Quelque mille participants ont été accueillis chaleureusement à Bordeaux.

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Congrès de la Fédération Cobaty

Comment bâtir «durable»?

23 Nov 2022 | Articles de Une

L’automne est traditionnellement la saison du Congrès de la Fédération Cobaty (voir Gros Plan). Après deux ans d’interruption pour cause de pandémie, celui-ci vient d’avoir lieu à Bordeaux, réunissant quelque mille participants de toute la France, mais également de Suisse (délégations genevoise, vaudoise et neuchâteloise), d’Italie, d’Espagne et même de Madagascar. Le thème: «Co-bâtir, éphémère ou durable?». La notion du temps, dans tous les sens du terme, fut donc au centre des trois tables rondes animées par le directeur du Journal de l’Immobilier, Thierry Oppikofer, par ailleurs ancien président de la Fédération.

Virginie Gravière, présidente de l’Ordre des architectes de Nouvelle-Aquitaine.
François Bellanger, spécialiste en prospective urbaine

La première table ronde aborde la «philosophie du temps». Le Lama Shedroup, maître bouddhiste bordelais, évoque l’instabilité du temps et donc son impermanence, considérant qu’être vivant, c’est être en état permanent d’instabilité. Il apporte un éclairage intéressant lorsqu’il affirme qu’il nous appartient plus de sauver notre place d’humain sur la planète que de «sauver la planète», qui de toute façon se sauvera beaucoup plus facilement que nous en s’adaptant aux nouvelles conditions physiques et climatiques: elle l’a déjà fort bien fait longtemps avant notre arrivée. Virginie Gravière, présidente de l’Ordre des architectes de Nouvelle-Aquitaine, souligne pour sa part que l’architecture est un acte qui porte sur un temps long alors que nous subissons, à notre époque, «la dictature du temps». Bien sûr, l’architecte modifie l’environnement; lorsqu’on bâtissait jadis des cathédrales, le chantier portait sur plusieurs siècles. On a fait des progrès depuis, mais l’immédiateté n’est pas compatible avec l’architecture, ni avec l’urbanisme. Ce qui existera dans trente ans est déjà en route et 80% de la ville de 2050 est largement construite. Néanmoins, l’architecte de 2022 est conscient des enjeux climatiques et met tout en œuvre pour atteindre la «durabilité».

La ville rénovée

Chacun sait qu’il faut fabriquer la ville sur la ville, par une rénovation active, grand enjeu d’aujourd’hui car les espaces naturels sont de plus en plus sanctuarisés. Mais bâtir la ville sur la ville prend du temps, et un bailleur social n’en a pas, car il doit pallier l’absence de milliers de logements sociaux qu’attendent les familles et les étudiants au plus vite. Jean-Pascal Chirat, responsable des rénovations énergétiques du groupe Saint-Gobain et secrétaire général du Club de l’amélioration de l’habitat (CAH), souligne les déficits criants de logement dont souffre la France (elle n’est pas la seule!).Une opération de réhabilitation dure trois fois plus longtemps qu’une réalisation de construction neuve, mais s’avère infiniment plus économe en CO2. Le CAH, fondé il y a 30 ans par des acteurs publics et privés, adopte une approche plus large que le simple immeuble à réhabiliter; il réfléchit à l’échelle de l’îlot, voire du quartier. La réflexion porte aussi bien sur les méthodes d’intelligence artificielle et les dernières innovations technologiques pour évaluer à long terme l’impact des mesures prises, que sur la préservation des savoir-faire et des compétences du passé, la pérennité de certains bâtis et ouvrages témoignant du fait que les Anciens faisaient du durable sans toujours le savoir. Quant au groupe Saint-Gobain, fondé sous Louis XIV, il emploie aujourd’hui plusieurs milliers de personnes en recherche et développement, conciliant tradition et innovation.

Merci Covid!

Le spécialiste en prospective urbaine François Bellanger prend ensuite la parole pour souligner un aspect positif de la tragique pandémie de Covid. «On s’est aperçu que si le choléra avait donné à l’époque l’urbanisme haussmannien, la Covid allait nous faire prendre conscience que nos logements, nos bureaux et nos villes n’étaient absolument pas conçus pour notre époque. Une époque où un piéton n’est pas un piéton, mais un porteur d’outils informatiques lui permettant de travailler n’importe où, de communiquer avec le monde entier, de voir un film ou tenir une réunion. Aujourd’hui, on ne va plus à La Baule pour les vacances, on s’y installe pour bosser!», explique-t-il. Et de plaider non pour des «tours comme à la Défense», mais des «tours comme au Japon, des villes verticales avec logements, commerces, jardins suspendus…». Un habitat évolutif, intégrant la nature, un habitat adaptable, multifonctionnel: un idéal qu’il faudra tenter d’atteindre.
La seconde table ronde, «Quels espaces pour quels temps», permet une intéressante confrontation entre l’adjoint au maire Vert de Bordeaux en charge de l’Urbanisme, Bernard Blanc, et Philippe Rondot, président de Domofrance, qui gère 40 000 logements sociaux, en bâtit quelque 2000 par an et en rénove 1000. L’élu municipal fustige les «écolo-bobos voulant la ville du quart d’heure, roulant à vélo électrique et ayant les moyens d’acheter bio», qui ne composent pas du tout la majorité de la population. Le modérateur Thierry Oppikofer lui fait remarquer que cette minorité active est quand même typiquement celle qui a fait élire la Municipalité écologiste de Bordeaux! Bernard Blanc oppose la logique libérale des «maires constructeurs» à celle de la «frugalité heureuse et créative» prônée par les nouvelles autorités bordelaises. Voilà qui plaît moyennement à Philippe Rondot, lequel rappelle la responsabilité de tous les acteurs du logement à renforcer le pacte social fondateur de la République. Il faut donc loger ceux qui en ont besoin et pour cela, il est nécessaire de construire, plutôt que de viser la croissance zéro.

