culture - Exposition consacrée à André Bucher
Un art volcanique
André Bucher, peintre et sculpteur genevois de renommée mondiale, a consacré cinquante années de sa vie à son art. Tel un volcan en éruption, il ne s’est jamais arrêté de créer. Une exposition au Centre culturel du Manoir rend hommage à ce Colognote – qui aurait fêté ses 100 ans en 2024 – et à son œuvre impressionnante. Fruit d’une synergie familiale, l’exposition nous plonge dans un univers symbolique qui marque la réconciliation entre l’homme, la nature et la création.
André Bucher fut le premier et le seul, avec son expédition, à gravir les flancs des volcans en éruption, pour puiser la lave en fusion, source originelle du monde, «matière de la matière», comme il aimait la désigner. La lave recèle un potentiel artistique sans limites; elle devient une source d’inspiration inépuisable pour l’artiste. On la retrouve dans ses sculptures associées au bronze, à l’inox, à l’aluminium et au plexiglas. Il parfait son art avec des dessins puissants, rouges et noirs et des peintures à la technique du craquelé, qu’il développe et dont il devient le maître.
Bouillonnement permanent
En 1975, André Bucher rencontre le vulcanologue Haroun Tazieff sur un plateau de télévision; c’est le déclic pour le sculpteur genevois, l’ouverture vers un nouvel univers qui correspond à son caractère fougueux et entier: la lave. Puiser aux sources de la vie, plonger dans la matrice terrestre pour en retirer la matière originelle en fusion puis la sculpter, ce défi insensé le séduit. La perspective l’anime de travailler deux matières – la lave et le bronze – si différentes, mais dont le point de fusion est proche. Il met sur pied une première expédition composée de six personnes et d’un cinéaste: ils partent à l’assaut des flancs de l’Etna qui vient alors d’entrer en éruption en mars 1976.
André Bucher imagine des outils capables de résister à la température de la lave en fusion et à la corrosion des gaz. Equipés de tenues ignifugées empruntées aux pompiers de l’aéroport de Genève, l’expédition réalise son objectif, soit saisir la matière incandescente, la couler dans des moules et réaliser des œuvres d’art. «Le travail de la lave en fusion était complexe, les outils fondaient ou se corrodaient, le plexiglas prenait feu et il n’y avait pas d’eau pour l’éteindre, raconte à son retour l’artiste. Nous devions être extrêmement vigilants face aux projections de lave du monstre en furie: de fameuses bombes volcaniques projetées à plusieurs centaines de mètres de haut et qui retombaient au hasard. Il fallait aussi se méfier des gaz mortels ou des coulées de lave qui ne prenaient pas le chemin escompté. Enfin, les flancs du volcan pouvaient s’ouvrir à tout moment en créant de nouvelles coulées et nous piéger». C’est probablement pour toutes ces raisons qu’André Bucher est resté l’unique sculpteur, à notre connaissance, à avoir bravé ces dangers pour aller au bout de sa folle passion.
Le Spiral orne l’entrée de la manufacture Patek Philippe.
Entre rouge et noir
Par ailleurs, la découverte de la lave incite André Bucher à la représenter dans son art pictural. Le rouge évoque la lave et le noir le bronze ou l’aluminium, mais parfois aussi l’inverse: la lave sera alors noire et les métaux rouges. Cela dépendra de l’importance des matières dans la représentation, de l’humeur du moment ou de la perception de la lave solide ou en fusion. Pour ce faire, diverses techniques sont utilisées comme l’encre de chine, l’hématite de crayon, la peinture, la gouache ou le fusain.
L’intensité du craquelé
Au début des années 1990, l’artiste décide de donner une nouvelle vie à ses tableaux en laissant la nature agir comme avec la lave. D’essais en essais, il réussit à créer le craquelé qu’il introduit dans ses œuvres. André Bucher mélange des composants aux réactions chimiques; cette technique, lorsqu’elle sèche, va développer de manière imprévisible mille figures géométriques.
Dans un premier temps, il travaille des compositions de «craquelés» noir sur noir puis sur les quatre couleurs fondamentales. Le thème des saisons est souvent abordé, mais aussi les formes originelles et les éléments. En 1994, des couleurs plus vives commencent à envahir ses toiles. Comme à son habitude, il n’hésite pas à sortir de la deuxième dimension pour intégrer dans ses tableaux des objets en bois, des collages, des câbles, de la lave, voire des outils comme une clef à molette.
Malgré l’incendie qui ravagea son atelier à Choulex en 1997 et la disparition de nombreuses œuvres et archives, André Bucher s’est relevé. Il n’a jamais abandonné, créant de plus belle dans son nouvel atelier à Chêne-Bourg. Il s’y est rendu tous les jours, jusqu’à ses 85 ans… suivant ainsi l’un de ses thèmes de prédilection: l’éternel recommencement.
Véronique Stein
GROS PLAN
Equilibre et dualité
Plus de quarante œuvres magistrales d’André Bucher ornent des lieux à Genève. Retenons Le Spiral, sculpture en inox au siège de la manufacture Patek Philippe à Plan-les-Ouates, qui évoque l’une des pièces mécaniques essentielles entrant dans la composition d’un mouvement horloger. La Matière de la Matière trône devant le CERN, mettant en scène l’idée de cycle permanent. Energie Ancestrale, en inox et lave, orne l’entrée du siège des Services Industriels de Genève. L’Infini en bronze signale la Clinique de la Colline. Progression domine le terminus de bus à la douane de Veyrier. Un
relief, autrefois propriété de la banque Paribas, anime désormais le mur de la Voie verte. Ce foisonnement de créativité se retrouve ailleurs en Suisse et à l’étranger, apportant partout une touche d’originalité.
Informations:
Centre culturel du Manoir
4, place du Manoir
1223 Cologny
Exposition du 31 octobre
au 8 décembre 2024.
Vernissage le
mercredi 30 octobre 2024
à 18 h 30
Horaires: du mardi
au vendredi, 16 h – 19 h;
samedi et dimanche, 14 h – 18 h.
La famille d’André Bucher sera présente durant les week-ends.
Une rencontre littéraire aura lieu le jeudi 14 novembre 2024 avec les écrivains Esther Rothenberg et Olivier Rigot.