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Une étude de l’Association Pro Persona - Modernité et écologie

De la rupture à une nouvelle façon d’être

25 Oct 2023 | Articles de Une

On le sait, les prises de position excessives sont souvent stériles, voire contre-productives. A cet égard, l’exemple de l’écologie est très édifiant. A partir d’un constat juste et partagé, certains prônent un «arrêt» de tout progrès. Une véritable utopie. Alors comment concilier (et même ré-concilier) modernité et écologie? C’est pour tenter de répondre à cette difficile question que l’association Pro Persona a récemment publié une passionnante étude.

Il est bien sûr possible de situer la naissance et le développement de l’écologie dans l’histoire des relations entre l’homme et la nature. Mais avec le risque de remonter à la nuit des temps et surtout d’insuffisamment situer la nouveauté de l’écologie telle qu’elle est comprise aujourd’hui, eu égard à l’histoire récente, notamment à la modernité qui naît au XVIIe siècle. Quel nouveau rapport de l’homme à la nature s’instaure-t-il alors? Et en quoi l’écologie s’y réfère-t-elle pour s’en démarquer?

Les trois caractéristiques de l’homme moderne

En simplifiant, on peut caractériser le rapport de l’homme moderne à la nature de trois manières.
• D’abord, l’homme moderne s’inscrit en dehors de la nature. Elle est face à lui comme un objet devant un sujet. C’est la conséquence directe d’un certain humanisme, signature de l’époque moderne, qui signifie que l’homme concentre son attention sur lui-même. S’instaure ainsi une sorte de face-à-face entre l’homme et le reste. L’homme d’un côté. Le monde de l’autre. Est-ce à dire que l’homme reste spectateur face au monde? Pas du tout.
• Deuxième caractéristique de l’homme moderne: ce monde face à lui est à transformer. Cet objet qu’est devenue la nature pour l’homme moderne n’est pas à regarder, à contempler ou à représenter par l’art. C’est un objet à modifier, à changer, à mettre en mouvement. Observée sous cet angle, la révolution industrielle a représenté une immense mobilisation de la nature, car elle a consisté en grande partie à libérer des énergies contenues depuis toujours en elle, mais inexploitées pour l’usage de l’homme.
• Troisième caractéristique de la modernité: le progrès. Transformer la nature, pour l’homme moderne, ce n’est pas seulement lui faire subir des changements. C’est inclure ces changements dans une vision. Celle d’un changement vers un mieux, d’une transformation qui est une amélioration, d’une innovation constante qui est un perfectionnement graduel. La réalité extérieure à l’homme est une matière première pour une évolution allant vers un optimum. Par exemple, on trouve un usage au pétrole en le raffinant pour en tirer du carburant qui alimente les moteurs des voitures inventées depuis lors et ainsi améliorer la mobilité des populations et leurs conditions de vie.

Les trois raisons du tournant
écologique

Que s’est-il passé pour que cette vision du monde propre à la modernité entre en crise? Ce n’est pas sur le plan des idées que l’apparition de la prise de conscience écologique s’est d’abord jouée, mais en raison d’un certain nombre de constats. Ces derniers sont bien connus avec les nombreux symptômes de la dégradation de l’environnement, des pollutions sous toutes leurs formes et des déséquilibres dans lesquels sont entrés nombre d’écosystèmes. En quoi ces atteintes portées à la nature ont-elles donné le jour à une nouvelle manière de penser?

– Remettre l’homme dans la nature
Première nouveauté apportée par la pensée écologique: le rapport de l’homme à la nature. Alors que l’époque moderne a conçu ce rapport sous la forme d’un face-à-face, l’écologie conçoit à nouveau l’homme comme faisant partie de la nature. Ainsi, le changement climatique, devenu la préoccupation écologique majeure, manifeste nettement l’immersion de l’homme dans la nature. Car, pour ce qui est par exemple des mondes minéral ou végétal, l’illusion que l’homme se conçoive comme extérieur à eux peut assez facilement être entretenue. Mais il n’en va pas de même pour l’atmosphère, qui montre clairement que la condition de l’homme est d’être immergé dans la nature.

