L’ÉDITO DE JÉRÔME MARCHON
Faut-il dissocier l’oeuvre de l’artiste?

Elon Musk n’a pas fondé Tesla, mais il en a fait ce qu’elle est devenue: une référence mondiale de l’automobile électrique. Il a bâti une marque aussi puissante que clivante. Il en est devenu le visage, l’incarnation. À tel point qu’on ne sait plus toujours où finit l’homme et où commence l’entreprise. Et si c’était justement là le problème?
Tesla, pendant longtemps, c’était la voiture de ceux qui voulaient rouler autrement. Pas seulement rouler propre, mais rouler malin, rouler libre, rouler cool. Comme Apple dans les années 2000, la marque portait une image d’innovation et de progrès. En achetant une Tesla, on s’achetait aussi un peu de cette vision-là. Et puis, les tweets d’Elon Musk ont commencé à prendre plus de place que ses voitures. Il y a quelques années encore, il prônait la diversité, l’inclusion, l’ouverture. Mais depuis quelque temps, le discours a radicalement basculé.
Aujourd’hui, une simple vidéo promotionnelle de la nouvelle «Model Y» déclenche une avalanche de commentaires haineux. Non pas contre le produit, qui reste objectivement excellent, mais contre l’homme qui le représente. Et c’est là que tout s’emmêle: Tesla, c’est Musk. Musk, c’est Tesla. Et quand Musk dérape, Tesla carambole.
Prenez n’importe quelle autre marque automobile: VW, Mercedes, BMW, Toyota, Renault ou même Ferrari… Qui en connaît le patron? Personne ou presque. Mais Tesla? Demandez dans la rue, la réponse fuse. Cette hyper-personnification, voulue et assumée, a longtemps été un atout. Aujourd’hui, elle devient un boulet. Car les positions politiques de Musk choquent – particulièrement en Allemagne, un marché clef — et finissent par plomber l’image de l’entreprise. La bourse ne s’y trompe pas, les clients non plus: les ventes ralentissent, la valorisation plonge.
Ce qui est frappant, c’est cette impression d’assister à une chute programmée. Comme si l’arrogance et l’ego avaient pris le volant, reléguant au second plan l’ingénierie, la vision, l’envie de changer le monde. C’est peut-être ça, le plus troublant: voir un projet aussi ambitieux être tiré vers le bas par celui-là même qui l’a hissé au sommet.
Alors oui, la question revient, lancinante: faut-il séparer l’œuvre de l’artiste? Peut-on admirer la voiture sans cautionner l’homme? Et si ce n’est plus possible, qui a vraiment perdu? Musk? Tesla? Ou nous tous, qui cherchions à croire qu’un produit pouvait incarner quelque chose de plus grand?
Jérôme Marchon