Les quatre vérités de Jean-Marc Vaudiau
Appropriation intellectuelle?
La défense jalouse de
son pré carré est vecteur
d’intolérance, à la mesure
d’un attachement
déraisonnable à sa propre
identité.
Plus d’une fois, on a vu jeter à la figure d’un artiste moderne l’accusation d’appropriation intellectuelle. Le terme est limpide: il désigne le fait de s’emparer de la propriété traditionnelle d’autres ethnies sans leur consentement. Cela inclut la musique, la mode vestimentaire, la coiffure, le folklore, l’art culinaire, la danse, la religion d’autrui. Bref, l’ensemble des codes culturels, voire des mœurs, qui ne nous sont pas propres.
Il est déjà fort compliqué de concevoir comment la propriété intellectuelle d’un individu peut être défendue; cela devient impossible lorsqu’il s’agit de pratiques culturelles collectives, venues de la nuit des temps et où les contours des emprunts sont mal définis. Peu importe, il s’agit ici de se poser en victimes d’un détournement de biens! D’un vol! Quoi qu’il en soit, ces emprunts ne sont pas perçus par leurs propriétaires comme un hommage à leur créativité, ni à leur pouvoir d’inspiration, mais comme un manque de respect. Ils se claquemurent dans une cristallisation identitaire et tout emprunt devient dès lors un détournement ludique ou un affront.
Dans la guerre actuelle contre l’universalisme, aucune culture n’aurait vocation à dépasser le cercle où elle est née, et la question s’impose: l’accusation d’appropriation intellectuelle vaut-elle lorsque ces emprunts sont faits par d’autres que par les Occidentaux? Que penser, par exemple, d’Internet, des ordinateurs, de l’anglais, du blue-jean ou des techniques médicales empruntés par les autres à notre culture occidentale? Qui serait assez stupide pour les interdire au-delà de notre propre cercle d’adhérents?
La défense jalouse de son pré carré est vecteur d’intolérance, à la mesure d’un attachement déraisonnable à sa propre identité, et cela gâche la vision de l’être humain qui pourrait se réjouir de ce qui le dépasse et qu’il trouve aussi ailleurs. Mais cette étroite susceptibilité, cette prolifération d’interdits, conduisent à penser que la liberté, c’était hier.