Le télétravail peut contribuer à cliver la société avec d’un côté des «cols blancs», de l’autre des «cols bleus» et le risque de créer de nouvelles fractures sociales.

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société - Une étude de l’association Pro Persona

Télétravail: authentique progrès ou risque de perte de sens?

15 Jan 2025 | Articles de Une

Même s’il n’est pas nouveau, le télétravail est apparu, lors de la récente pandémie, comme une solution pour permettre à certaines entreprises de continuer leurs activités. Résultat: le télétravail a connu un nouveau et fort développement, avec d’indéniables avantages, mais aussi ses limites et même ses risques. Tel est l’objet de la récente étude réalisée par l’association Pro Persona *.

Lorsqu’il est contraint par une pandémie de type Covid-19, le télétravail est une solution pour poursuivre certaines activités économiques. S’il est proposé par l’employé, il lui procure une facilité et même un confort de vie. S’il est exigé par l’employeur, il peut convenir à certains, moins à d’autres…
Ce constat montre clairement que les intérêts ne convergent pas nécessairement. Ainsi ce qui est un avantage pour l’employeur peut être, en même temps, un inconvénient pour le télétravailleur. Et vice versa. Cela explique que l’usage du télétravail, tant sur le principe que dans ses modalités de mise en œuvre, ne fait pas l’unanimité.

Des avantages incontestables

Le télétravail a des avantages certains. En voici quelques-uns.
• Le télétravail permet d’éventuelles économies pour l’employeur: réduction des surfaces de bureaux, diminution des frais de déplacement et de restauration… Mais c’est aussi – et surtout? – un avantage pour le salarié dans la mesure où il lui évite le transport domicile-travail. C’est donc un gain de temps et d’argent, moins de fatigue et une empreinte carbone réduite d’autant.
• Le télétravail peut avoir pour conséquence une plus grande efficacité et productivité, à condition que le télétravailleur puisse exercer son activité dans de bonnes conditions (espace dédié, tranquillité…) et qu’il s’impose une réelle discipline personnelle. Le télétravail lui permet alors d’avoir une plus grande autonomie et donc responsabilité dans la manière de mener son activité.
• Le télétravail modifie le rapport au temps en apportant davantage de flexibilité et en permettant d’autres activités. Ainsi, il peut favoriser un meilleur équilibre de vie donnant à l’intéressé davantage de moments pour «penser» à lui: lecture, sport, vie spirituelle…
• Le télétravail permet à la personne de mieux aménager son temps en fonction des besoins de sa famille. Il facilite la disponibilité auprès des enfants et peut permettre au salarié, dans certaines circonstances, d’assumer son statut de proche aidant, ce qui n’est pas anodin dans un contexte de vieillissement de la population.
• Le temps gagné par le télétravail ouvre la possibilité d’un engagement plus large au service de la société, notamment la participation à la vie associative et civique.
• Le télétravail offre plus de liberté et d’espace au salarié pour construire un projet de vie ayant du sens à ses yeux. Il favorise les aspirations d’une nouvelle génération: vie plus simple, plus sobre, respectueuse de l’environnement et proche de la nature, avec des circuits courts et des relations de proximité.
• Le télétravail permet d’envisager de nouveaux modes de vie: quitter les grandes villes pour aller vivre à la campagne et ainsi permettre une répartition plus large de la population sur l’ensemble du territoire. Et pourquoi pas une redynamisation de certaines périphéries?

