GOUVERNANCE - Un entretien avec le président du Conseil d’Etat fribourgeois
Didier Castella: un développement résolu, mais maîtrisé
– Au cours des quinze dernières années, le canton de Fribourg a connu la plus forte croissance démographique de Suisse: sa population a augmenté de plus d’un quart depuis 2007. Fin 2022, il y avait 334 000 habitants dans ce canton. Quelles sont les raisons de cette augmentation démographique?
– L’approche économique a changé. On a développé une attractivité renforcée avec des emplois à haute valeur ajoutée, d’abord pour les Fribourgeois, puis pour les Confédérés et les ressortissants d’autres pays. La magnifique qualité de vie dans le canton joue aussi un rôle. A mi-chemin entre Berne et Lausanne et entre Genève et Zurich, Fribourg joue le rôle de pont attrayant. Sur l’Arc lémanique, les hauts coûts de la vie, notamment dans le domaine de la construction, renforcent l’intérêt pour le canton de Fribourg. Cela nous permet d’avoir la population la plus jeune de Suisse, ce qui est évidemment intéressant en termes de dynamique, mais entraîne aussi des conséquences en matière de construction de nouvelles infrastructures routières, scolaires et sportives.
– Fribourg connaît un boom immobilier: certains s’inquiètent de ce développement très important et rapide. Tout cela est-il parfaitement maîtrisé?
– Nous avons une demande et devons répondre aux besoins des citoyens. On n’a jamais eu autant d’outils pour maîtriser ce développement. Il y a un Plan directeur cantonal, assez contraignant, mais qui permet notamment une densification et la préservation de nos terres et de nos paysages. Des instruments nous permettent de contenir cette augmentation et notamment de préserver les terres forestières et agricoles.
– Pourra-t-on absorber le scénario du Service cantonal de la statistique, qui prévoit un canton de Fribourg à plus de 393 000 habitants en 2050?
– Il faut être très prudent avec les scénarios, car ils sont en train de changer, semble-t-il; ils étaient un peu trop optimistes! Nous sommes très liés à la politique suisse d’immigration et c’est aussi la politique fédérale qui va influencer le nombre de personnes accueillies. Il y a un souci avec les personnes qui cherchent à se loger et l’on doit répondre à ce besoin, comme à celui du développement de certaines entreprises qui sont amenées à croître; c’est une bonne chose pour les Fribourgeoises et les Fribourgeois, parce qu’on a une grande part de pendulaires et nous souhaitons offrir à ces pendulaires le moyen de moins se déplacer, de moins produire de CO2 et de travailler à Fribourg.
– Vous venez de présenter, avec la Direction de l’aménagement du territoire et des constructions, une nouvelle stratégie pour renforcer la protection des sols du canton. Quelles sont les conséquences de cette stratégie pour la construction et l’agriculture?
– Nous avons la chance d’avoir des sols bien conservés dans notre canton. Cela ne veut pas dire qu’il ne faille pas faire attention. Et c’est pourquoi l’on prend une série de mesures préventives pour s’assurer qu’il n’y ait pas de problème de pollution dans le futur. On veut aussi mieux connaître nos sols, parce que c’est un peu le parent pauvre en termes de connaissances. Une cartographie des sols est prévue pour mieux connaître ces sols et prévenir d’éventuels dégâts qui pourraient menacer en matière d’érosion, de pollution, d’utilisation des terrains. Dix-huit mesures sont mises en place pour préserver ces terres, leurs qualités, à terme aussi préserver les terres agricoles. Le but est naturellement de protéger la capacité de tous les types de sols à fournir les services nécessaires au bon fonctionnement de la société, avec des conflits d’objectifs évidents, par exemple avec la préservation des terres agricoles. Il faudra densifier sans péjorer la qualité de nos terres et leur quantité; des actions de revalorisation des sols seront nécessaires pour atteindre ces objectifs.
– Les communes fribourgeoises et les préfets ont des compétences en matière de permis de construction. Est-il prévu de les modifier dans le cadre de la révision totale en cours de la législation sur les communes?
– Nous avons décidé de travailler sur la loi sur les communes, sans tabous, en collaboration avec les Municipalités et les préfets: l’on met toutes les idées sur la table et des groupes de travail se penchent sur différents scénarios. Le Conseil d’Etat, à un moment donné, sera amené à donner son avis sur ces différentes possibilités et scénarios et il y aura une consultation de tous les organes concernés avant de proposer un projet définitif au Grand Conseil. Il s’agit toutefois de revoir le fonctionnement des communes et des associations de communes, et non les compétences qui leur sont octroyées.
– Les Transports publics fribourgeois (TPF), dont vous êtes le président du Conseil d’administration, vont poursuivre leur engagement en faveur d’une mobilité durable. Cela implique une augmentation de 60 millions de francs de la participation étatique au capital-actions des TPF. Un vote populaire aura lieu en 2024. Quelles sont les raisons de cet engagement de l’Etat?
– Nous avons parlé de l’évolution de la démographie, ce qui entraîne une évolution des transports publics. Il y a aussi une volonté de décarboner notre mobilité et les transports publics sont une partie de la solution. On doit développer les transports publics en termes de cadences et de lignes, ce qui implique des achats considérables. Le personnel des TPF a doublé en quinze ans et l’on continue de se développer. Mais nous disposons toujours des mêmes moyens et avons besoin de davantage de fonds propres par rapport à la croissance voulue de l’entreprise, afin d’éviter le report des charges sur le consommateur et les autorités de financement. Il s’agit de faire face à des investissements colossaux, nécessaires à l’évolution de notre société.
– Les travaux de restauration et de transformation du Domaine viticole des Faverges, propriété de l’Etat de Fribourg située en terres vaudoises, ont débuté en juin. Quels sont les objectifs poursuivis par ces travaux?
– Les Faverges constituent l’un des plus beaux patrimoines dans le Lavaux, inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco. Nous avons le devoir de préserver ce patrimoine, qui n’a pas été rénové ou assaini depuis septante ans. On a aussi besoin d’agrandir les caves, en raison de l’augmentation de la production vinicole. L’étude des besoins a aussi révélé la valeur du lieu pour y organiser des séminaires. Il faut en faire un lieu d’accueil plus reconnu.
– En 2021, vous avez été le mieux élu de tous les candidats au Conseil d’Etat, avec un score inégalé dans l’histoire fribourgeoise de 52 847 voix. Je rapprocherais cet événement du grave accident de quad que vous avez eu en juillet 2016 et qui vous a valu 23 fractures et plusieurs mois d’immobilisation. Cet événement personnel a-t-il joué un rôle dans votre vie politique et dans votre vision d’une force qui avance pour contribuer au développement du canton de Fribourg?
– Cet événement a confirmé mon engagement politique. Je me suis rendu compte que d’une seconde à l’autre, on pouvait passer d’un très bon état de santé à ne plus pouvoir se mouvoir et être couché dans un lit sans pouvoir faire quelque chose tout seul. Je suis passé d’un état de totale liberté à un statut de totale dépendance en quelques secondes. Cela m’a marqué et m’a confirmé que l’on avait une seule vie, que l’on devait la vivre le mieux possible. Cela m’a donné aussi une certaine humilité par rapport à la façon dont on dépend des autres et sensibilisé au fait que nous vivions dans une société et un époque assez incroyables: si j’avais eu cet accident il y a plusieurs décennies, je ne serais sans doute plus là pour en parler et n’aurais pas pu poursuivre mon existence actuelle avec un engagement intensif de tous les jours. J’en suis reconnaissant à la médecine, qui me l’a permis.