AMéNAGEMENT - Magistrale de Cobaty Lausanne-Vaud
Dix ans après la LAT, où en est-on?
Il y a quelques jours, dans le magnifique centre événementiel «Cube» de Morges, s’est tenue la Conférence magistrale 2024 de l’association Cobaty Lausanne-Vaud. Quatre personnalités de premier plan ont tiré le bilan de la révision de la Loi fédérale sur l’aménagement du territoire après une décennie, faisant notamment le point sur les Plans d’affection communaux (PAcom). Les débats, modérés par notre rédacteur en chef Thierry Oppikofer, ont passionné une centaine de Cobatystes et d’invités, dont quelques jeunes participant à la Journée «Oser tous les métiers» vaudoise.
Magistrale: la manifestation annuelle de Cobaty Lausanne-Vaud mérite bien son nom, dans la mesure où cette association de la Fédération Cobaty (qui regroupe près de 140 implantations locales réunissant des professionnels liés à l’acte de construire) rassemble chaque année des intervenants de premier plan sur des sujets importants. Le panel de novembre réunissait la présidente du Conseil d’Etat vaudois Christelle Luisier Brodard, la syndique de Morges Mélanie Wyss, le professeur et avocat Benoît Bovay et le président de l’Association des développeurs immobiliers vaudois Robert Ischer.
Après quelques mots de Gil Richard, organisateur avec notamment Yves Semadeni de l’événement, et la bienvenue souhaitée par Mélanie Wyss, la présidente Luisier a souligné que la nouvelle LAT avait constitué depuis dix ans un véritable changement de paradigme. Cette volonté fédérale, agréée par le peuple suisse, de mieux organiser l’aménagement du territoire helvétique afin de rationaliser l’habitat et de préserver aussi bien les terres agricoles et les paysages que la diversité et le développement économique durable, a eu d’importants effets à l’échelle du pays de Vaud. Les Plans d’affectation communaux, impliquant pour 169 communes de redimensionner leur zone à bâtir, présentent le tableau suivant: 65 sont approuvés ou en passe de l’être, 83 en cours de validation à l’échelon communal et 21 encore en élaboration. Le gouvernement vaudois, pour réaliser l’équilibre territoral souhaité, œuvre en bonne entente avec les districts et les communes, les acteurs privés et l’administration fédérale. Néanmoins, la croissance démographique, le ralentissement de la construction et les oppositions accrues à la nécessaire densification présentent des obstacles qui expliquent le retard pris à finaliser le projet global.
La voix du droit
Le professeur Bovay, autorité de référence en matière du droit de la construction et auteur du best-seller jurdique «Le permis de construire» (Editions EPFL Press) a ensuite présenté un certain nombre d’éléments statistiques (voir graphiques) et précisé le cadre juridique instauré par la LAT révisée. Constatant qu’au fil de 40 ans de révisions successives de la loi, la surface des zones constructibles avait sans cesse diminué, l’éminent juriste a plaidé pour une densification qualitative, soulignant que la LAT imposait d’«orienter le développement de l’urbanisme vers l’intérieur du milieu bâti en maintenant une qualité de l’habitat appropriée» (art. 1) et de «répartir judicieusement les lieux d’habitation et les lieux de travail, et les planifier en priorité sur des sites desservis de manière appropriée par les transports publics» (art. 3). Benoît Bovay a insisté sur le fait que les communes disposaient d’une certaine autonomie, mais contrôlée, et ne pouvaient s’offrir le luxe de se concentrer sur un des aspects des exigences de la LAT en reportant les autres à plus tard!
La voix des privés
Robert Ischer, président de l’ADIV, a présenté l’approche des gens de terrain, constructeurs confrontés aux effets de la pénurie de logement, génératrice de mécontentement social, de loyers élevés et d’indisponibilité de biens immobiliers abordables pour locataires et acheteurs, sans parler des multiples oppositions et recours. L’orateur dénonce la rigidité excessive de l’aménagement du territoire vu par Berne et appliqué par les cantons; il demande aux autorités de favoriser les partenariats publics-privés, d’alléger les durées de procédure, d’interpréter le plus souplement possible les injonctions de la LAT et d’examiner les possibilités d’accroître les coefficients d’utilisation des sols. Robert Ischer préconise aussi un durcissement des conditions de recours et moins de rigorisme dans l’approche des quotas d’assolement.
Lors du débat qui suivit, la question de l’acceptabilité des projets par la population fut abondamment traitée. Pour Me Bovay, la densité est un faux problème; c’est la qualité qui doit être mise en exergue. Le projet lausannois Métamorphose en est un bon exemple: ceux qui s’y opposaient découvrent cette incroyable qualité. Les maîtres d’ouvrage doivent comprendre que l’investissement dans la qualité est rentable. La présidente du Conseil d’Etat se dit préoccupée par des refus massifs comme au Mont-sur-Lausanne où la population a rejeté un projet qui avait pourtant passé toutes les étapes de concertation. «La notion de qualité est malheureusement évolutive, constate Christelle Luisier. On planifie durant 5 à 8 ans, puis lorsqu’on arrive au stade de la réalisation, des changements de société peuvent s’être produits. Hier, on voulait partout des espaces minéraux et aujourd’hui, on veut lutter contre les îlots de chaleur», relève-t-elle, évoquant un «effet retard» difficile à évaluer d’avance. La question d’une certaine saturation de l’opinion dans un canton dynamique, avec peu de chômage, et qui se développe rapidement, implique aussi celle de la mise à niveau des infrastructures (mobilité, crèches, etc.).
Le rôle de l’Etat
Mélanie Wyss souligne pour sa part l’excellente collaboration entre «génie local et intérêt général», autrement dit commune et canton, pour traiter ces questions. La syndique de Morges cite l’exemple du quartier Eglantine, décrié au départ et aujourd’hui unanimement apprécié. Robert Ischer affirme pour sa part que les développeurs ont pris conscience dès longtemps de l’importance de la qualité des projets et que d’une part les coûts de cette hausse des exigences qualitatives sont assumés, d’autre part que la vraie pression financière n’est pas là: elle réside dans la longueur et la complexité, notamment administrative, des processus.
En revanche – et contrairement à la situation genevoise où l’Etat et les collectivités sont les plus grands propriétaires – le danger de voir la puissance publique se substituer aux promoteurs est jugé faible. Mme Luisier rappelle que le droit de préemption public est le fruit d’une loi votée par le peuple, la L3PL (loi sur la préservation et la promotion du parc locatif), mais qu’il est essentiellement communal et ne constitue qu’un outil parmi d’autres, cadré par l’Etat. «Le Canton n’a aucune volonté de se substituer aux privés», relève-t-elle, insistant sur l’importance du travail collectif entre promoteurs, communes et Etat.
Enfin, la présidente du Conseil d’Etat constate qu’au niveau fédéral, la tendance n’est absolument pas à l’assouplissement de la LAT. De son côté, le professeur Bovay relève que limiter le droit de recours/d’opposition ou le rendre plus onéreux n’est juridiquement pas possible.