Deux tiers des citernes de Suisse romande se trouvent à Vernier.

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AMéNAGEMENT - La mutation urbaine est lancée

Bientôt l’adieu aux citernes de Vernier?

19 Fév 2025 | Articles de Une

Historiquement installé en périphérie, dans ce qu’on nommait le «désert de Châtelaine», le secteur des pétroliers est aujourd’hui au cœur de plusieurs quartiers d’habitation. Alors que la gestion de l’emplacement de ces réserves a été clarifiée, les autorités cantonales et communales lancent une nouvelle gouvernance pour accompagner la transformation de ce site stratégique. Ce sujet a fait l’objet de plusieurs interpellations dont une motion (M 2620) déposée par le député MCG Thierry Cerutti, suite à la révélation par la presse de menaces d’attentat islamiste – heureusement déjouées – contre ces citernes.

Depuis les années 1960, le nombre d’installations pétrolières à Vernier est resté stable, malgré l’essor urbain qui l’entoure. A l’échelle de la Suisse romande, les capacités de stockage ont fortement diminué, passant de 408 grandes citernes en 1985 à environ 160 à 180 aujourd’hui, dont les deux tiers sont concentrés à Vernier. Genève doit-elle, sous prétexte de la consommation en kérosène de l’aéroport, abriter la majorité des réserves romandes? Pour Antonio Hodgers, conseiller d’Etat en charge du Département du territoire, la réponse est un «non» catégorique.
Erigé aux abords des citernes, le quartier de l’Etang s’impose comme une véritable «ville dans la ville», dont la construction a débuté en 2016, rappelle Jean-Bernard Buchs, promoteur et administrateur du projet. Accueillant quelque 3000 habitants et autant de places de travail, il intègre également des espaces de loisirs, un hôtel et des commerces. Autour du périmètre pétrolier, d’autres secteurs sont en plein essor le long de la route de Vernier, proche de Verntissa et des Tuileries. A proximité, le Concorde Espace Culture, dont l’inauguration est prévue pour septembre 2026, viendra compléter ce paysage urbain en mutation (voir Le Journal de l’Immobilier n°154, du 5 février 2025, disponible sur www.jim.media). Une dynamique qui illustre l’essor de Vernier, cinquième ville de Suisse romande avec plus de 37  000 habitants.

Responsabilités clarifiées

La Confédération a récemment réaffirmé que la gestion de l’emplacement des réserves stratégiques ne relevait pas des compétences cantonales. En vertu de l’Ordonnance sur le stockage obligatoire de carburants et combustibles liquides (RS 531.215.41), ce sont les importateurs qui déterminent la localisation de ces réserves, à condition qu’elles restent sur le territoire douanier suisse. «Nous n’avons aucune obligation en matière de stockage des hydrocarbures. Il n’est plus concevable de maintenir ces imposants réservoirs pétroliers à proximité de zones densément construites, a déclaré Antonio Hodgers. Et ce n’est pas au Canton de se charger de leur relocalisation».
Sur le plan foncier, l’Etat et la Ville de Genève, en tant que principaux superficiants des terrains exploités par les entreprises pétrolières, disposent d’une marge de manœuvre. Ils ont notamment la liberté de ne pas renouveler les contrats de droits de superficie (DDP) qui arrivent à échéance (entre 2031 et 2062), ouvrant ainsi la voie à une requalification du site. Une partie des terrains – environ 60% – reste cependant en mains privées, ce qui impose une négociation entre les différents acteurs.

Deux tiers des citernes de Suisse romande se trouvent à Vernier.

Un plan d’action pour un territoire contraint

Intégré dans le développement urbain de Vernier, le secteur des pétroliers bénéficie déjà d’une bonne desserte en transports publics, grâce au bus à haut niveau de service (BHNS), au tramway et, à terme, à la nouvelle halte de Châtelaine et à la voie verte d’agglomération de la rive droite. «Alors que ces aspects constituent une valeur ajoutée pour le site, lui procurant une centralité unique, on se retrouve avec des citernes d’un autre temps», s’exclame Mathias Buschbeck, conseiller administratif de Vernier, avant de relever la présence d’un poumon de verdure, également à proximité immédiate. Ce dernier est un patrimoine naturel à préserver et à valoriser; il comprend le Bois-des-Frères, le Bois de la Grille – une réserve naturelle de plus de dix hectares -, les rives du Rhône, ainsi que les Nants d’Avanchet et des Frères.
Outre les cuves pétrolières, plusieurs contraintes majeures doivent être prises en compte pour envisager une requalification du périmètre: les nuisances sonores dues au couloir aérien; les risques selon l’Ordonnance sur la protection contre les accidents majeurs (OPAM) liés à l’autoroute et à la voie ferrée; la pollution des sols, avec l’inscription du site au cadastre des terrains pollués.
Malgré ces défis, les autorités cantonales et communales estiment qu’il est grand temps de revaloriser cette «entrée de ville», actuellement vitrine peu engageante pour les visiteurs. Une reconversion progressive est possible, visant une mixité d’affectations: zones industrielles et artisanales, équipements publics, espaces verts, et, dans une moindre mesure, logements. «Les pétroliers ne présentent aucun risque d’explosion, tiennent à rassurer les autorités politiques. C’est une légende urbaine. L’éventualité d’un incendie reste toutefois présente».
La transformation du secteur s’inscrit pleinement dans les objectifs du Plan Climat cantonal (PCC), qui vise à réduire la dépendance aux énergies fossiles, avec l’interdiction des chauffages au mazout, à promouvoir les énergies renouvelables et l’électromobilité, à diminuer le trafic individuel motorisé, limitant ainsi les besoins de stockage d’hydrocarbures. «Une fois l’image directrice élaborée, couplée à l’établissement des valeurs économiques du site, nous pourrons initier un dialogue avec les exploitants et superficitaires des terrains en DDP pour leur faire part de propositions de reconversion rentables», poursuit le magistrat.
Un comité de pilotage, constitué du Canton et des Villes de Genève et de Vernier, sera mis en place pour piloter cette transition urbaine majeure. A l’image des grands projets qui redessinent Genève, Vernier amorce une nouvelle ère, où les hydrocarbures pourraient bientôt céder la place à une ville plus viable.

 

Véronique Stein

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