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Analyse de Wüest Partner pour le JIM

Démographie en hausse, location en vogue

24 Mai 2023 | Articles de Une

La conjoncture économique suisse se présente sous de bons auspices en ce premier semestre 2023. Les principaux instituts de prévision économique ont même revu leurs pronostics de croissance légèrement à la hausse au 1er trimestre 2023. La croissance du PIB pourrait ainsi s’établir à +1,1% et celle de l’emploi à +1,4% cette année, alors que le taux de chômage devrait à peine frôler les 2%. Le nombre de postes à pourvoir s’est par ailleurs accru de 18% sur un an en Suisse au 4e trimestre 2022, et c’est même +25% dans la région lémanique.

La demande devrait davantage bénéficier au marché locatif qu’à celui de la propriété.

Cet exceptionnel essor du marché de l’emploi réserve toutefois quelques écueils: environ 40% des entreprises suisses rencontrent aujourd’hui des difficultés à recruter du personnel adéquat. Elles sont nombreuses à faire appel à de la main-d’œuvre venue de l’étranger. Cela se confirme encore au 1er trimestre 2023: le solde migratoire suisse se monte à près de 27 000 personnes, soit une hausse de 23% par rapport à la même période de l’année précédente. Il n’y donc que peu de doute sur le fait que la Suisse connaîtra une croissance démographique importante cette année encore, ce qui va continuer à doper la demande de logement.

Ce surcroît de la demande devrait cependant davantage bénéficier au marché locatif qu’à celui de la propriété. Car si la conjoncture économique est robuste, le contexte monétaire est certainement moins favorable à l’acquisition d’un logement. La BNS a en effet procédé à quatre hausses successives de son taux directeur depuis l’année dernière, le portant ainsi de -0,75% à +1,5%. Cela a entraîné une montée en flèche des taux hypothécaires: le taux fixe à 10 ans était de 3,1% en février 2023, soit plus du double de sa valeur à fin 2021. Et la hausse générale des taux d’intérêt n’a peut-être pas encore atteint son paroxysme.

L’inflation ne diminue en effet que lentement; elle était encore de 2,9% en mars 2023. Un nouveau relèvement des taux directeurs n’est donc pas à exclure pour cet été. Les marchés immobiliers évoluent donc de façon contrastée, avec, d’une part, une détente déjà nettement perceptible sur le marché de la propriété, un rééquilibrage de l’offre et de la demande et une tendance à la stabilisation des prix. D’autre part, une tension de marché accrue sur le marché de la location, où le risque de pénurie s’accentue, surtout dans les grands centres, et où de nombreux locataires devront consentir à des hausses de loyer cette année.

Altlas des prix des appartements en PPE [CHF] – Canton de Vaud.
Altlas des prix des appartements en PPE [CHF] – Canton de Genève.

Logements en propriété: la détente du marché se confirme

Que ce soit pour les villas ou pour les appartements en PPE, la remontée des taux hypothécaires depuis l’année dernière a freiné l’enthousiasme des potentiels acquéreurs. On observe actuellement une forte diminution du nombre d’abonnements de recherche pour des biens immobiliers et celle-ci est particulièrement marquée dans les cantons de Vaud et Genève, où les prix sont comparativement plus élevés (le prix d’une PPE moyenne dépasse le million de francs dans la quasi-totalité des communes genevoises et dans près de 40% de communes vaudoises). L’engouement pour l’immobilier, attisé par la pandémie et le désir d’espace supplémentaire ou de se mettre au vert, est donc bel et bien en train de retomber.

Une nette détente du marché se profile: les taux de l’offre des villas et des PPE (nombre de logements annoncés à la vente par rapport au stock total de logements) ont augmenté dans tous les cantons romands, et la tendance a été particulièrement marquée dans le canton de Genève. Il n’est donc pas surprenant que ce soit justement lui qui enregistre actuellement la plus faible dynamique des prix (+1,7% pour les villas, et -0,6% pour les PPE entre le 1er trimestre 2022 et le 1er trimestre 2023). Le repli est plus marqué encore si l’on considère uniquement l’évolution trimestrielle: les deux segments affichent alors une correction, avec -0,8% pour les villas et même -1,2% pour les PPE entre le 4e trimestre 2022 et le 1er trimestre 2023.
Seul le canton du Valais affiche encore une forte hausse annuelle des prix au 1er trimestre 2023 (+7,4% et +5,1% pour les villas et PPE, respectivement), mais là encore, la perte de vitesse est bien réelle, car ces taux de croissance sont bien inférieurs à ceux enregistrés à fin 2022 (+9,5% et +7,0%).
Au vu du rééquilibrage de l’offre et de la demande en cours, Wüest Partner table actuellement sur une évolution latérale des prix pour la région lémanique cette année. La Suisse occidentale pourrait même connaître un léger recul des prix des appartements, de l’ordre de -0,5%. Il convient encore de noter que l’évolution des prix immobiliers devrait rester inférieure à celle de l’indice des prix à la consommation, ce qui suggère une perte de valeur en termes réels.

