Les locataires désireux d’acquérir leur logement sont en réalité dans l’impossibilité de le faire pour de simples questions juridiques!

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Projet en tout point bienvenu

Faciliter l’accession à la propriété

3 Nov 2021 | Articles de Une

L’équation actuelle des locataires est simple: le total des loyers qu’ils ont payés pendant une vingtaine d’années peut souvent correspondre à la valeur d’achat de leur logement. Le locataire a par conséquent payé en loyer l’équivalent de la valeur de son logement, mais sans en devenir propriétaire! Forts de ce constat, les pays européens qui nous entourent ont un fort taux de propriétaires. Ce qui n’est pas le cas de la Suisse et encore moins de Genève.

En effet, le canton de Genève a l’un des plus bas taux de propriétaires, soit 18% alors que la moyenne helvétique est de 33%. Et ce n’est pas faute d’avoir des locataires désireux d’acquérir leur logement. Preuve en est que lorsque 290 logements PPE du quartier de l’Etang à Vernier ont récemment été mis en ligne, la demande a été telle que plus de 1000 personnes avaient postulé pour ces appartements dans un délai de … deux heures!
La demande de locataires désireux d’acquérir la propriété de leur logement est donc particulièrement forte à Genève. Mais l’offre de tels logements ne suit manifestement pas. Et l’une des causes de cette situation réside dans l’actuelle loi sur les démolitions, transformations et rénovations des habitations (ci-après: la LDTR).

L’une des causes du blocage à
l’accession à la propriété: la LDTR

En effet, l’actuelle LDTR empêche, par principe, le locataire de pouvoir acquérir en propriété son logement, au motif qu’il existerait un intérêt public au maintien d’appartements à louer, prépondérant par rapport à l’intérêt privé du locataire à devenir propriétaire de son logement.
L’actuelle LDTR prévoit toutefois une exception à cette règle. Cette exception concerne le locataire qui occupe son logement depuis plus de trois ans. Mais cela à la double condition qu’il obtienne que 60% des locataires de son immeuble acceptent son projet d’acquisition et qu’il soit de surcroît certifié que ses voisins ne seront pas contraints d’acheter leur appartement ou de le quitter.
Cela étant lorsque cette double condition est réalisée, le locataire n’est en réalité au bénéfice que d’une simple présomption que son intérêt privé à acquérir son logement l’emporte sur l’intérêt public à maintenir des appartements en location.
Et c’est là où le bât blesse.
En effet, l’interprétation par les tribunaux de cette présomption est devenue si rigide qu’elle en a perdu toute portée pratique. Cela provient du fait que la jurisprudence exige que le locataire prouve que son intérêt privé à acquérir son logement l’emporte, dans son propre cas d’espèce, sur l’intérêt public au maintien d’appartements loués. Or cette condition est pratiquement impossible à remplir.
Résultat: les locataires désireux d’acquérir leur logement sont en réalité dans l’impossibilité de le faire pour de simples questions juridiques.

Des députés au secours
des locataires

Heureusement pour les locataires, il se trouve qu’un certain nombre de députés, représentant le tiers du Grand Conseil genevois et emmenés par le député PLR Cyril Aellen, ont finalement décidé de faire sauter ce verrou juridique.
Et pour ce faire, ces députés ont déposé le 20 septembre 2021 un projet de loi de modification des dispositions de la LDTR (voir à ce propos le Journal de l’Immobilier No 2, du 29 septembre 2021 – www.jim.media).
Ce projet de loi a le mérite de la clarté et de la simplicité. Il prévoit en effet, tout simplement, d’annuler la disposition de la LDTR dont l’interprétation a finalement vidé de toute substance le droit des locataires à devenir propriétaires de leur logement. Puis de la remplacer par une autre, qui fait du droit du locataire de pouvoir acquérir son logement un véritable droit et non une coquille vide comme c’est le cas actuellement.
En tout état, et pour rappel, les dispositions de la LDTR consacrées à la vente d’appartements destinés à la location ne s’appliquent bien évidemment que lorsque le propriétaire de l’immeuble a manifesté l’intention de vendre les appartements jusque-là affectés à la location.

