Un peu plus de souplesse dans l’examen des congés.

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Justes motifs à l’appui d’une résiliation de bail

Examen moins exigeant du Tribunal fédéral

28 Sep 2022 | Articles de Une

Dans un arrêt du 5 juillet 2022 (ATF 4A_609/2021), le Tribunal fédéral a été amené à préciser sa jurisprudence concernant la validité d’un congé donné par un bailleur ayant l’intention de changer l’affectation commerciale de locaux loués et de les occuper lui-même après les avoir transformés. Il ressort de cet arrêt que le Tribunal fédéral entend faire preuve de plus de flexibilité dans l’examen des motifs invoqués par le bailleur à l’appui de son congé.

Le cas récemment soumis à la sagacité des tribunaux, et cela jusqu’au Tribunal fédéral, posait plusieurs problèmes de principe qui ont amené notre haute juridiction à préciser sa jurisprudence en matière de résiliation de bail et de bonne foi. Et cela dans le sens d’une appréciation plus souple des preuves invoquées par le bailleur à l’appui des motifs l’ayant conduit à résilier un bail.

Bar-restaurant ou agence
bancaire?

Les faits soumis à l’examen des tribunaux étaient en bref les suivants. Un locataire avait conclu un contrat de bail pour des locaux affectés à l’usage d’un bar-restaurant. Le bail avait été conclu pour une durée de cinq ans, renouvelable de cinq ans en cinq ans. Après la conclusion du bail, l’immeuble abritant le bar-restaurant a été acquis par un nouveau propriétaire. Ce dernier a résilié le bail.
A l’appui de sa résiliation, le bailleur a invoqué son besoin propre et urgent de pouvoir récupérer les locaux, afin d’affecter l’ensemble de son immeuble à ses activités propres et, plus particulièrement, d’aménager au rez-de-chaussée une agence bancaire en lieu et place du bar-restaurant. Le locataire a bien évidemment contesté la résiliation de son bail.
Les juridictions cantonales ont toutefois admis la validité de la résiliation du bail pour son échéance contractuelle, puis accordé, en seconde instance, une première prolongation de bail pour une durée de trois ans.
Le locataire a recouru auprès du Tribunal fédéral contre ce dernier arrêt cantonal en concluant à l’annulation de la résiliation, au motif que le motif invoqué par le bailleur n’était qu’un faux prétexte et, à titre subsidiaire, à la prolongation de son bail pour la durée maximale de six ans.

Résiliation de bail et bonne foi doivent faire bon ménage

Cette affaire a donné l’occasion au Tribunal fédéral de rappeler et de préciser certains principes en matière de résiliation de bail.
Lorsqu’un bail a été conclu pour une durée indéterminée, ce qui est le cas des baux contenant une clause de reconduction tacite, le bailleur et le locataire sont en principe libres de résilier le bail pour la prochaine échéance contractuelle stipulée dans le bail, à la condition de respecter le délai de congé prévu.
Dans ce cadre, le Tribunal fédéral rappelle le principe sacro-saint de la liberté contractuelle selon lequel, en matière de bail, le contrat ne lie les parties, soit le bailleur et le locataire, que jusqu’à l’expiration de la période de location fixée dans le bail.
Ce qui signifie qu’à l’échéance du contrat, la liberté contractuelle reprend ses effets et chacune des parties a la faculté d’y mettre fin. Le bailleur, en particulier, reprend sa liberté contractuelle de résilier le bail. Cette liberté a toutefois une limite: celle de la bonne foi quant aux motifs invoqués à l’appui de la résiliation du bail.
Et lorsque le locataire parvient à établir que le bailleur a résilié son bail pour de faux motifs, soit de façon contraire aux règles de la bonne foi, il peut obtenir des tribunaux que le congé soit annulé.
Cette règle vaut tant pour les baux d’habitation que pour les baux commerciaux. La résiliation d’un bail et la bonne foi du bailleur qui résilie le bail doivent par conséquent faire bon ménage. A défaut, le locataire peut obtenir l’annulation de la résiliation du bail.

Besoin du bailleur d’occuper lui-même les locaux: résiliation du bail admissible, mais à quelles conditions?

Dans le cas d’espèce soumis au Tribunal fédéral, ce dernier a dû statuer sur la question de savoir si le motif invoqué par le bailleur pour résilier le bail, à savoir pouvoir récupérer les locaux loués pour les affecter à ses propres activités commerciales, justifiait ou non la résiliation du bail contestée par le locataire.
A l’occasion de son arrêt, le Tribunal fédéral a rappelé, en les précisant, les principes généraux applicables à une telle situation. Il a confirmé que la résiliation d’un bail par le bailleur au motif que ce dernier voulait désormais occuper lui-même les locaux loués n’était pas contraire à la bonne foi.
Un tel congé pourrait cependant apparaître comme étant contraire aux règles de la bonne foi, et par conséquent être annulé, dans la mesure où le locataire parviendrait à prouver que l’intention du bailleur d’occuper lui-même les locaux n’était pas réelle et ne constituait qu’un faux prétexte pour résilier le bail.
Dans le cas spécifique jugé par le Tribunal fédéral, le bailleur a résilié le bail de son locataire, qui exploitait un bar-restaurant au rez-de-chaussée de l’immeuble, au motif qu’il était devenu très récemment le nouveau propriétaire de l’immeuble et qu’il entendait récupérer les locaux loués afin de pouvoir affecter intégralement les surfaces de l’immeuble à ses activités propres.
En particulier, le nouveau propriétaire entendait créer et installer une nouvelle agence bancaire au rez-de-chaussée de son immeuble, en lieu et place du bar-restaurant exploité par le locataire.
En l’espèce, le Tribunal fédéral a rappelé que lorsque la résiliation était motivée par le fait que le bailleur entendait changer l’affectation des locaux loués et procéder à cet effet à des travaux de transformation, celle-ci n’était contraire à la bonne foi, et ne saurait par conséquent être annulée que s’il apparaissait que le projet du bailleur était manifestement incompatible avec les règles du droit public et qu’il était de ce fait certain que le projet ne serait pas autorisé par l’autorité compétente.
Ce même principe est applicable lorsque le bailleur a l’intention d’effectuer des travaux de rénovation, d’assainissement ou de transformation.
A ce propos, le Tribunal fédéral apporte toutefois des précisions importantes.

