VOTATION FéDéRALE DU 24 NOVEMBRE 2024 - Droit du bail
Faut-il couvrir les locataires abuseurs?
Le 24 novembre prochain, deux modifications de détail du droit du bail, indépendantes l’une de l’autre, sont soumises au vote populaire, suite à des référendums lancés par l’ASLOCA et ses alliés du lobby des locataires.
Il s’agit, pour les sous-locations, de préciser que l’accord du bailleur devra être écrit, et que le bailleur pourra refuser la sous-location, notamment si elle excède deux ans.
Concrètement, il s’agit, pour les sous-locations, de préciser que l’accord du bailleur (condition déjà prévue par le droit actuel) devra être écrit et préalable, et que le bailleur pourra refuser la sous-location, notamment si elle excède deux ans. La procédure de résiliation contre le locataire n’ayant pas respecté ses obligations en la matière est précisée. D’autre part, pour les résiliations motivées par un besoin propre du bailleur ou d’un proche parent, il ne s’agira plus de démontrer «l’urgence» du besoin, mais «le besoin important et actuel, établi sur la base d’une évaluation objective».
La technicité de ces deux modestes modifications, dont les cas d’application semblent peu nombreux et l’impact restreint, ne laisse pas augurer du poids politique majeur de ces questions. Cependant, l’ASLOCA affirme mener «une campagne forte pour informer la population des conséquences dramatiques» de ces réformes «visant à chasser les locataires de leur logement». Tous les poncifs de la lutte immobilière des classes y passent: «le lobby immobilier, motivé par le profit, se cache derrière ces révisions. Il poursuit l’objectif suivant: faciliter les résiliations de contrats de bail pour ensuite augmenter les loyers». M. Carlo Sommaruga enfonce le clou: «Ce démantèlement progressif de la protection des locataires représente un scandale démocratique sans précédent»1.
Désormais, objectivement informés de l’importance de l’enjeu, nous pouvons examiner chacun des articles soumis à l’analyse du peuple souverain.
Sous-locations
Le droit du bail est fondé sur l’intérêt réciproque d’un bailleur disposant d’un local qu’il n’utilise pas et d’un locataire désireux d’occuper ledit local, moyennant une indemnité financière, appelée loyer. Il arrive parfois que ledit locataire n’ait provisoirement plus besoin de tout ou partie du local, par exemple durant une mission de quelques mois à l’étranger. Le droit du bail lui permet alors de lui-même devenir bailleur et de sous-louer le local à un tiers.
Un marché de pénurie tel que le connaît le canton de Vaud, qui peine à construire autant de logements que l’accroissement continu de sa population l’exigerait, et un droit du bail protégeant le locataire en place de toute adaptation du loyer aux prix du marché, créent des incitations aux abus. Profitant du privilège d’un loyer comparativement bas, tel locataire n’ayant plus d’intention de retourner vivre dans un logement qui ne correspond plus à ses besoins, sera tenté d’en conserver le bail «au cas où», tout en permettant à des connaissances d’y vivre contre un loyer qui excède parfois largement celui qu’il reverse au propriétaire.
Pour lutter contre ce locataire se transformant en bailleur abusant de ses privilèges pour extorquer un loyer abusif, le Parlement a décidé d’inscrire expressément dans la loi que, si la durée d’une sous-location excèdait deux ans, le bailleur pourrait la refuser ou refuser de la prolonger; sauf naturellement si un accord dérogatoire avait été convenu entre les parties.
Cette précision a le mérite de poser une limite simple et objective aux sous-locations. Les règles de procédure imposant une annonce écrite préalable du locataire sous-louant et précisant le processus de résiliation en cas de violation de ces règles imposent certes un formalisme dont on devrait pouvoir se passer dans les relations privées, mais qui imprègne malheureusement déjà toute la jurisprudence en la matière.
Résiliation pour besoin propre
Le second sujet est éminemment technique, puisqu’il s’agit de légèrement assouplir le fardeau de la preuve du propriétaire invoquant un besoin personnel ou familial pour occuper un logement précédemment loué. D’ailleurs, le comité référendaire n’argumente pas sur l’objet soumis au vote: il s’agirait uniquement d’un prétexte pour résilier un bail, résiliation qui est un prétexte pour augmenter le loyer. «L’objectif réel [est] de chasser les locataires pour relouer le logement plus cher. Le projet facilite et encourage de tels abus»2. On peut penser ce qu’on veut des rapports entre bailleurs et locataires, mais l’objet soumis au vote porte sur le droit du propriétaire d’un logement de résilier le bail pour l’occuper lui-même ou le faire occuper par un parent proche. Il ne s’agit donc par définition pas de relouer le bien, mais de le sortir du marché locatif.
Cet article ne peut être invoqué que par une personne physique qui peut prouver qu’elle a elle-même ou un parent proche un «besoin important et actuel» d’occuper tel logement. L’ASLOCA ne lutte pas ici contre le grand capital anonyme, mais contre les petits propriétaires privés. Certes, pour le locataire «perdre son logement est un traumatisme», mais n’est-il pas aussi choquant pour le propriétaire qui acquiert un appartement en PPE (ou qui l’avait mis provisoirement en location) de ne pouvoir l’occuper en cas de besoin, sans devoir attendre 4 à 5 ans, parce que son locataire use du droit et de la longueur des procédures pour y rester?
Les cas d’application de cette modification sont donc limités, ceux où la modification sémantique aura une influence sur le jugement le seront plus encore. L’enjeu est d’autant plus anecdotique en pratique que l’alinéa 3 de l’article 261 CO n’est pas modifié. Ainsi, si l’acquéreur d’un logement en résilie le contrat plus tôt que le terme contractuel en invoquant son besoin propre, le propriétaire précédent «répond de tous les dommages ainsi causés au locataire». Les vendeurs prudents interdisent donc à l’acheteur de faire usage de cette possibilité. Il est regrettable que ni les référendaires, ni l’administration ne nous donnent une estimation du nombre annuel de résiliations affectées par cette réforme majeure de l’ordre juridique helvétique.
Nous voterons donc deux fois OUI à la modification du droit de la sous-location, ainsi qu’à la modification du droit du bail sur la résiliation pour besoin propre.
Me Olivier Klunge
Avocat, Lausanne
1. Communiqué de presse du 9 octobre 2024.
2. Brochure de votation, pages 38 et 39.
Cet article est paru dans le No 2264 du bimensuel vaudois «La Nation». Il est reproduit ici avec l’autorisation de l’auteur et du journal.