé Dessimoz arpente la zone pour bien en saisir les caractéristiques et présente une charte urbanistique qui respecte les courbes de niveau du terrain, conserve les réseaux hydrologiques et met l’accent sur la mobilité douce. Il veut chauffer les bâtiments avec la géothermie, alors que tous les autres soumissionnaires misent sur le gaz.
Son choix est judicieux: en raison du rationnement du gaz par la Russie, «il y avait du givre sur la face intérieure des vitres et nous avions tous un manteau lors de l’annonce du nom du gagnant de l’appel d’offres», se souvient Hervé Dessimoz. Le gagnant, c’est lui; il obtient le mandat face à de grands bureaux canadiens, britanniques ou américains.
Les travaux démarrent et les infrastructures, routes, remblais, etc. sont réalisées. La crise des subprimes de 2009 aura raison du projet. Le maître d’œuvre doit interrompre le chantier et les bâtiments ne voient pas le jour. «Spoutnik City devait être une ville pilote, mais tout est à reprendre à zéro», constate aujourd’hui Hervé Dessimoz. Dans l’intervalle, le nom de Boutcha est entré dans l’histoire pour des raisons bien plus sombres.