LA CHRONIQUE JURIDIQUE de Me Patrick Blaser - Confirmation du Tribunal fédéral
Devenir propriétaire est d’intérêt public!
Dans un arrêt récent, le Tribunal fédéral vient de confirmer que l’accession à la propriété de son logement constituait aussi un droit fondamental garanti par la Constitution fédérale et qui devait être respecté par les autorités cantonales.
L’accession à la propriété de son logement constitue un droit fondamental garanti par la Constitution fédérale.
C’est à l’occasion d’une affaire genevoise que le Tribunal fédéral a été amené, une fois de plus, à devoir rappeler aux autorités cantonales que l’accession à la propriété de son logement constituait un intérêt public fondamental, qui se devait d’être protégé contre les mesures étatiques pouvant en réduire le sens et la portée.
Dans le cas d’espèce jugé par le Tribunal fédéral (1C_138/2023), il s’agissait de déterminer si la dernière modification de la Loi générale sur les zones de développement (LGZD), et plus spécifiquement de son article 4A consacré aux catégories de logement, adoptée par le Grand Conseil genevois en date du 20 mai 2022
(PL 13 095) était conforme ou non aux garanties constitutionnelles de la propriété et de la liberté économique.
Cette modification n’avait pour objectif que de compléter la règle selon laquelle tout projet de logement en zone de développement devait comporter un minimum de 20% de logements en PPE, en précisant qu’il devait s’agir de PPE «en pleine propriété».
C’est uniquement sur cette dernière précision que porte la récente modification de l’art. 4A LGZD adoptée par le Grand Conseil genevois.
Bref tour d’horizon de la LGZD
Il convient préalablement de rappeler que la Loi générale sur les zones de développement (ci-après LGZD) du canton de Genève a pour vocation de permettre de répondre au mieux aux divers besoins de la population en termes de logements construits en zones de développement, tout en respectant les principes constitutionnels fondamentaux de la propriété et de la liberté économique.
Dans ce cadre, un accord sur le logement avait été conclu en 2006. Cet accord prévoit en zones de développement différentes catégories de logements et leur répartition lors de la construction de nouveaux logements. Ces dispositions ont été intégrées dans la LGZD et plus particulièrement en son article 4A LGZD (catégories de logements et pourcentages) entré en vigueur en 2007.
En 2015, un premier bilan de l’application de cette norme a été effectué. Il est ressorti de ce bilan que tous les objectifs escomptés n’avaient pas été atteints. En particulier, la construction de logements d’utilité publique (ci-après LUP) restait à la traîne, puisque ceux-ci représentaient à peine 10% du parc locatif genevois, alors que l’objectif visé était de 20%.
De surcroît, la répartition des LUP sur le territoire cantonal était très inégale, ce qui constituait un déséquilibre sous l’angle de la mixité sociale. Par ailleurs la production de logements locatifs pour la classe moyenne, laquelle représente quasiment la moitié de la population, n’avait atteint que 17% des logements construits.
En revanche, la production de logements en propriété par étage (ci-après PPE) ou villas représentait près de 50% des nouvelles constructions, alors que ces logements ne sont financièrement accessibles qu’à 20% de la population.
Modification de l’article 4A LGZD
Fort de ce constat, le Conseil d’Etat genevois a proposé au Grand Conseil de modifier la législation, en particulier l’art. 4A LGZD, afin de permettre:
• de construire plus de logement locatif en faveur de la classe moyenne;
• d’augmenter également le pourcentage de logement d’utilité publique (LUP);
• de maintenir la construction de logement en propriété par étages (PPE).
Suite à un nouvel accord sur le logement finalisé en 2020, le Grand Conseil a modifié, en date du 20 mai 2022 (PL 13095), l’article 4A LGZD en prévoyant une nouvelle répartition par catégories de logement en zone de développement, à savoir:
• un tiers de LUP, dont la moitié en HBM, destinés aux personnes à revenus modestes;
• un tiers en logements locatifs non subventionnés (ZDLoc), destinés à la classe moyenne;
• un tiers de logements laissés au libre choix du promoteur, étant précisé qu’au moins 20% des logements prévus le soient en PPE (ZDPPE).
Il résulte de cette modification de l’art. 4A LGZD que le promoteur bénéficie d’un pourcentage de 13% dont il peut disposer comme il l’entend.
Il convient de souligner ici – et c’est une première! – que la LGZD réserve expressément un pourcentage de logements en PPE avec pour objectif, consensuel entre les parties à l’accord sur le logement de 2020, de permettre à des personnes de la classe moyenne de pouvoir devenir propriétaires de leur logement en zone de développement.
Statut juridique de la PPE en droit de superficie
Dans son arrêt, le Tribunal fédéral rappelle que la propriété par étages (PPE) constitue une copropriété sur un immeuble organisée de manière à ce que chaque propriétaire ait le droit exclusif d’utiliser et d’aménager l’appartement qui lui est dévolu.
Ce droit de copropriété comporte deux éléments indissociables:
• un droit de copropriété qui porte sur l’immeuble entier;
• un droit exclusif de pouvoir disposer d’un appartement déterminé.
Une telle servitude de superficie doit être inscrite au Registre foncier.
Le droit de superficie, quant à lui, est une servitude par laquelle le propriétaire d’un fonds confère à un tiers (le superficiaire) le droit de pouvoir bénéficier de l’usage exclusif s’agissant d’un immeuble ou d’un appartement. Dans ce cas, à l’expiration de la durée convenue par le droit de superficie, le superficiaire perd toutefois la propriété de son appartement, qui revient au propriétaire de l’immeuble grevé.
