Aude Jacquet Patry: «Les femmes sont plus créatives»

Radieuse, Aude Jacquet Patry est une dirigeante d’entreprise dont la bonne humeur semble inaltérable. «Pour déstresser, je marche, dit-elle en avouant malicieuse qu’elle déteste courir. On dit qu’il faut atteindre un certain niveau pour apprécier la course; moi, en tout cas, je ne l’ai jamais atteint». Représentante de la quatrième génération de l’entreprise Jacquet, elle en a pris la direction en 2014. «J’ai grandi avec l’entreprise familiale en toile de fond, mais mon père n’a jamais insisté pour que je suive cette voie. Je me suis toujours intéressée au design, mais au début plutôt sous l’angle de l’architecture. L’intérêt pour les végétaux et leur puissance est venu plus tard. On imagine plein de choses quand on fait un jardin ou un parc mais, à la fin, ce sont les végétaux qui décident. J’aime cette modestie vis-à-vis de la nature».
Quand Aude rejoint l’entreprise en 1998, elle est architecte-paysagiste et possède déjà une solide expérience acquise dans des bureaux d’études à Londres, Paris et Bruxelles, mais aussi sur le terrain, en travaillant dans des pépinières, notamment à Vancouver. Mais pas question pour autant d’arriver en leader dans l’entreprise, se souvient Aude Jacquet Patry. «Il faut s’intégrer dans une entreprise qui a son histoire, ses valeurs, ses façons de faire. J’ai avancé sans brusquer les collaborateurs et en écoutant aussi mon feeling. Notre structure très horizontale avec mon père et moi, ainsi que des départements assez autonomes qui fonctionnent comme de petites PME, ont aussi facilité les choses. En fait, tout s’est fait naturellement, mais il est vrai qu’on a moins droit à l’erreur en tant que fille du patron. Mon père est toujours actif dans l’entreprise et nous travaillons très bien ensemble. Dès le début, il m’a laissée libre de mes choix et n’intervenait qu’en cas de nécessité».
Même si elles sont en minorité dans un milieu traditionnellement masculin, les femmes – 31 sur un total de 270 collaborateurs – ont trouvé leur place en interne. Mais cette intégration relève aussi d’un véritable engagement de la part de la direction, qui passe notamment par l’aménagement des locaux avec des vestiaires et des douches séparés, ainsi que par la fourniture de vêtements adaptés aux tailles féminines. «Il faut aussi accompagner l’intégration, faire attention au harcèlement qui se produit majoritairement sur les chantiers de la part de personnes étrangères à l’entreprise. Et là, on constate une vraie solidarité de nos collaborateurs vis-à-vis de leurs collègues féminines».
Quoi qu’il en soit, la présence d’une femme à la tête d’une entreprise ravive parfois de vieux clichés, et cela à tous les niveaux. «Il m’arrive de téléphoner à des clients qui me disent: «Je verrai ça avec votre chef», constate Aude Jacquet Patry qui préfère s’en amuser. Pour elle, les femmes dirigeantes représentent un vrai atout dans une entreprise. «Elles amènent une autre vision, sont plus créatives et contribuent à décloisonner les choses». C’est grâce à deux collaboratrices que l’entreprise a, par exemple, lancé des coachings en jardinage sous la forme de collections «capsules», comme dans la mode.

Le végétal toujours plus
important

S’il a longtemps occupé la place de parent pauvre dans le secteur de l’immobilier et de la construction, le végétal a acquis, ces dernières années, ses lettres de noblesse. «Auparavant, l’extérieur était secondaire, remarque Aude Jacquet Patry. Et puis il y a eu la Covid et les gens ont redécouvert leur maison et leur jardin. Nous avons beaucoup de demandes de réaménagement des espaces extérieurs. Les clients sont maintenant plus proactifs, ils veulent vraiment vivre leur jardin qu’ils considèrent comme une pièce en plus. Après des années de jardin minimaliste, on revient à une tendance beaucoup plus naturelle».
L’autre raison de cet engouement pour le végétal s’explique par la prise de conscience écologique et par la volonté des collectivités de planter un maximum d’arbres. Une démarche que salue la femme chef d’entreprise, tout en insistant sur l’importance du choix des végétaux, qui doivent être adaptés au lieu et au type de sol, et sur le rôle clef de l’entretien. En janvier 2022, la pépinière Jacquet obtenait le label «Le Bourgeon Bio Suisse», en complément des trois certifications suivantes: «Genève Région Terre Avenir» (GRTA), «Nature & Economie» et «Plantes suisses» pour les sujets de plus de deux mètres. «Nous proposons des plantes indigènes, de variétés et formes originales, ou des sujets isolés. Nous développons aussi les essences de demain que nous acclimatons et testons, afin d’anticiper les besoins et de répondre à l’évolution climatique».

Entrepreneur et mère de famille

A la gestion de l’entreprise, Aude Jacquet Patry ajoute celle de sa famille. «J’ai deux enfants, Tristan, 14 ans, et Camille, 13 ans, et j’ai bien sûr un troisième enfant qui est mon entreprise, résume-t-elle en souriant. Mais j’ai la chance d’être beaucoup aidée par mon mari. Je jongle comme toutes les mères qui travaillent et j’établis des priorités. Les vacances, par exemple, sont toujours réservées aux enfants. Pour arriver à concilier vie professionnelle et vie privée, il faut que les enfants se sentent bien, sinon ça ne marche pas». Bientôt la cinquième génération? «Ah non! Pour le moment, mon fils veut être trader et ma fille laborantine!».

Virginia Aubert