Au centre, le modérateur Thierry Oppikofer (veston foncé). A sa gauche, François Guibert et au micro, le commissaire du congrès, Philippe Prados.

Rousseau et Prométhée

Le professeur Olivier Babeau, président de l’Institut Sapiens, développe pour sa part une comparaison entre le bon sauvage de Rousseau (vision des écologistes) et Prométhée s’emparant du feu pour le donner aux hommes (vision des constructeurs). Très sceptique face au télétravail, il reprend la phrase d’Elon Musk: «Je veux bien que mes employés télétravaillent, à condition qu’ils passent 40 heures au bureau». Un renfort lui vient d’Elsa Amouzgar, directrice commerciale de Manpower France: selon les chiffres du géant du travail flexible, dix-huit millions d’emplois français ne sont pas «télétravaillables» – on estime que seuls 30% des emplois sont vraiment adaptés au «distanciel» – et une proportion importante des «télétravailleurs» souhaitent retrouver les contacts humains, générateurs de créativité. En revanche, l’idée de travailler à distance depuis une petite ville plutôt que de gagner le centre-ville d’une métropole séduit et de toute manière, il va falloir repenser le fonctionnement des bureaux.
Lors de la troisième table ronde sur le «visage du futur, éphémère ou durable?», le philosophe, mathématicien et économiste Jean Staune a bousculé l’auditoire en présentant une vision d’avenir radieuse, une «grande mutation» (titre de son dernier best-seller paru aux Editions Diateino) vers un futur qui sera extraordinaire et dans lequel tout sera recyclé, tout déchet devenant ressource. Il affirme aussi que le visage du futur sera celui d’un monde de plus en plus volatil, ouvert à tous les possibles. Même les mégots, collectés massivement, sont paraît-il utilisés en Corée du Sud pour produire des éléments de batterie. Prévoyant que bientôt, l’électricité sera gratuite, Jean Staune se heurte vite à Olivier Roland, directeur général d’EDF pour le Sud-Ouest de la France, qui évoque le coût du transport et le problème du stockage. Pour le haut cadre du fournisseur d’énergie français, «éphémère ou durable est une bonne question, mais une autre est bien plus importante: comment construire, travailler, consommer sans épuiser les ressources de la planète?». Enfin, Alexandre Villatte, directeur général adjoint du grand projet Bordeaux Euratlantique, qui devrait loger 60 000 personnes et créer 30 000 emplois en plein cœur de Bordeaux, à la place d’une friche industrielle, il explique «qu’un plan d’urbanisme parfait n’existe pas» et qu’il faut savoir adapter au fur et à mesure son projet car «on construit en 30 ans un quartier censé durer au moins un siècle».

Pour l’humain

Faut-il prôner la ville comme lieu de rencontre, de culture, de vie, ou au contraire la fuir pour goûter aux joies villageoises? La conclusion de François Guibert, architecte bordelais réputé et membre chevronné de Cobaty, ouvre des perspectives: «Il nous appartient de ne pas nous laisser dévaster par l’ouragan infini des possibles technologiques, de ne point succomber aux chants des sirènes normatives et règlementaires si sécurisants, aux dogmes qui ne savent qu’interdire… mais de revenir à ce qu’est l’essence de Bien Construire en se posant la question, non pas du pourquoi, mais du pour qui, dans quelle finalité? L’on est non pas en droit, mais en devoir de se poser la question de savoir si un bâtiment qui est règlementairement et écologiquement parfait l’est aussi humainement!».

 

Vincent Naville

GROS PLAN

La Fédération Cobaty

 

Fondée en 1957, la Fédération Cobaty regroupe à ce jour près de cinq mille professionnels de l’acte de construire, essentiellement en France (le siège est à Paris), mais aussi depuis plus de 30 ans en Suisse (environ 200 membres), en Italie, Espagne, Bulgarie, au Liban, à Madagascar et dans quelques autres pays. Sans but lucratif, non corporatiste, apolitique, elle constitue un apporteur d’idées et un creuset d’échanges interprofessionnels, cultivant le dévouement au bien public, l’éthique, la convivialité et la solidarité. De 2014 à 2017, la Fédération a été présidée par un Genevois, notre directeur du Journal de l’Immobilier Thierry Oppikofer.
Les associations suisses font partie d’un District transfrontalier et comme l’avaient dit un jour François Longchamp, alors président du Conseil d’Etat genevois, et Etienne Blanc, vice-président de la Région Auvergne/Rhône-Alpes, «c’est le seul endroit où l’on puisse aborder en toute sérénité les problèmes qui provoqueraient ailleurs des échanges houleux».