Autorisation de construire
nécessaire?

Au moment où le bailleur donne le congé, le Tribunal fédéral n’exige pas que le bailleur ait déjà obtenu une autorisation de construire, ni même qu’il ait déposé une telle demande.
Les tribunaux doivent uniquement examiner si, au moment où le congé a été donné, l’autorisation des travaux envisagés pourrait être obtenue.
A charge du locataire, dans ce cadre, d’établir que l’autorisation pour les travaux envisagés paraît à l’évidence exclue, tant le projet est manifestement incompatible avec les règles du droit public.
Selon le Tribunal fédéral, une probabilité de refus, même non négligeable, n’est pas suffisante. Cette probabilité doit en effet être absolue.
A cela s’ajoute que si, après la notification du congé, le bailleur se voit finalement refuser l’octroi du permis de construire, cet élément à lui seul ne permet pas d’annuler le congé.
En effet, selon le Tribunal fédéral, des événements survenus postérieurement à la notification du congé ne peuvent pas être pris en considération pour déterminer la validité du congé, car un congé valable au moment où il a été donné ne peut pas devenir invalide par la suite.
En revanche, les tribunaux doivent tout de même intégrer ces événements dans leur examen du degré d’impossibilité du projet tel qu’il existait à la date de la notification du congé.
Par ailleurs, un congé n’est pas contraire à la bonne foi, dans la mesure où le projet initial pourrait être simplement modifié pour pouvoir être approuvé par l’autorité administrative.
Dans le cas d’espèce, le fait que le bailleur n’avait pas déposé une demande d’autorisation de construire au moment de la résiliation du bail, ni même présenté des plans détaillés de son projet, n’a pas suffi à entraîner l’annulation du congé.
En effet, le Tribunal fédéral a largement tenu compte du fait que l’intention du bailleur d’implanter une agence bancaire, antérieure à la résiliation du bail, avait été dûment prouvée par pièces et auditions de témoins. Le motif invoqué par le bailleur était donc réel et ne constituait pas qu’un prétexte.
En conséquence c’est, selon le Tribunal fédéral, à juste titre que les tribunaux cantonaux ont admis la validité de la résiliation du bail pour son échéance contractuelle.

Agence bancaire
«portes ouvertes»!

A noter que dans ce dossier, le bailleur avait pris la précaution, pour se conformer aux dispositions du plan d’utilisation du sol (RPUS), d’intégrer dans son projet des espaces accessibles au public, notamment sous forme d’espaces de coworking, d’un coin café et de la création d’un espace extérieur ouvert. Tout cela dans le but de maintenir au rez-de-chaussée des espaces ouverts au public et d’offrir différentes possibilités d’utilisation.
Voilà qui devrait ainsi permettre d’assurer une certaine animation dans le quartier, ce qui n’aurait pas été le cas avec une agence bancaire classique.
Cet élément n’a pas laissé indifférent la dernière instance cantonale lors de son examen de l’admissibilité administrative d’un tel projet, qui n’était donc pas à exclure d’emblée. Le Tribunal fédéral a partagé cette appréciation.
Et cela malgré un document de la Ville de Genève versé à la procédure, qui indiquait que le projet n’était pas conforme à son Plan sur l’utilisation du sol (RPUS) et que la Ville n’accorderait aucune dérogation dans le cas présent.

Quelle prolongation de bail?

La résiliation du bail ayant été validée pour son échéance contractuelle, restait à trancher la question de la durée de la prolongation du bail à laquelle le locataire avait droit.
La première instance cantonale avait accordé au locataire une unique prolongation de bail de quatre ans, étant rappelé que la durée maximale pour un bail commercial est de six ans.
Suite à l’appel du locataire, la seconde instance cantonale a accordé, en lieu et place d’une unique prolongation de bail de quatre ans, une première prolongation de bail de trois ans, ce qui permettra au locataire de solliciter une seconde prolongation de trois ans.
Le Tribunal fédéral a confirmé l’octroi de cette première prolongation.
L’arrêt du Tribunal fédéral du 5 juillet 2022 (ATF 4A_609/2021) a par conséquent indéniablement accru les exigences à charge du locataire qui, pour pouvoir obtenir l’annulation de la résiliation de son bail, doit prouver que les motifs invoqués par le bailleur à l’appui de son congé sont manifestement fallacieux.

 

Patrick Blaser
Avocat associé, Etude Borel & Barbey, Genève
patrick.blaser@borel-barbey.ch

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