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Cryptomonnaies

Début de la fin ou fin du début?

30 Nov 2022 | Articles de Une

En septembre 2017, nous avions publié une réflexion intitulée: «Les cryptomonnaies, avenir de la finance ou bulle spéculative?». A cette époque-là, le cours du Bitcoin, la référence en la matière, cotait 4500 dollars US. Après s’être effondrés en 2018-2019, lorsque la Banque centrale américaine (la Fed) a tenté de normaliser sa politique monétaire, les cours des devises virtuelles ont explosé à partir de l’été 2020, suite aux interventions massives des banques centrales du monde entier pour soutenir le système financier durant la pandémie de Covid et relancer la consommation des ménages en finançant des politiques budgétaires extrêmement expansives.

Nous rappellerons que la masse monétaire dite M1 aux Etats-Unis est passée de 4500 milliards de dollars à plus de 20 000 milliards en l’espace de quelques mois. Cette liquidité libérée par la Fed a contribué à gonfler la plus grande bulle financière de tous les temps en enflant artificiellement, comme une baudruche, le prix des actifs non seulement financiers comme le cours des actions et des obligations, mais également de l’immobilier, du marché de l’art et bien entendu des monnaies virtuelles, ainsi que d’autres concepts tels que les NFT (non fungible tokens).
A l’apogée du marché des cryptodevises en automne 2021, on ne comptait pas moins de 20 000 crypto-monnaies dans le monde. L’histoire retiendra certainement, dans quelques années, que nous aurons assisté à l’une l’une plus grandes bulles financières jamais connues, la bulle Internet qui a culminé en 2000 faisant pâle figure en comparaison. Cette période sera certainement comparée à la fameuse grande spéculation des bulbes de tulipes en Hollande en 1637, la tulipomania. Il faut rappeler que le marché des cryptomonnaies ne repose sur strictement rien de tangible, à l’opposé des actions, des obligations, de l’immobilier ou des métaux précieux, par exemple. Il y a eu, au cours de la courte histoire de la finance décentralisée (DEFI, decentralized finance), l’idée que ces devises virtuelles serviraient de moyens de paiements alternatifs dans le cadre de transactions commerciales.
En réalité, la volatilité quotidienne des cours a rapidement dissuadé les consommateurs et les commerçants d’y avoir recours. Finalement, les intervenants se sont contentés d’en faire un objet de spéculation, ce qui a parfaitement réussi, au-delà du raisonnable. A ce sujet, il est piquant de constater que malgré la volonté des initiateurs des monnaies virtuelles de se distancer des devises traditionnelles, le référentiel est toujours resté le même, à savoir ce bon vieux dollar américain et, après conversion de changes, selon le pays d’origine des spéculateurs, le franc suisse, le yen ou l’euro, par exemple. En définitive, la seule valeur sur laquelle repose les monnaies virtuelles est celle que les intervenants sont prêts à lui accorder à l’instant T.
C’est le nœud gordien de ce marché: la confiance, basée uniquement sur l’expectative que les prix vont monter demain car ils sont montés hier. Dans ce marché non régulé qui a atteint une capitalisation financière d’environ trois mille milliards de dollars, la confiance est le maître-mot de l’évolution des cours. Or, c’est bien la confiance ou la défiance des investisseurs qui va contribuer à la déchéance des cryptomonnaies telles que nous les connaissons aujourd’hui. Pour paraphraser Warren Buffett, le célèbre investisseur à succès de Wall Street: «C’est lorsque la marée se retire que l’on voit qui s’est baigné nu». Aujourd’hui, le roi est encore plus nu que nous l’imaginions. En effet, on découvre, au fil de l’actualité et des scandales, que la spéculation autour de ces nouvelles «devises» est encore pire que ce que nous anticipions. Il s’avère que, non content de spéculer sur les «actifs financiers» les plus risqués qui soient, les intervenants sur ce marché ont eu recours au levier, c’est-à-dire à de l’endettement pour augmenter leur potentiel de gains, tant ces gens étaient convaincus par leur propre chimère et sûrs que seul le ciel pouvait être la limite pour freiner l’envolée des cours.

