Fermes anciennes détruites en Gruyère
«Fribourg, ton territoire rural fout le camp!»*
Le canton de Fribourg bénéficie d’un patrimoine rural très important, en raison de son histoire et de son économie, longtemps tournée vers le secteur primaire. Deux fermes du XVIIIe siècle ont été récemment détruites et tous les trois mois, une ferme disparaît du paysage. Dans sa dernière livraison, la revue «Pro Fribourg» aborde avec le Conservateur des biens culturels les enjeux de la préservation du patrimoine en milieu rural. Etat des lieux.
Le canton de Fribourg bénéficie d’un patrimoine rural très important.
Les fermes font partie du patrimoine architectural fribourgeois et signent le paysage de la campagne fribourgeoise en lui donnant une qualité reconnue loin à la ronde et en contribuant à consolider l’attrait touristique du canton. Or le patrimoine rural antérieur aux années 60 est condamné par la paysannerie. On ne veut plus travailler dans ces anciens bâtiments, ce qui leur ôte leur protection naturelle, celle garantie par leur usage et l’intérêt du propriétaire de les conserver. Selon Stanislas Rück, chef du Service des biens culturels du canton de Fribourg, faute d’entretien, la dégradation survient en moins de vingt ans et la ferme ou la grange se transforment en ruine qu’il faut détruire pour des raisons évidentes de sécurité.
Le changement d’affectation: une chance de survie?
Pour essayer de maintenir ce réseau unique de fermes et de granges qui signent le paysage campagnard fribourgeois depuis plusieurs siècles, l’on pourrait envisager de les transformer en habitations, comme cela s’est fait, avec succès et de façon souvent qualitative, durant les années quatre-vingts. A l’époque, le canton de Fribourg était cité en exemple pour sa politique de réhabilitation de son patrimoine rural et des visiteurs étrangers venaient vérifier la qualité des transformations de la ferme Monney à Ependes ou de la ferme Borcard à
Grandvillard, insérées dans un contexte villageois bien préservé.
Toutefois, d’une part, la rénovation ou la transformation d’une ferme nécessite aujourd’hui des investissements importants et les propriétaires préfèrent investir dans du neuf, potentiellement plus apte à correspondre à leurs attentes en matière d’espaces construits. D’autre part, en application de la jurisprudence récente du Tribunal fédéral concernant les constructions hors zones à bâtir, il est de plus en plus difficile d’affecter un bâtiment qui n’a jamais été habité à l’habitation. Stanislas Rück reconnaît que pour les granges protégées en zone agricole, cela signifie la fin de leur présence dans le territoire. Car sans réaffectation utile, personne ne souhaite investir dans la conservation de ces constructions devenues inutiles et servant uniquement à rappeler le caractère historiquement agricole d’un paysage. La disparition de ces granges laissera des traces dans le paysage fribourgeois, souligne le chef de service, qui indique: «De manière générale, ces quarante dernières années, le canton de Fribourg a été inondé de constructions. Il n’était pas préparé à un tel développement. Les villes et la campagne fribourgeoises y ont perdu leur innocence et une partie de leur beauté naturelle».
Tous les trois mois, une ferme disparaît du paysage!
Pour une culture du bâti plus
qualitative dans le canton
Refusant de se plaindre et de défendre un point de vue nostalgique et pleurnichard, prêt à faire le deuil de certains bâtiments ruraux que l’on ne peut plus conserver au milieu d’un environnement construit qui s’est totalement modifié, Stanislas Rück veut investir son énergie et celle de son service dans la promotion d’une culture du bâti plus qualitative. La qualité est le plus souvent le résultat d’un bon processus et c’est sur ces processus qu’il faut travailler désormais. Par exemple en permettant d’identifier ce qui fait le caractère d’un lieu, bâtiments, environnement, paysage, espace libre, espace construit, et développer, autour de ces critères, des stratégies. Il cite l’exemple de la Ville de Fribourg qui a travaillé récemment avec des ateliers pour mettre des projets au point, en bonne intelligence avec les propriétaires et les architectes. «L’idée est d’intégrer une stratégie de culture du bâti plus large, pour donner des axes de développement et faire évoluer un tissu bâti devenu hétérogène vers une nouvelle qualité d’ensemble», précise le chef du Service des biens culturels, qui estime pouvoir rattraper le retard et compte sur l’engagement d’autres acteurs pour porter cette thématique et sur des ressources nouvelles, qui seront demandées dans le prochain Plan financier de l’État de Fribourg.
Laurent Passer
* «Eh! La France, ton café fout le camp!», exclamation de la comtesse du Barry (1743-1793) à l’adresse de son amant Louis XV, lui indiquant que la bouilloire de café débordait. Citée par Pidansat de Mairobert en 1775, dans son ouvrage «Anecdotes sur la comtesse du Barry».
A lire: Revue «Pro Fribourg» no 214, «Concilier aménagement du territoire et patrimoine», 2022.