L’ÉDITO DE JÉRÔME MARCHON
Trop tirer rompt la corde
L’histoire retiendra l’ironie: Carlos Tavares rejoint Carlos Ghosn – un temps respectivement n°2 et n°1 de Renault – au pied de la Roche Tarpéienne de l’industrie automobile. Celui qui prêchait la loi du plus fort dans une industrie automobile «darwinienne» vient d’en être la dernière victime. Le 1er décembre dernier, Carlos Tavares, l’intransigeant patron de Stellantis, a été rattrapé par ses propres théories sur la sélection naturelle des constructeurs automobiles.
Le scénario est digne d’une tragédie grecque. L’homme qui avait bâti sa réputation sur une gestion implacable, chef d’orchestre du sauvetage de PSA (2014), du redressement d’Opel (2017) et de la fusion avec Fiat-Chrysler (2021), s’est noyé dans son propre succès. Son empire aux quatorze marques est devenu un mastodonte ingouvernable, victime d’une concentration des pouvoirs excessive. Carlos Tavares s’est vu montrer la sortie par son Conseil d’administration.
Sa chute illustre les dangers d’un management fondé sur le culte de la performance à tout prix. Les chiffres racontent l’histoire d’une déconnexion progressive de la réalité du marché. Dans sa course effrénée à la marge, en pressant toujours plus les fournisseurs et poussant toujours plus haut les prix de vente, Stellantis a fini par perdre le contact avec sa clientèle. Les ventes se sont effondrées, les stocks ont gonflé et la trésorerie s’est tendue dangereusement. L’obsession de la rentabilité a engendré son propre poison.
Les failles du système Tavares se sont aussi cristallisées autour de deux erreurs managériales fatales: la nomination d’une directrice financière sans l’expérience nécessaire pour tirer la sonnette d’alarme et la purge du management américain de Chrysler/Jeep, déstabilisant la vache à lait du groupe. Pour ne rien arranger, Tavares a entretenu les tensions avec le gouvernement italien, ainsi qu’avec les syndicats de la Péninsule et américains au point de générer des bras de fer inextricables.
Le Conseil d’administration, longtemps séduit par les résultats exceptionnels, a fini par se réveiller brutalement. John Elkann, l’héritier de la dynastie Agnelli, actionnaire de référence, a tranché sans même préparer la succession. Un coup de poker risqué, qui laisse Stellantis dans l’incertitude, alors que l’industrie automobile traverse sa plus grande mutation.
Jérôme Marchon