Des limites certaines

Le télétravail n’est pourtant pas sans limites, ni inconvénients, ni sans générer des problèmes.
Il n’est possible que pour une partie de la population, qui peut exécuter son travail derrière un écran. Les autres peuvent percevoir cette nouvelle possibilité comme une inégalité de traitement, voire une injustice à leur égard. Résultat: le télétravail peut contribuer à cliver la société avec d’un côté des «cols blancs», de l’autre des «cols bleus» et le risque de créer de nouvelles fractures sociales. La prise en compte de la disparité des situations et des questions d’équité ainsi posées est un défi à relever pour tout employeur.
Le télétravail partiel (un ou deux jours par semaine) offre beaucoup d’avantages. Mais dès que le télétravail tend à se généraliser, les inconvénients commencent à s’accumuler. Les relations, qu’elles soient au sein de l’entreprise ou non, par exemple avec les clients ou les fournisseurs, deviennent de plus en plus virtuelles. Et donc se détériorent: moins d’intérêt pour les collaborateurs, moins de sentiment d’appartenance (culture d’entreprise), moins d’esprit de service des clients, moins d’empathie et de solidarité. Cette distance peut avoir des conséquences sur le sérieux et la qualité du travail fourni.
Les réunions de travail à distance peuvent fonctionner, dans la mesure où elles sont courtes, avec un ordre du jour précis, sur des sujets techniques. En revanche, dès qu’il s’agit de créer un esprit d’équipe, de former une conscience et un engagement communs, de parler de stratégie, de valoriser le travail effectué, de gérer ou résoudre des conflits, il est malaisé de le faire à travers des écrans. Il est plus difficile de sentir les personnes lorsqu’on ne les a pas en face de soi. Il peut alors y avoir une perte considérable de qualité relationnelle, d’intelligence collective, donc de créativité et d’innovation.
De nombreux autres problèmes peuvent être générés par le télétravail: difficulté à intégrer et à former les nouveaux salariés, à faire grandir la cohésion d’un groupe autour d’un même projet; diminution des moments informels ou de gratuité (machine à café…); appauvrissement des relations interpersonnelles; inégalités entre salariés en fonction de leur vie personnelle (conditions matérielles de télétravail, situation familiale); insécurité des systèmes d’information et du secret professionnel; difficulté à superviser et à gérer les objectifs de productivité, à séparer vie privée et vie professionnelle. Sans compter les impacts négatifs de journées entières passées derrière un écran: sentiment de solitude; difficulté de concentration; négligence dans la tenue personnelle et dans l’hygiène de vie…
Ces inconvénients appellent des évolutions, voire des transformations marquantes. Ils constituent autant de défis à relever.

Un management à inventer

Pour l’employeur, il s’agit de concevoir et de mettre en place un management capable d’accompagner le salarié dans la mise en œuvre du télétravail, en explicitant clairement les avantages qu’il peut en tirer, mais aussi en contribuant à limiter ou résorber les inconvénients et à résoudre les problèmes que le télétravail peut générer dans le contexte propre de la vie du salarié.
Ce management est aujourd’hui à inventer dans le sens d’une plus grande proximité, d’une attention plus précise aux personnes pour compenser les mises à distance qu’entraîne le travail hors du bureau. Il s’agit également de développer un management qui réoriente sans cesse le télétravailleur vers le bien commun auquel son travail contribue. Le management doit faire en sorte de renforcer la dimension collective, qui tend à se réduire dans le télétravail.
Le télétravailleur a besoin de voir l’utilité et le sens de son travail. Pas évident, car le télétravail, s’il éloigne les personnes, peut aussi éloigner du résultat du travail lui-même et rendre ainsi le travail effectué plus «transparent» aux yeux des autres et, en définitive, aux yeux de celui qui le fait, au point d’en faire disparaître le sens.
Le télétravail a des exigences propres qui requièrent du télétravailleur des aptitudes personnelles plus affirmées. Ce dernier doit être capable de s’autodiscipliner, d’accomplir son travail et d’assumer ses responsabilités dans une plus grande autonomie. Cela implique une solide maturité et une sérieuse motivation personnelle à l’égard du travail, en ayant intégré qu’il s’agit d’une mission qu’il doit accomplir au mieux. D’où le besoin d’avoir une formation spécifique au télétravail.
C’est certain, le télétravail est une nouvelle forme d’organisation du travail. Mais cela ne suffit pas. De multiples défis appellent un discernement éthique et un approfondissement de type anthropologique sur le rapport fondamental de la personne à son travail, à son employeur et au bien commun auquel il contribue.

 

Michel Levron – Paris

* Pro Persona développe, dans un but non lucratif, une mission d’intérêt général à caractère scientifique, en contribuant à une recherche fondamentale et appliquée en faveur d’une finance au service de l’économie et une économie au service de la personne humaine. Elle s’adresse à un public large: acteurs de la vie économique et financière, enseignants et étudiants. www.propersona.fr

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