Une exploitation conjuguant tradition et innovation.

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Domaine des Mattines à Perly/GE

Conjuguer terroir et innovation

1 Juin 2022 | Articles de Une

Faire pousser 900 tonnes de légumes par an sur quatre hectares? «Pour mes camarades à l’école d’agriculture, je plaisantais avec ces chiffres», raconte Jeremy Blondin. Pourtant, il disait vrai! Le jeune homme a rejoint en 2007 le Domaine des Mattines, à Perly, acquis en 2000 par son père, Michel, et son oncle, Bernard, héritiers d’une lignée de maraîchers qui remonte à 1814. Il en deviendra administrateur cette année, au terme d’un long processus destiné à préserver les intérêts de chacun des membres de la famille, détentrice à 100% de la SA propriétaire du domaine.

Les Mattines sont l’une des cinq plus grandes exploitations maraîchères de Genève. Les Blondin se sont donnés une devise qui réconcilie deux pôles que les citadins, friands de légumes «zéro kilomètre» mais souvent mal informés des conditions de production, tendent à opposer: «l’innovation du terroir». «Nous cultivons trente variétés de tomates et mettons l’accent sur la saveur», explique Jeremy Blondin.
Qu’il est loin, l’Angélus peint par Jean-François Millet, qu’ils sont loin les mangeurs de pommes de terre de Van Gogh! C’est sans doute mieux ainsi: protégés par l’une des CCT les plus généreuses de Suisse, les employés des Mattines exercent dans un environnement protégé. La production intégrée limite les externalités néfastes pour l’environnement et la maîtrise des paramètres de température, d’ensoleillement et d’arrosage offre des récoltes exploitables à 100%.

De gauche à droite: Bernard, Jeremy et Michel Blondin.

De gros investissements

Ces résultats n’ont pas été sans efforts. «Nous avons consenti des investissements importants pour atteindre la qualité nécessaire et pouvoir produire sur huit mois par an. Les taux d’intérêt bas nous ont permis de maintenir nos charges financières constantes», souligne Michel Blondin. «Chaque année, nous avons apporté au moins une amélioration, complète son fils; nous aimons être en avance sur ce qui se fait ailleurs».
Aidé par le bureau technique de l’Union maraîchère de Genève (UMG) et riche de nombreux échanges avec des producteurs suisses et étrangers, le domaine poursuit un travail constant d’expérimentation. «Nous voulons prendre le meilleur de chaque approche», assure Michel Blondin. Les Mattines ont obtenu le label «cultivé sans pesticide de synthèse», créé en 2021 avec l’UMG. La réflexion porte aujourd’hui sur une ultérieure réduction des intrants et l’accroissement des propriétés gustatives.
Cette quête est à la fois recherche de la qualité et nécessaire adaptation aux conditions du marché. En 2007, la famille a lancé le Marché des Mattines pour avoir un accès direct aux consommateurs, discerner leurs goûts et tendances, faire connaître le domaine.

Marta Blondin, l’épouse de Jeremy, avec Mayson, 4 ans.
Jeremy avec la petite dernière, Natalya.

Des années compliquées

Mais le marché, c’est d’abord la grande distribution. Migros a annoncé qu’au 1er janvier 2026, ses fournisseurs devraient avoir renoncé aux énergies fossiles. Le distributeur ne s’est pas pour autant engagé à revaloriser ses prix d’achat pour compenser les investissements imposés par sa décision. Aux producteurs de tirer leur épingle du jeu, dans un contexte global de hausse des coûts et de disponibilité aléatoire des intrants.
Les frais de production ont augmenté de 15% depuis le début de l’année, indique Jeremy Blondin. Le projet de reconstruction de l’une des serres est gelé, après que les devis ont pris l’ascenseur. Les prix payés pour la tomate, le produit phare des Mattines, ont baissé de 12% ces dernières années.
Les ajustements à venir sont «compliqués, mais faisables», assure Michel Blondin. «J’aimerais que le consommateur soit aligné avec le citoyen», souhaite quant à lui Jeremy. Le citoyen ne doit pas combattre les changements climatiques dans l’urne uniquement, il doit se souvenir que chaque achat est un choix et que le surcoût des produits suisses signifie plus d’écologie et plus de social dans la production.

 

Cesare Accardi

GROS PLAN

Un secteur atypique de l’agriculture

 

Avec une trentaine d’entreprises, Genève est l’un des plus importants cantons maraîchers de Suisse. Seuls quatre exploitants ont moins de quarante ans, ce qui augure de regroupements futurs dans ce domaine atypique de l’agriculture. Vivant sans paiements directs, le domaine des Mattines est une entreprise à forte intensité de capitaux dans le secteur agricole, bien que la main-d’œuvre représente 50% des charges. «Il est plus facile de déléguer à un cerveau électronique la prise de décision quant à la température des serres ou l’arrosage que de mécaniser les soins apportés aux plantes», relève Jeremy Blondin.
S’agissant des Mattines, «la structure familiale est intéressante, parce qu’elle permet d’impliquer plusieurs générations et de confronter ainsi des expériences et des points de vue différents», souligne-t-il. Par ailleurs, estime-t-il, «dans une période compliquée comme celle que nous vivons actuellement, détenir l’entier du capital simplifie la gestion». D’autant que, pour qu’une société soit reconnue comme agricole, 51% des actionnaires doivent être des agriculteurs, ce qui limite le choix de partenaires.
Jeremy Blondin dit avoir toujours vécu à l’extérieur et amer le grand air. Pour autant, il n’avait pas planifié la reprise du domaine familial, malgré des études à l’Ecole d’horticulture de Lullier. «Au sortir de l’école, j’ai travaillé six mois au domaine et j’y ai découvert le métier de maraîcher-serriste», raconte-t-il, tout en soulignant qu’aujourd’hui, il passe 80% de son temps de travail devant un écran, dans un bureau.
«C’est aux vieux de s’adapter aux jeunes, résume Michel Blondin, son père, en pensant à la transition en cours à la tête de la SA familiale. Si mon fils m’avait dit que le domaine ne l’intéressait pas, j’aurais immédiatement cessé d’y investir», assure-t-il. Pour Michel Blondin, l’implication des conjoints est une condition de la réussite d’une entreprise familiale.