Tentative de l’Etat de contourner le nouvel art. 4A LGZD
Dans ce cadre, le Département du Territoire, malgré le texte pourtant clair du nouvel art. 4A LGZD, a manifesté l’intention de considérer que les 20% réservés pour les logements en PPE devraient inclure des logements PPE non pas en pleine propriété, mais en droit de superficie.
Or, une PPE en droit de superficie n’est pas assimilable à une PPE en pleine propriété, puisque dans le second cas (PPE en pleine propriété) le bénéficiaire est vraiment propriétaire de son logement dès son acquisition et peut le revendre, alors que dans le premier cas (PPE en droit de superficie), le bénéficiaire n’est pas vraiment propriétaire de son logement, puisqu’il ne bénéficie que d’un droit de superficie, limité de surcroît dans le temps, qu’il doit payer un loyer au véritable propriétaire de l’immeuble concerné et qu’il ne peut le revendre qu’à de moins bonnes conditions.
Pour contrer cette interprétation du Département du Territoire, contraire au texte et à l’esprit de la modification récente de l’art. 4A LGZD, le Grand Conseil a rapidement adopté une nouvelle version de cette disposition, stipulant que tout projet de construction en zone de développement devait comporter en principe un minimum de 20% de logement en PPE, en précisant toutefois expressément que ces PPE devaient être «en pleine propriété», ce qui excluait les PPE en droit de superficie.
Aucun référendum n’a été lancé contre cette nouvelle modification de l’art. 4A LGZD.
Les 20% de logement en PPE en pleine propriété avalisés par le TF
Cela étant, deux entités juridiques, propriétaires de parcelles situées en zone de développement, ont interjeté recours d’abord auprès de la Chambre constitutionnelle de la Cour de Justice du canton de Genève, puis auprès du Tribunal fédéral. Mais cela sans aucun succès, puisque les recours ont été rejetés, d’abord par la Cour de Justice, puis par le Tribunal fédéral. De ce fait, la dernière modification de l’art. 4A LGZD adoptée par le Grand Conseil a finalement reçu une double légitimité, tant légale que constitutionnelle.
D’abord, sous l’angle des garanties de la propriété (art. 26 de la Constitution fédérale) et de la liberté économique (art. 27 de la Constitution fédérale), le Tribunal fédéral a souligné que l’intérêt public poursuivi par l’art. 4A LGZD, dans sa nouvelle teneur, était triple, à savoir:
• favoriser l’accession à la propriété de son logement;
• tout en assurant un contrôle des prix en zone de développement;
• et en favorisant une certaine mixité sociale.
A ce propos, le Tribunal fédéral a rappelé que la lutte contre la pénurie de logement constituait un intérêt public évident, tout en confirmant que la construction de logement et l’accession à la propriété à des fins d’habitation, notamment par la classe moyenne, correspondait aussi à un objectif constitutionnel, tant cantonal que fédéral.
Dans ce cadre, le Tribunal fédéral a confirmé sa jurisprudence selon laquelle la lutte contre la pénurie de logement pouvait être entravée par la vente d’appartements à des prix exagérés, mais que l’obligation fixée dans la LGZD (art. 5) qui imposait au propriétaire d’un logement en PPE de l’occuper personnellement, n’était pas contraire à l’intérêt public de lutter contre la spéculation immobilière.
En effet, cette obligation pour le propriétaire d’occuper personnellement son logement a permis de mettre fin à la pratique consistant pour des acheteurs à acquérir des lots entiers d’appartements en PPE, de ne pas les vendre durant la période de contrôle, mais de les louer, puis de les revendre au prix du marché à l’issue de la période de contrôle.
Par ailleurs, en zone de développement, les mesures de contrôle et les conditions imposées par l’Etat sur les prix de vente ou les loyers constituent une contrepartie légitime aux différentes formes d’intervention de l’Etat (déclassement de zones entraînant une plus-value foncière, une densification des surfaces et des coûts de construction modérés).
S’agissant du cas d’espèce jugé par le Tribunal fédéral, la disposition contestée par les recourants qui fixe un taux minimal de 20% de logement en PPE à l’échelle d’un périmètre en zone de développement, est compatible avec l’objectif recherché, soit favoriser l’accession à la propriété d’une partie de la population qui ne serait pas en mesure de le faire en zone ordinaire.
Et, dans ce cadre, le Tribunal fédéral a jugé que c’était parfaitement à bon droit que le Grand Conseil avait précisé, dans le cadre de sa dernière modification de l’art. 4A LGZD, que les 20% réservés aux PPE devaient l’être en «pleine propriété», ce qui excluait par conséquent les PPE constituées en droit de superficie.
En effet, selon le Tribunal fédéral, à l’instar de la Cour de Justice de Genève, l’objectif visant à favoriser l’accès à la propriété n’est qu’imparfaitement réalisé par une PPE en droit de superficie. Et pour cause, puisque la PPE en droit de superficie ne permet en réalité pas au superficiaire de devenir propriétaire de son logement.
Au contraire ce bénéficiaire, à l’expiration du droit de superficie, perd la propriété de l’appartement en question, lequel devient partie intégrante du bien-fonds où il se situe. C’est le propriétaire de ce bien-fonds qui redevient alors propriétaire des appartements qui y sont construits. Par ailleurs, le droit de superficie ne peut, légalement, être constitué que pour une durée limitée, sans aucune garantie de reconduction.
Pour les raisons qui précèdent, le Tribunal fédéral a par conséquent, et sans aucune ambiguïté, donné son aval à la dernière teneur de l’art. 4A LGZD telle qu’elle a été adoptée par le Grand Conseil. Et cela en confirmant que l’accession à la propriété de son logement constituait un intérêt public fondamental qui devait être encouragé.