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Surélévation à la Servette

Dialogue entre existant et nouveau

30 Nov 2022 | Articles de Une

Tout architecte qui intervient sur un immeuble dans le but de réaliser une surélévation se trouve confronté à un dilemme: faut-il poser le nouvel élément en le démarquant du reste, ou est-ce préférable, au contraire, de le fondre avec le bâtiment existant? C’est la voie du milieu qui a été choisie pour l’ensemble d’immeubles locatifs situé à l’avenue de Luserna/rue Edouard Rod, dans le quartier de la Servette en ville de Genève: la «galette» dispose d’une matérialité propre, mais s’inscrit dans la continuité de l’édifice. Un projet d’intégration réussi qui découle d’une parfaite coordination entre les bureaux Fabio Fossati Architectes SA, Vidal Architectes et FD Architectes SA.

Un projet d’intégration réussi qui découle d’une parfaite coordination entre les bureaux Fabio Fossati Architectes SA, Vidal Architectes et FD Architectes SA.

Conçu par l’architecte Rodolphe Garabedian entre 1969 et 1975, le bâtiment situé à quelques pas de la Cité Vieusseux a été réalisé en plusieurs étapes, qui se lisent encore par des détails apparents en façade. Les immeubles appartiennent à trois propriétaires, soit la Société coopérative d’habitation Coprolo Luserna (24, rue Edouard Rod), la Rente immobilière SA/RISA (46, av. de Luserna) et la famille François Dugerdil (44, av. de Luserna). Souhaitant surélever leur immeuble respectif, ces derniers mandatent, en 2012, les bureaux Vidal Architectes, Fabio Fossati Architectes SA et FD Architectes SA. Le propriétaire des deux immeubles aux 40 et 42, av. de Luserna (non concernés par le présent article) emboîte alors le pas. Face à ces multiples interlocuteurs, la Commission d’architecture de la Ville de Genève demande qu’un projet commun et cohérent soit développé.

Une procédure faite de
rebondissements

Afin d’aboutir à une solution qui convienne à tous, moult études de faisabilité et consultations se succèdent (2012-2015). Par ailleurs, les architectes réalisent le prototype d’un élément de façade, vérifié sur site. La demande d’autorisation de construire est finalement déposée en cours d’année 2015 et sera délivrée fin 2017. Peu après, la Ville de Genève dépose un recours, une procédure qui fera perdre deux ans au projet. Les arguments portent, en substance, sur les écopoints et les emplacements véhicules et vélos; les ratios de l’Office cantonal des transports (OCT) – surfaces brutes de plancher/places de stationnement – ayant été revus à la baisse, les porteurs de projet obtiennent en 2019 gain de cause et le chantier peut démarrer en 2021.
«Les bureaux d’architectes se coordonnent pour conduire ensemble les adjudications d’entreprises, ce qui permet d’importantes économies d’échelle, relate Fabio Fossati. De plus, le chantier des trois immeubles a démarré en même temps. Et pas question d’établir trois procès-verbaux pour chaque séance, un seul faisait l’affaire!». Une simplification et un gain de temps appréciés par les partenaires du projet. Malgré la complexité de l’opération – qui impliquait notamment la démolition d’un étage, le désamiantage, le changement des ascenseurs -, les travaux n’ont duré que 18 mois. «Les locataires ont été informés de l’évolution du chantier et durant certaines phases, des étudiants ont apporté leur assistance, en particulier pour monter les courses aux étages», ajoute l’architecte David Vidal.

Une intervention qui préserve l’esprit du design

Le septième niveau (attique) a été déconstruit et seule la cage centrale de l’escalier/ascenseur a été maintenue. «A partir de là, nous avons monté trois étages, accueillant 21 appartements – de 4 à 6 pièces – aux surfaces généreuses et répondant aux normes de Très haute performance énergétique (THPE)», indique José Ojalvo (FD Architectes). A noter que les logements en attique bénéficient de vastes terrasses avec vue sur les Alpes et le Jura.
Sur les balcons et bandeaux horizontaux de la partie surélevée, les architectes ont opté pour un système de lames et de tôles métalliques, qui fait écho à la façade existante, marquée par des cannelures. Si l’immeuble du 24, rue Edouard Rod s’est paré d’éléments métalliques lors d’une rénovation précédente, rendant la liaison avec la surélévation plus aisée, il n’en est pas de même pour les immeubles situés au 44 et 46 avenue de Luserna: la jointure avec les sections en béton s’est avérée plus délicate.
La surélévation a été l’occasion de rénover l’ensemble des façades (décarbonation) et de changer tous les vitrages. La qualité énergétique et phonique des logements s’en est trouvée améliorée. Les cages d’escalier (peinture, revêtements de sol, etc.), les boîtes aux lettres et éclairage des communs ont été modernisés. Quant à la toiture, les architectes ont optimisé son étanchéité et ajouté des panneaux photovoltaïques; un système de récupération d’énergie sur les ventilations a été mis en place, permettant de préchauffer l’eau chaude sanitaire.
Cette réalisation récente, aux qualités architecturale et urbanistique indéniables, illustre l’objectif de densification du tissu bâti auquel tendent les autorités genevoises. Certes, l’exercice est complexe en termes technique, architectural et constructif, mais il montre qu’il est possible d’édifier au-dessus des toits. Une solution intéressante pour renouveler la ville et pallier la pénurie de logement à Genève!

 

Véronique Stein