Droit du locataire d’acquérir son logement

Le projet de nouvelles dispositions de la LDTR prévoit que le Département doit autoriser la vente à un locataire de l’appartement qu’il occupe lorsque les conditions suivantes sont réalisées.
• Le locataire occupe son logement depuis au moins trois ans.
­• Le locataire a manifesté son souhait d’acquérir l’appartement qu’il occupait, sans aucune contrainte du bailleur.
­• Dans ce cadre, le locataire a été formellement informé de ce que tout congé est annulable lorsqu’il est donné par le bailleur dans le but d’amener le locataire à acheter l’appartement qu’il loue (protection contre le congé-vente).
• Le prix de vente du mètre carré PPE répond aux besoins d’intérêt général.
­• Les locataires restant dans l’immeuble ont obtenu la garantie de ne pas être contraints d’acheter leur appartement ou de partir.

Un prix du mètre carré très contrôlé

S’agissant du prix de vente (qui est le nerf de toute acquisition en propriété), le projet de loi prévoit des conditions très strictes, toutes à l’avantage du locataire. En effet, le projet stipule que le prix de vente au mètre carré PPE des logements ne doit pas excéder le prix moyen des opérations en PPE approuvées par le Département en zone de développement durant les trois dernières années.
De surcroît, ce prix de vente au mètre carré PPE maximal autorisé doit être publié chaque année par le Conseil d’Etat.
Ces dispositions sont de nature a assurer la transparence des prix du marché et à garantir aux locataires intéressés par l’acquisition de leur appartement que le prix de vente de leur logement est bien conforme au marché.

Engagement pendant cinq ans

Afin d’éviter que le nouveau propriétaire ne se double rapidement d’un spéculateur, le projet prévoit que le locataire, en place depuis déjà au moins trois ans, ait l’obligation, lorsqu’il devient propriétaire de son logement, d’y rester pendant au moins cinq ans supplémentaires.
Sauf bien évidemment si le locataire, devenu propriétaire, peut invoquer de justes motifs l’obligeant à quitter son logement avant l’échéance des cinq ans.
Constituent de tels justes motifs les circonstances imprévisibles au moment de l’acquisition du logement, soit, notamment:
• le divorce de l’acquéreur;
• un état de santé qui ne permette plus son maintien dans le logement;
• son décès (sic!);
­• sa mutation dans un autre lieu de travail.

Les autres motifs d’autorisation de vente

Le projet ne modifie en rien les autres motifs d’autorisation déjà prévus par la LDTR, respectivement par le RDTR (règlement d’application de la LDTR), à savoir pour rappel:
­• l’appartement a été dès sa construction ou avant le 31 mars 1983, soumis au régime de la PPE, ou à une forme analogue;
­• l’appartement n’a jamais été loué;
­• l’appartement a déjà fait l’objet d’une autorisation de vente LDTR;
• le propriétaire doit vendre son appartement pour l’une des raisons suivantes:
– la nécessité de liquider une succession ou un régime matrimonial;
– la nécessité de satisfaire aux exigences d’un plan de désendettement;
– la prise d’un nouveau domicile en dehors du canton.

Au Grand Conseil de voter rapidement ce projet

Le projet de modification de la LDTR apparaît suffisamment équilibré pour que l’on puisse espérer que le Grand Conseil l’adoptera rapidement.
Ce d’autant plus qu’il s’inscrit pleinement dans le cadre de la Constitution genevoise, qui stipule que l’Etat doit encourager l’accession à la propriété (et non la décourager).

 

Patrick Blaser, Avocat associé
Etude Borel & Barbey, Genève
patrick.blaser@borel-barbey.ch

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