– Dominer la nature tout en la respectant
La deuxième nouveauté a trait à l’attitude adoptée par l’homme moderne face à cette nature, matériau offert à son action de transformation. L’écologie est venue rappeler devant les transformations subies par la nature (destructions, dégradations…) qu’elle n’était pas uniquement faite pour être dominée, mais aussi pour être respectée. Elle n’est pas seulement un point de départ pour la satisfaction de l’homme, mais peut être également un bien à prendre en considération pour lui-même.

– Prendre conscience des limites du progrès permanent
D’où cette conséquence: l’écologie a interrogé de manière frontale la vision dominante du progrès matériel, également caractéristique majeure de la modernité. Alors que la modernité avait tendance à présenter tout changement comme une amélioration, toute innovation comme un progrès, toute nouveauté comme une avancée, la pensée écologique les remet en cause. De ce point de vue, l’émergence du courant écologique a contribué à cette «crise du progrès» née avec la Première Guerre mondiale et amplifiée avec la Seconde, ce qui est un changement de grande ampleur par rapport à une certaine modernité et à son progressisme naïf.

Opposition ou prolongement?

Ce tournant de l’apparition de la pensée écologique présente les risques inhérents à toute réaction. En l’occurrence, réagir à la modernité ne fait pas nécessairement sortir du paradigme moderne et des travers qu’il apporte. Par exemple, il y a quelque chose de paradoxal à réagir à la conception moderne de la nature comme d’un matériau entièrement calculable en ramenant la préoccupation écologique à un calcul d’empreinte carbone. Ou n’est-il pas significatif qu’on parle d’«espaces verts» pour répondre à des préoccupations écologiques, comme si la nature pouvait se réduire à un «espace vert»? Il est donc possible que de nombreux piliers de la pensée écologique, pourtant alternatifs à la modernité par ailleurs dénoncée, se situent dans son prolongement plus qu’en opposition avec elle.

Ecouter le langage de la nature

Réagir à la modernité peut aussi conduire à des excès. La modernité a instauré un rapport d’altérité entre la nature et l’homme et, paradoxalement, une certaine écologie radicalise cette opposition en considérant l’homme comme un étranger dans la nature, comme «de trop».
De même, ce n’est pas parce que le rapport moderne à la nature voit seulement dans cette dernière une matière à modifier qu’il faut soutenir que la seule bonne relation de l’homme à la nature est qu’il n’y «touche» pas.
Enfin, la relativisation de la notion de progrès ne doit pas conduire à alimenter un sentiment de culpabilité excessif selon lequel toute l’histoire de l’humanité depuis la révolution industrielle serait une catastrophe. Là encore, une réaction excessive serait de prendre le contrepied systématique et de prôner un retour à un état primitif. Entre ces positions extrêmes, et comme l’a dit Benoît XVI devant le Bundestag, en 2011: «Nous devons écouter le langage de la nature et y répondre avec cohérence».
L’apparition de l’écologie sur la scène de l’histoire des idées a permis de redécouvrir que la nature avait quelque chose à dire, alors que l’homme moderne se figurait qu’il devait lui dicter ce qu’elle devait faire. Mais cette saine réaction doit elle-même reposer sur des bases à la fois solides et mesurées. Sinon elle risque de reproduire ce qu’elle dénonce. Ou pire, d’aller en sens inverse…

 

Michel Levron – Paris

GROS PLAN

Pro Persona

 

L’Association Pro Persona développe une mission d’intérêt général à caractère scientifique en contribuant à une recherche fondamentale et appliquée en faveur d’une finance au service de l’économie et d’une économie au service de la personne humaine. Elle s’adresse à un public large: acteurs de la vie économique et financière, enseignants, étudiants…

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