Logements locatifs: la demande explose, l’offre peine à suivre

La situation sur le marché des logements locatifs contraste nettement avec celle du marché de la propriété. D’une part, l’accroissement continu de la population, stimulé par l’attractivité du marché de l’emploi, génère une demande toujours plus forte de logement. Les cantons Genève, du Valais et de Fribourg se distinguent à cet égard par une croissance démographique supérieure à la moyenne nationale. En outre, la croissance du nombre de ménages est en général plus rapide encore que celle de la population, car la taille moyenne des ménages a tendance à diminuer. Des facteurs tels que le vieillissement de la population, l’individualisation ou encore la prospérité économique y contribuent. Dans le canton de Vaud, par exemple, la croissance annuelle des ménages a été de 1,6% au cours de la dernière décennie, alors que celle de la population n’a été que de 1,3%.

D’autre part, les prix et les coûts de financement élevés sur le marché de la propriété entraînent un déplacement de la demande vers le marché locatif. Si les abonnements de recherche pour les villas et PPE sont actuellement en baisse, ils ont parallèlement augmenté dans tous les cantons romands pour les logements locatifs (+7% sur un an à Genève et +11% dans le canton de Vaud, par exemple, en mars 2023).
La demande est donc forte sur le marché des logements locatifs. Et l’offre ne semble pas pouvoir suivre pour le moment. En effet, la construction de logement locatif recule actuellement dans tous les cantons romands, hormis le Valais. Le nombre de permis de construire a ainsi baissé d’environ 20% sur un an à Genève au 1er trimestre 2023. Et la baisse avoisine même les 50% dans les cantons de Fribourg, Vaud, Neuchâtel et du Jura. La hausse des coûts de la construction et celle des taux d’intérêt met sous pression la profitabilité des projets et constitue ainsi un frein à la construction. A cela s’ajoutent des problèmes de capacité (pénurie de personnel et perturbations sur les chaînes d’approvisionnement) et de nombreuses contraintes réglementaires et administratives (réglementations sur les zones à bâtir, normes de durabilité, protection contre le bruit, délais toujours plus longs pour l’obtention d’un permis de construire et fréquence des oppositions).

La pénurie de logement locatif se confirme donc en Suisse romande et elle est partie pour durer. Partant de ce constat, et tenant compte aussi des effets de l’inflation et de la probable hausse du taux hypothécaire de référence cette année, il faudra compter avec des hausses de loyer en 2023. Les dernières prévisions de Wüest Partner tablent ainsi sur une augmentation des loyers de 2,8% dans l’Arc lémanique, allant même jusqu’à 4% dans le canton du Valais.

 

CORINNE DUBOIS
VINCENT CLAPASSON
WÜEST PARTNER
©WÜEST PARTNER/JOURNAL DE L’IMMOBILIER

GROS PLAN

Les chiffres ne mentent pas

Acheter est-il encore plus avantageux que louer?

Nous l’avons vu dans la première partie de l’article, les coûts liés à l’acquisition d’un logement sont très élevés en Suisse en ce moment, et certains ménages se voient ainsi exclus du marché. Mais pour les ménages qui disposent des moyens financiers pour acquérir un logement, la question se pose: est-il encore judicieux aujourd’hui d’acheter son appartement, ou la location est-elle finalement plus avantageuse? La réponse à cette question n’a rien d’évident, car outre le loyer économisé, les coûts de financement et les conséquences fiscales, il faudrait aussi savoir comment évolueront les prix de l’immobilier au cours des prochaines années. Ce n’est donc souvent qu’au moment de la revente ou de la transmission de l’appartement à la génération suivante que l’on peut savoir si la propriété était réellement plus avantageuse que la location.

