Le Tribunal fédéral rappelle dans son arrêt que le bail est un contrat qui n’oblige les parties contractantes que jusqu’à l’expiration de la durée prévue.

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LA CHRONIQUE JURIDIQUE de Me Patrick Blaser - Résiliation de bail

Besoins propres du bailleur: exigences assouplies

30 Oct 2024 | Articles de Une

En date du 24 novembre 2024, le peuple suisse devra, notamment, se déterminer sur une modification du droit du bail. Cette modification vise à assouplir les conditions devant permettre à un bailleur de résilier un bail lorsqu’il a besoin des locaux loués pour son propre usage (besoins propres du bailleur). Cela étant et indépendamment de cette votation, le Tribunal fédéral a récemment rendu un arrêt qui porte précisément sur cette question.

Dans cet arrêt du 6 août 2024 (ATF 4A_70/2024), le Tribunal fédéral a manifestement anticipé la votation à venir, puisqu’il a jugé dans le cas d’espèce qui lui était soumis qu’il fallait effectivement assouplir les exigences à propos des «besoins propres» invoqués par un bailleur à l’appui de la résiliation d’un bail.

Besoins propres du bailleur:
quels effets?

En matière de contrat de bail, le bailleur peut invoquer ses besoins propres dans trois cas différents:
• Lorsque le bailleur vient de devenir propriétaire d’un bien immobilier; dans ce cas, le bailleur peut résilier le bail dans les délais légaux, c’est-à-dire sans attendre l’échéance contractuelle.
• Lorsque le bailleur se trouve en litige judiciaire avec le locataire ou dans la période de trois ans qui suit la fin de ce litige; dans ce cas, le bailleur peut résilier le bail à la condition d’établir ses besoins propres, étant précisé qu’à défaut le congé est nul.
• Lorsque le locataire demande une prolongation de son bail suite à sa résiliation; dans ce cas, le bailleur peut faire valoir son intérêt à ce que la prolongation du bail soit la plus courte possible, compte tenu de ses besoins propres.
Dans ce cadre, la loi exige, à rigueur de texte, que le bailleur prouve que les besoins propres qu’il invoque sont urgents. A défaut d’urgence, la résiliation pourrait être purement et simplement annulée.

Ces effets ne sont-ils toutefois pas trop drastiques?

C’est précisément pour pallier ces effets que le législateur a décidé de modifier les exigences relatives aux besoins propres invoqués par le bailleur, en renonçant expressément à la condition de «besoin urgent» pour la remplacer par celle de «besoin important et actuel». La nuance est de taille! Et c’est l’un des enjeux de la votation du 24 novembre 2024.
Cela étant, le Tribunal fédéral, dans son arrêt du 6 août 2024 a, par anticipation, déjà fait sien cet assouplissement de la notion du besoin propre invoqué par le bailleur à l’appui de la résiliation d’un bail.

Banque: besoin des locaux loués

L’affaire jugée par le Tribunal fédéral concerne une banque qui a mis en location, dans son immeuble où se situe l’une de ses agences, un local commercial en faveur d’un magasin d’optique, ainsi que deux logements.
Pour des questions de stratégie (nouveaux besoins de la clientèle, amélioration de la sécurité), la banque a décidé de regrouper plusieurs de ses agences dans son immeuble. Un audit avait notamment mis en exergue des failles dans la sécurité de différentes agences. Par ailleurs, la banque a mandaté un bureau d’architectes pour établir une étude de faisabilité du projet et l’estimation des coûts de construction.
Le projet consistait à créer dans l’immeuble de la banque un centre de compétences et à y regrouper plusieurs agences, ce qui nécessitait de pouvoir disposer de l’intégralité de l’immeuble, y compris les locaux loués à des tiers. La maison-mère de la banque a donné son aval pour la réalisation du projet et autorisé la résiliation du bail du magasin d’optique, ainsi d’ailleurs que des deux logements.
Dans ces circonstances, et après en avoir discuté avec ses différents locataires, la banque a résilié les baux des deux appartements et celui du magasin d’optique pour leur échéance contractuelle respective. Parallèlement, la banque a présenté son projet aux autorités communales, commandé diverses études et lancé un concours d’architecture pour la transformation de son bâtiment.
De son côté, l’exploitant du magasin d’optique a déposé une requête judiciaire concluant principalement à l’annulation de la résiliation et, subsidiairement, à une prolongation de son bail.
Il convient de relever que le bailleur n’a pas déposé de demande d’autorisation de construire, ni avant ni même pendant la procédure.
Malgré cela, les juridictions cantonales ont admis la validité du congé notifié par la banque, après avoir reconnu que les besoins invoqués par le bailleur étaient réels, et accordé une prolongation unique de bail pour une durée de deux ans.
Le locataire a dès lors saisi le Tribunal fédéral, en persistant à demander l’annulation de la résiliation de son bail au motif que les besoins propres invoqués par le bailleur n’étaient pas établis.

Résiliation du bail: bonne
foi exigée!

A titre préalable, le Tribunal fédéral rappelle dans son arrêt que le bail est un contrat qui n’oblige les parties contractantes que jusqu’à l’expiration de la durée prévue. Il en découle que pour le terme du contrat, chaque partie a la faculté de le résilier, de le reconduire ou d’en conclure un nouveau.
Par conséquent, chaque partie à un contrat de bail de durée déterminée ou indéterminée peut librement résilier le bail pour l’échéance convenue lorsque le bail prévoit qu’il est tacitement renouvelable.

