Ludovic Jordan.

/

La chronique de Me Ludovic Jordan - avocat en droit de la construction et de l’immobilier

Artisans et entrepreneurs: anticipez votre hypothèque légale!

2 Oct 2024 | Articles de Une

Les artisans et entrepreneurs ont le droit à l’inscription d’une hypothèque légale en garantie du paiement de leurs travaux (selon l’art. 837 al. 1 ch. 3 CC). Ce droit est généralement connu par les professionnels de la construction. L’hypothèque légale porte sur le bien immobilier sur lequel les travaux ont été exécutés. Lorsque les travaux sont effectués sur une propriété individuelle, telle qu’une villa, le bien qui doit être visé par l’hypothèque légale est clairement défini. Mais qu’en est-il en cas de travaux exécutés sur un bien détenu en copropriété ordinaire, sur un immeuble constitué en propriété par étages (PPE) ou sur une construction s’étendant sur plusieurs parcelles?

Afin de préserver son droit à l’inscription d’une hypothèque légale de manière efficiente, l’artisan ou l’entrepreneur doit – dans les cas de biens en copropriété ordinaire, de PPE ou de constructions sur plusieurs parcelles – anticiper une éventuelle inscription et prendre en compte la configuration du chantier dans le cadre de son suivi administratif et comptable.

Copropriété ordinaire

En cas de copropriété ordinaire, l’artisan ou l’entrepreneur a, en principe, le choix de faire inscrire son hypothèque légale sur la parcelle ou sur l’ensemble des parts de copropriété. Si elle est requise sur l’ensemble des parts de copropriété, l’hypothèque légale ne peut cependant pas être constituée comme un gage collectif, soit un gage unique grevant toutes les parts. En effet, la plus-value apportée par les travaux ne profite que pour partie à chaque part. Le montant de la facture impayée doit ainsi être réparti entre toutes les parts de copropriété, proportionnellement à leur valeur.
Néanmoins, la parcelle ne peut plus être grevée d’une hypothèque légale lorsque les parts de copropriété ont déjà été grevées de droits de gage ou de charges foncières.
Ainsi, dans le contexte d’une copropriété ordinaire, l’artisan ou l’entrepreneur peut tenir une comptabilité unique pour son chantier et émettre des demandes d’acomptes, des factures et un décompte final groupés.

Propriété par étages

En cas de propriété par étages, il convient préalablement de déterminer si les travaux ont porté sur une part d’étage ou sur une partie commune de l’immeuble. Pour des travaux portant sur une partie commune, l’artisan ou l’entrepreneur conserve le choix entre grever la parcelle ou répartir sa prétention proportionnellement entre les différentes parts de PPE, en fonction des millièmes qu’elles représentent. A l’instar de la pratique en matière de copropriété ordinaire, la parcelle ne peut plus être grevée lorsqu’une part de la PPE l’est déjà.
Pour des travaux portant sur une part de propriété par étages, l’hypothèque légale doit être demandée sur cette part uniquement, et seule cette part sera grevée.
Ainsi, dans le contexte d’une PPE, il incombe à l’artisan ou à l’entrepreneur de tenir une comptabilité séparée pour les parties communes et chaque partie privative et d’émettre des demandes d’acomptes, des factures et des décompte finaux distincts. Le fait que le prix soit fixé globalement n’importe pas.

Construction sur plusieurs
parcelles

En cas de travaux exécutés sur une construction s’étendant sur plusieurs parcelles, l’artisan ou l’entrepreneur doit établir précisément quelles prestations concrètes, en travail et en matériaux, ont été effectuées, et à quel prix, pour chaque parcelle. Il doit en effet demander l’inscription d’une hypothèque légale sur chaque parcelle en garantie d’une part de sa créance correspondant à la rémunération due pour les travaux effectivement exécutés sur cette parcelle.
Ainsi, dans le contexte d’une construction sur plusieurs parcelles, il incombe à l’artisan ou à l’entrepreneur de tenir une comptabilité séparée pour chaque parcelle, laquelle implique l’établissement de demandes d’acomptes, de factures et de décomptes finaux distincts. Le fait que le prix soit fixé globalement n’importe pas non plus.
L’artisan ou l’entrepreneur ne peut donc fractionner la totalité des coûts de ses travaux entre les différentes parcelles, ni répartir l’ensemble de ces coûts en fonction du nombre de métrés respectifs par parcelle. Des hypothèques collectives peuvent être exceptionnellement admises sur plusieurs parcelles, à certaines conditions que nous n’exposerons toutefois pas ici.

A chaque configuration juridique sa comptabilité

En conclusion, l’artisan ou l’entrepreneur serait inspiré d’examiner la configuration juridique de la ou des propriétés sur lesquelles des travaux lui sont confiés, afin de déterminer quel type de comptabilité il devra tenir (comptabilité globale, comptabilité séparée par part de PPE et parties communes, ou comptabilité distincte par pacelle).
Cette démarche, qui complexifie le suivi administratif et comptable d’un chantier, aura toutefois pour avantage de maximiser les chances de succès de l’obtention d’une hypothèque légale en cas de défaut de paiement du maître d’ouvrage, situation très courante en matière de construction. Sans cette démarche, le manque de précision dans le chiffrage des prétentions aboutira à un rejet de l’inscription – à tout le moins définitive – d’une hypothèque légale.

 

Ludovic JORDAN
Avocat associé au sein de PBM AVOCATS SA
ludovic.jordan@pbm.law