Logement en propriété – rendement direct et indirect

Afin d’apporter un éclairage nouveau sur cette question qui taraude l’esprit des potentiels acquéreurs depuis toujours, Wüest Partner a cherché à déterminer quelle serait l’évolution des prix nécessaire dans chaque commune suisse afin que l’acquisition d’un appartement en PPE soit, aux conditions d’aujourd’hui, plus avantageuse qu’une location. On peut en effet considérer l’acquisition d’un logement comme un placement en capital. Comme pour les immeubles de rendement, le rendement total d’un logement en propriété occupé par son propriétaire se compose du rendement direct et du rendement indirect. Le rendement direct se définit comme le loyer économisé, duquel il faut déduire les frais d’entretien, les coûts de financement, mais aussi les coûts d’opportunité (c’est-à-dire les alternatives de placement non réalisées avec les fonds propres investis). Il convient également de prendre en compte les conséquences fiscales de la propriété (valeur locative, déduction des intérêts passifs, impôts sur les gains immobiliers). Le rendement indirect résulte quant à lui de la différence du prix du marché entre le moment de l’achat et de la revente du bien.

Acheter ou louer – une comparaison à long terme

Dans l’analyse suivante, nous prenons l’exemple d’un appartement en PPE de référence, d’une surface de 120 m2 avec une situation, un standard d’aménagement et un état moyens. Nous partons de l’hypothèse que cet appartement sera détenu pendant 16 ans par son propriétaire avant d’être revendu (la durée médiane d’habitation dans son propre appartement est en effet de 16 ans). L’appartement est donc acheté début 2023 et sera détenu jusqu’à fin 2038. L’appartement est financé par deux hypothèques: la première couvre 65% de la valeur du bien, avec un taux fixe de 3%, et ne sera pas amortie. La seconde hypothèque couvre 15% de la valeur du bien, avec un taux d’intérêt de 3,5%, et elle est amortie linéairement sur 15 ans. La charge fiscale est calculée sur la base d’un ménage avec deux enfants et un revenu brut de 180 000 francs par an. Les données des loyers, des prix, et des taux d’imposition sont issues d’une vaste base de données de Wüest Partner au niveau communal. Les hypothèses de l’analyse sont résumées dans le tableau (page 9).

Rendements directs négatifs dans la majorité des communes suisses

Actuellement, les logements en propriété génèrent un rendement direct négatif dans la grande majorité des communes suisses, ce qui s’explique principalement par la forte hausse des coûts de financement. Des rendements indirects positifs (c’est-à-dire une hausse des prix des appartements en PPE) sont donc nécessaires afin de rendre la propriété avantageuse. Seules 87 communes, sur les 2148 que compte la Suisse, verraient un avantage à la propriété même en l’absence d’une progression des prix sur les 16 prochaines années. Néanmoins, les hausses de prix nécessaires à rendre la propriété rentable sont globalement modestes: dans 1689 communes, elles sont même inférieures à 1% par an.

Avantage à la propriété plus marqué dans les cantons romands

Si l’on se concentre sur les cantons romands, la balance penche plus nettement vers le logement en propriété. En agrégeant les résultats communaux par canton, il ressort que la variation des prix nécessaire à rendre l’achat avantageux est nettement inférieure à 1% dans tous les cantons romands. Celle-ci va de +0,3% dans le canton de Fribourg à +0,8% à Genève. De plus, parmi les 87 communes où une hausse des prix n’est pas nécessaire à rendre la propriété préférable, 72 se trouvent en Suisse romande. Une majorité se concentrent dans les cantons de Fribourg, du Valais et du Jura.
Deux facteurs permettent d’expliquer que l’avantage de la propriété soit plus marqué en Suisse romande qu’ailleurs. D’une part, le niveau plus élevé des loyers, surtout dans l’Arc lémanique où le marché est particulièrement tendu, rend la propriété relativement plus avantageuse. D’autre part, le taux d’imposition marginal est en moyenne plus élevé dans les cantons romands, ce qui augmente l’avantage fiscal qui découle de la propriété et la rend ainsi plus attrayante.

De modestes plus-values suffisent à rendre la propriété plus avantageuse

Globalement, les résultats de l’étude suggèrent qu’une progression modérée des prix, de l’ordre de 1% par an, suffirait à rendre la propriété du logement plus avantageuse que la location dans la quasi-totalité des communes romandes. Des plus-values de cet ordre de grandeur semblent tout à fait réalistes en comparaison historique. La hausse annuelle moyenne des prix des appartements en PPE entre 1985 et 2022 (période qui comprend aussi bien les phases de boom que la crise des années 1990) a par exemple été de 2,8% dans le canton de Vaud et 3,7% à Genève. Investir dans un logement en propriété pourrait donc toujours se révéler judicieux aujourd’hui, au regard des rendements indirects futurs.

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