En particulier, le bailleur peut
résilier le bail:

• pour pouvoir reprendre possession des locaux et les utiliser lui-même;
• pour effectuer des travaux de rénovation;
• ou pour des raisons économiques.
Cela étant, cette liberté contractuelle de résilier le bail doit respecter le principe de la bonne foi. Lorsque la résiliation contrevient aux règles de la bonne foi, cette résiliation peut être annulée par un tribunal saisi d’une contestation de la résiliation.
Pour rappel, une résiliation de bail est en général contraire aux règles de la bonne foi:
• lorsqu’elle ne répond à aucun intérêt objectif, sérieux et digne de protection;
• lorsqu’elle apparaît comme étant purement chicanière;
• lorsque le motif invoqué ne constitue manifestement qu’un prétexte;
• lorsque la motivation du congé est lacunaire;
• lorsque la résiliation consacre une disproportion grossière entre l’intérêt du locataire au maintien de son bail et celui du bailleur à y mettre fin.
Pour apprécier si le congé donné est contraire, ou non, aux règles de la bonne foi, il faut se placer au moment où le congé a été notifié. Des faits survenus ultérieurement ne sont pas susceptibles d’influer a posteriori sur cette qualification.
Les faits postérieurs peuvent toutefois permettre d’établir les intentions du bailleur au moment de la résiliation. En principe, le congé donné par le bailleur pour pouvoir occuper lui-même les locaux loués (logements ou commerces) n’est en soi pas contraire à la bonne foi.
Il ne l’est pas non plus, même si la résiliation:
• entraîne des conséquences pénibles pour le locataire;
• lèse davantage les intérêts du locataire qu’elle n’a d’intérêt pour le bailleur.
La pesée des intérêts respectifs du bailleur et de son locataire n’intervient, cas échéant, qu’au stade de l’examen de la prolongation de bail.

Le 24 novembre 2024, le peuple suisse devra, notamment, se déterminer sur une modification du droit du bail, ce qui devrait permettre à un bailleur de résilier un bail lorsqu’il a besoin des locaux loués pour son propre usage.

Besoins propres du bailleur: réels?

Dans le cadre d’une notification donnée par le bailleur au motif que ce dernier entend reprendre la disposition de ses locaux pour ses propres besoins, il convient de déterminer, sous l’angle de la validité du congé donné, si le motif avancé par le bailleur est réel ou ne constitue qu’un simple prétexte. C’est-à-dire, dans ce dernier cas, qu’il ne correspond à aucun réel besoin du bailleur de pouvoir récupérer ses locaux.
Dans ce contexte, il est possible pour le locataire de tirer argument de l’impossibilité à laquelle se heurterait un projet de travaux de transformation de l’immeuble en vue de satisfaire ses besoins propres.
Dans ce cadre, le locataire peut établir, le cas échéant, que le projet de travaux du bailleur est manifestement contraire aux règles de droit public, de telle sorte que l’autorité ne pourra pas délivrer l’autorisation de construire demandée par le bailleur.
Il incombe au locataire d’apporter la preuve de l’impossibilité pour le bailleur de pouvoir obtenir l’autorisation de construire nécessaire.
Si cette preuve est rapportée, le besoin propre invoqué par le bailleur ne sera pas validé par le tribunal, qui considérera que le besoin propre avancé par le bailleur n’est qu’un prétexte pour résilier le bail et annulera cette résiliation. Cela étant, le bailleur ne peut invoquer ses besoins propres à l’appui d’une résiliation de bail que s’il établit qu’il a un véritable besoin des locaux loués pour sa propre activité.
En revanche, il ne peut pas invoquer ses besoins propres lorsqu’il a seulement l’intention d’effectuer des travaux de rénovation, d’assainissement ou de transformation, même si ceux-ci nécessitent que le locataire quitte les lieux. Dans ce dernier cas, le bailleur doit résilier le bail au motif de ces travaux et non de ses besoins propres. En clair, seuls les besoins propres du bailleur, au sens strict du terme, peuvent être invoqués à titre de besoin par le bailleur et non pas les travaux envisagés relatifs à ses besoins.
Appliqués au cas d’espèce, ces principes ont conduit le Tribunal fédéral à éconduire le locataire et à confirmer que le congé donné par la banque reposait bien sur ses besoins propres effectivement établis, à savoir le projet réel du bailleur de pouvoir regrouper ses agences bancaires dans l’immeuble en question, ce qui était incompatible avec le maintien des locataires dans ses locaux.
Par ailleurs le fait que le bailleur n’avait pas encore déposé de demande d’autorisation de construire n’était pas de nature à écarter le caractère urgent des besoins propres invoqués par le bailleur!
S’agissant de la prolongation de bail, le Tribunal fédéral a confirmé celle fixée à deux ans par la justice cantonale, au double motif que le besoin invoqué par le bailleur était effectivement urgent et que le locataire pouvait aisément trouver d’autres locaux au centre même de la même ville.
Il ressort par conséquent de l’ensemble de cet arrêt que le Tribunal fédéral a d’ores et déjà assoupli ses exigences en matière de besoins propres urgents invoqué par le bailleur à l’appui de la résiliation d’un bail.

 

Patrick Blaser
Avocat associé de l’Etude
Borel & Barbey, Genève
Juge assesseur au Tribunal
administratif de première instance
patrick.blaser@borel-barbey

Patrick Blaser.