L’AOP du cardon épineux de Plainpalais, spécialité genevoise par excellence, fête ses 20 ans et se porte à merveille

Le cardon, un légume
emblématique de Genève

Le cardon, légume au riche passé, occupe une place spéciale dans l’histoire culinaire genevoise. Connu des Grecs et des Romains, ce légume sauvage a évolué au fil des âges grâce aux sélections expertes des horticulteurs romains, devenant ainsi une délicatesse adaptée aux diverses zones de production. Les débats botaniques autour de son origine ont animé les esprits, l’hypothèse la plus probable pointe vers un ancêtre commun de l’artichaut et du cardon: le cardon sauvage méditerranéen.
Mais qu’en est-il de sa présence à Genève? Une révélation de l’historienne Isabelle Brunier a ébranlé cette croyance de l’apport initial par les huguenots en dévoilant des documents datant du XVIe siècle attestant de la présence précoce du cardon dans les mets genevois. Les menus anciens de 1566, détaillant le festin offert à un duc, comprennent non seulement des mets exquis tels que chapons, grives et truites cuites au vin, mais également des cardons. Cultivé initialement à Plainpalais, son expansion s’est poursuivie après la révocation de l’Edit de Nantes en 1685, avec l’arrivée de nouveaux émigrés huguenots.

Les 20 ans de l’AOP du «meilleur légume au monde»

L’Appellation d’Origine Protégée (AOP) du cardon épineux genevois représente un jalon significatif dans l’histoire des légumes en Suisse. Cette distinction est réservée à la variété locale du «cardon épineux argenté de Plainpalais», fruit d’une sélection minutieuse qui a abouti à une caractéristique unique et précieuse. Gérant le cahier des charges de l’AOP et entretenant des relations étroites avec les producteurs genevois, l’association CYNARA, dont le nom signifie cardon en grec, veille à la préservation de cette appellation.
Les producteurs sont responsables de la sélection de leurs semences et suivent des règles strictes consignées dans un cahier des charges pour le blanchiment, la conservation et le temps de cuisson du légume protégé. Sa culture exige un travail considérable et offre un rendement modeste, avec seulement 1.8 kg transformés pour chaque 10 kg récoltés. De plus, le processus de production reste largement manuel. Ainsi, les 20 ans de l’AOP du cardon épineux genevois soulignent non seulement son excellence, mais aussi l’engagement constant des maraîchers à maintenir les normes de qualité qui font de ce légume une véritable fierté genevoise.
Pour Jean-Marc Vuillod, président de l’association CYNARA et cultivateur de cardons, «Genève possède tout simplement le caviar du légume. Le cardon, c’est aussi Noël et les moments festifs. Il est plein de fibres et peu calorique, si on omet qu’il est souvent compensé par les autres éléments du traditionnel gratin». et de conclure: «On l’aime et on en voulait, mais pour que ça perdure, il faut avoir la foi».

La fiche du cardon épineux

Le goût du cardon (Cynara cardunculus L.) s’apparente à celui d’autres espèces de la famille des artichauts et des topinambours. Cette caractéristique s’explique par la présence d’une forme particulière de sucre, l’inuline, tolérée par les diabétiques, car les enzymes indispensables à son hydrolyse font défaut chez l’homme. Comme pour la plupart des légumes frais, l’apport énergétique du cardon ne dépasse pas 20 calories pour 100 grammes. Mais sa richesse en eau et en fibres lui confère un excellent pouvoir rassasiant. Le cardon se distingue par sa richesse en potassium, magnésium et calcium.
A Genève, quatre générations de producteurs produisent environ 80 000 pieds de cardon, une donnée qui est restée identique depuis des décennies. Planté en mai, il est récolté dès septembre pour être blanchi. L’ensemble des 250 tonnes produites annuellement sont entièrement écoulées.

Jean-Marc Bessire et les Chef’s Goutatoo: des ambassadeurs du terroir

Une équipe de 17 cuisiniers liés tout autant par l’amour de la bonne cuisine que par une amitié sincère ont lancé depuis une quinzaine d’année les Chef’s Goutatoo. Leur slogan, «pour le bon goût, par le bon goût», illustre bien leur volonté de mettre leurs compétences au service de la bonne cuisine, d’échanger sur leurs pratiques et leurs trouvailles de produits locaux. Un rôle crucial d’ambassadeurs du terroir.

«Pour le bon goût,
par le bon goût»

A Thônex, Jean-Marc Bessire, chef du restaurant étoilé Le Cigalon et membre fondateur des Goutatoo, a fait sa réputation en sublimant les produits de la mer. Il attache toutefois un soin tout particulier à se fournir autour de lui et de saison pour le reste des ingrédients qui composent sa carte. «Nous avons besoin des produits de qualité des producteurs locaux, tout comme ils ont besoin de nous comme ambassadeurs. Je cherche systématiquement à donner de la visibilité à mes coups de cœur genevois sur ma carte». Il ajoute: «Ma philosophie c’est la mer, mon clin d’œil c’est la diversité des produits qu’offre Genève».
Depuis de nombreuses années, le cardon est systématiquement associé à ses plats hivernaux et ce mariage terre et mer rencontre un vif succès auprès de la clientèle. Parfois marié avec de la truffe, le noble légume est aussi souvent coupé en dés d’un millimètre, en petite brunoise. Associé avec de la courge butternut, il sera mouillé avec du fumet de poisson. Revenu avec un filet d’huile d’olive, à la manière d’un risotto, ce ragoût de cardon, servira de base sur laquelle on déposera merlu, fera ou autre rouget.

Joël Lucas