La chronique de Me Ludovic Jordan - avocat en droit de la construction et de l’immobilier
Achèvement des travaux et réception des travaux: une distinction essentielle
Lorsque des travaux de construction sont confiés à une entreprise, cette dernière a pour obligation principale de livrer l’ouvrage ainsi commandé, que ce soit un immeuble, une villa, une rénovation intérieure ou l’installation d’une pompe à chaleur. Cette livraison coïncide, du point de vue du maître d’ouvrage, à la réception de l’ouvrage. En pratique, cette réception est très souvent assimilée à l’achèvement des travaux. Or, la plupart du temps, ces deux phases ne sont pas simultanées et leurs effets sont bien distincts.
Il est essentiel pour les entreprises de bien comprendre la différence entre achèvement versus réception des travaux, pour diverses raisons que nous vous exposons.
L’avis d’achèvement
est indispensable
L’achèvement des travaux correspond au moment où tous les travaux constitutifs de l’objet du contrat d’entreprise ont été exécutés et que l’ouvrage est prêt à être livré et utilisable. Les travaux d’achèvement sont ceux qui doivent être exécutés selon le contrat d’entreprise et le descriptif de l’ouvrage, à l’exclusion des prestations qui n’entrent pas dans le cadre élargi du contrat. Sur le principe, des travaux de peu d’importance ou accessoires, ainsi que des réfections de défauts, ne peuvent être qualifiés de travaux d’achèvement.
En revanche, des travaux peu importants ou secondaires, toutefois qualitativement indispensables pour l’ouvrage, peuvent être considérés comme des travaux d’achèvement. Il en va ainsi notamment des travaux nécessaires pour des raisons de sécurité ou de conformité aux normes légales, quand bien même leurs coûts et le temps utile à leur réalisation ne seraient pas conséquents.
En cas de résiliation du contrat d’entreprise en cours de construction, l’achèvement des travaux est fixé à la date de la résiliation, et non à celle des derniers travaux exécutés avant la résiliation. Si l’entreprise est expressément requise de faire des travaux après la résiliation, le jour d’achèvement de ces travaux est déterminant.
Quels sont les effets de l’achèvement des travaux? Celui-ci marque le point de départ du délai légal péremptoire de quatre mois, imparti pour obtenir l’inscription (provisoire ou définitive) au Registre foncier d’une hypothèque légale de l’artisan ou de l’entrepreneur. Or, afin d’obtenir cette inscription auprès des tribunaux, la date d’achèvement des travaux doit être prouvée. Cependant, les moyens de preuve quant à cette date font généralement défaut, les entreprises ne documentant pas l’achèvement des travaux.
Les entreprises seraient donc inspirées de systématiquement adresser au maître d’ouvrage, dès la fin des travaux dans le sens défini précédemment, un avis d’achèvement écrit. Ainsi, en cas de procédure d’inscription d’une hypothèque légale, le jour du début du délai de quatre mois pourra aisément être prouvé et l’hypothèque légale être accordée. Un tel avis écrit est d’ailleurs expressément prévu par la norme SIA 118.
Le procès-verbal de réception n’est pas suffisant
La réception des travaux correspond pour sa part au moment où l’ouvrage est remis au maître d’ouvrage et vérifié par les parties, afin de déceler d’éventuels défauts. Cette réception a pour effet principal de transférer les risques au maître d’ouvrage et de faire partir le délai de prescription de cinq ans des droits issus de la garantie pour les défauts, qu’ils soient constatés lors de la vérification ou ultérieurement.
En général, la réception de l’ouvrage fait l’objet d’un procès-verbal, dans lequel les défauts constatés sont listés en vue de leur réfection par l’entreprise. Toutefois, bien que documentée, la réception de l’ouvrage ne prouve pas en soi la date d’achèvement des travaux.
En effet, la réception peut être différée de quelques jours, semaines ou mois, en raison de divers facteurs. A titre d’exemples, l’on mentionnera l’agenda respectif des parties ou une période de fermeture générale des chantiers. Il peut également s’agir de reporter la réception des travaux le temps que l’entreprise effectue des retouches sur des travaux achevés, compte tenu d’avis de défauts notifiés pendant la construction. Cette réception peut encore être ajournée en raison du refus par le maître d’ouvrage de recevoir sa construction achevée au vu de défauts avisés et considérés par ce dernier comme importants, voire majeurs, qui n’auraient pas encore été éliminés par l’entreprise en dépit d’un délai en ce sens.
Ce décalage temporel a pour effet de laisser s’écouler jusqu’à son terme le délai d’inscription d’une hypothèque légale, sans action concrète de la part de l’entreprise. Cet écoulement du temps est d’autant plus problématique que les situations dans lesquelles l’achèvement des travaux ne coïncide pas avec leur réception peuvent être conflictuelles et engendrer des retards ou des refus de paiements, nécessitant l’obtention d’une hypothèque légale. Or, il sera trop tard pour cela.
Documentez chaque étape
En conclusion, l’entrepreneur a tout intérêt à automatiquement formaliser l’achèvement des travaux par une trace écrite mentionnant sa date et à s’agender un délai de quatre mois pour, le cas échéant, requérir l’inscription d’une hypothèque légale. Passé ce délai, il sera vain pour l’entreprise de se fonder sur un procès-verbal de réception des travaux – qui a bien entendu son utilité propre – établi ultérieurement.
Ludovic JORDAN
Avocat associé au sein de PBM AVOCATS SA
ludovic.jordan@pbm.law
Voir aussi le Journal de l’Immobilier du 2 octobre, n°138,
«Artisans et entrepreneurs: anticipez votre hypothèque légale!»