Graphique 1: Evolution du PIB des Etats Unis en comparaison de la masse monétaire M1 (base 100).
Graphique 2: Evolution du cours du Bitcoin depuis 2012.

Comme Icare

L’avidité de l’être humain connaît régulièrement ce genre d’excès et, comme par hasard, cela arrive dans les périodes où les liquidités fournies par les banques centrales dépassent la demande de l’économie réelle, qui peut être mesurée par la croissance du PIB (voir graphique 1). Il nous revient à l’esprit la légende d’Icare qui, à vouloir trop se rapprocher du soleil, s’est brûlé les ailes, une belle métaphore de la cupidité humaine. Rappelons-nous que les Grecs avaient compris la psychologie humaine bien avant Freud et l’avaient illustrée de très beaux mythes ou légendes.
On constate, à la lecture des nouvelles en provenance du marché des cryptomonnaies, que le système est en train de s’effondrer comme un jeu de dominos, qu’il s’agisse de plates-formes d’échange qui n’autorisent plus leurs clients à retirer de l’argent et qui tombent en faillite ou de fonds spéculatifs de type hedge funds qui ont dilapidé l’argent de leurs clients et dont les gérants disparaissent dans la nature. Les fraudes massives de type vol de portefeuilles virtuels ou chantage avec demandes de rançon se poursuivent sur ces marchés, malgré la promesse d’une sécurité absolue grâce à la blockchain, technologie théoriquement infaillible et vantée régulièrement par les promoteurs de la finance décentralisée. La passivité surprenante, jusqu’à présent, des autorités de régulation, a contribué à faire du marché des actifs virtuels des zones de non-droit, à l’image du Far West en son temps.
Il n’a pas été relevé par nombre d’observateurs ou d’économistes que l’évolution des cours des monnaies virtuelles était un excellent indicateur de la liquidité sous-jacente dans les marchés financiers. En effet, la corrélation est très forte entre les injections ou les contractions monétaires par les banques centrales et l’évolution des cours (voir graphique 2). En prenant comme référentiel le Bitcoin, on peut s’attendre, en fonction de la poursuite du durcissement de la politique monétaire américaine, à ce que le cours de la plus connue des devises virtuelles revienne sur le niveau de 10 000 $ US.

Agonie des cryptos

En conclusion de cette mise à jour sur le marché des actifs virtuels, nous constatons que la bulle, comme toute bulle financière, est en train de se dégonfler. En effet, les politiques monétaires restrictives menées par les banques centrales vont progressivement assécher la liquidité excédentaire déversée sur les marchés ces dernières années et contribuer à normaliser la valorisation de tous les actifs financiers. La perte de confiance envers la jungle de cryptomonnaies qui ont émergé ces dernières années signera l’arrêt de mort de celles-ci, même si, à court terme, nous assistons à un repli sur celles considérées comme étant les plus fortes, à l’image du Bitcoin ou de l’Ethereum.
Nous sommes convaincus que les Etats reprendront la main sur cette finance dérégularisée à travers une meilleure surveillance prudentielle des différents acteurs qui composent aujourd’hui ce marché. L’avenir appartient sans aucun doute aux monnaies numériques de banques centrales, sur lesquelles les grands instituts d’émission travaillent aujourd’hui. Néanmoins, les obstacles sont importants, car l’implémentation d’un dollar, d’un yuan, d’un franc suisse ou d’un euro numérique implique de repenser tout le système financier et bancaire tel qu’il est bâti avec, entre autres, le rôle des banques centrales en tant que garantes de la politique monétaire, mais aussi celui des banques universelles en tant que courroie de transmission des mécanismes du crédit.
Les défis sont nombreux, mais comme dans toute innovation, les premiers acteurs ne seront pas nécessairement les gagnants à long terme. A titre d’exemple, alors que la spéculation sur la technologie Internet battait son plein en 1998-2000, le grand gagnant Google a été fondé en 1998 et n’est entré en Bourse qu’en 2003; cela donne matière à réfléchir… L’avenir nous réserve encore beaucoup de surprises; il sera fascinant et nous aurons l’occasion de revenir sur le sujet.

 

Olivier Rigot
Associé-Gérant
EMC Gestion de fortune