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LECTURES - Sélection automnale

Trois livres, trois ambiances pour la rentrée

25 Sep 2024 | Culture, histoire, philosophie

L’automne arrive peu à peu avec ses envies de retour au temps pour soi et à la lecture. L’invitation au jardin, l’éternelle relation entre maîtres et serviteurs, le bonheur d’un immigré en Suisse…

Petit traité du jardin ordinaire

Un lieu de beauté et de poésie, mais aussi un lieu qui exige un sacré travail, des courbatures, des maux de dos, des désillusions, des colères. Pour Anne Cauquelin, le jardin est un être étrange et fascinant, tour à tour ou plutôt tout à la fois émerveillant et agaçant, qu’il s’agit de saisir et d’accepter dans sa réalité. «Objet de soins quotidiens, explique-t-elle dans ce petit livre agréable, le jardin est avant tout d’un usage ordinaire. Ni phrases ni périphrases, le jardin s’impose comme un fait – ce qui se fait ou doit se faire, le ménage ou la cuisine. Son aspect doit flatter le propriétaire, tout comme la tenue de sa maison. Il entre dans la liste des contraintes domestiques au même titre que le lavage de la voiture. Soigner son jardin, arroser ses plantes, enlever les mauvaises herbes, des tâches répétitives, quotidiennes, quelquefois pesantes».
Exigeant, fatigant, parfois ennuyeux, le travail du jardin est pourtant une source intense de plaisir et de créativité, au point qu’il est désormais pratiqué un peu partout, y compris dans les grands ensembles locatifs au cœur des villes, sur les terrasses et les balcons. Les parfums, les fleurs, les couleurs, le goût de la terre et l’ouverture sur le ciel, le sentiment doux et rassurant de la communion avec la nature… Chaises, tables, bancs, vases, statues, cabanes, lampes, fontaines: le jardin est une sorte de fourre-tout bienveillant qui peut tout accueillir et tout mettre en harmonie selon le bon plaisir de son propriétaire. Un espace de liberté qui aide à respirer.

Petit traité du jardin ordinaire,
par Anne Cauquelin,
Editions Rivages Poche

Servir les riches

Sociologue et chercheuse, Alizée Delpierre s’est intéressée, pour son sujet de thèse, à un thème fascinant mais si troublant qu’il en est tabou: les relations entre les hyper-riches et leurs domestiques. Adepte de l’observation participative, elle a même travaillé pendant des années comme domestique dans une famille fortunée à Paris. Son livre est passionnant, comme une porte d’entrée dans un monde interdit qui vit selon ses propres règles, ses usages venus du fond des âges, ses rituels, ses codes.
Une sensibilité plutôt de gauche, un regard rigoureux et pénétrant, Alizée Delpierre observe et analyse cette étrange cohabitation «socialement improbable» qui s’établit et se renouvelle jour après jour, du matin au soir, dans l’espace si intime de la maison, entre les hyper-fortunés et ceux qui les servent. Gouvernantes, majordomes, femmes de chambre et de ménage, lingères, nannies, cuisiniers, chauffeurs: c’est tout un personnel nécessaire et même vital, mais invisible de l’extérieur, qui s’affaire derrière les baies vitrées ou les murs clos des grandes propriétés et des résidences de luxe.
Les domestiques sont-ils exploités et malheureux? Sont-ils tentés par la rébellion et la révolte? Pas du tout, explique Alizée Delpierre; la plupart sont au contraire
satisfaits de leur sort, car ils sont généralement traités avec beaucoup de respect et sont bien, voire très bien payés. Mais cette espèce de cohabitation tranquille et apparemment mutuellement profitable, les hyper-riches étant fiers de leurs domestiques et les domestiques fiers de leurs employeurs (leurs maîtres), ne peut masquer vraiment ni faire oublier un rapport de domination qui ne s’efface jamais. Les règles sont implicites, mais parfaitement connues de part et d’autre: l’hyper-riche doit être attentif et humain, au risque de dériver dans le paternalisme et la condescendance, il doit aussi lâcher quelques mots de courtoisie et faire de petits cadeaux de temps en temps, tandis que le domestique doit être aimable et travailleur, prévenant et minutieux, sérieux et irréprochable.
Ce n’est plus la lutte des classes, mais ça y ressemble étrangement…

Servir les riches,
par Alizée Delpierre, Editions La Découverte

Giacomo

Une vie, celle de Giacomo, né dans les Pouilles et immigré en Suisse dans les années 60; un lieu, le fameux restaurant du Raisin, à Cully/VD, et une région enchantée, le Lavaux. C’est tout ce monde qui vit dans ce livre de Christine Chessex-Viguet. Elle a recueilli les souvenirs de Giacomo, sommelier puis maître d’hôtel du Raisin, le restaurant de la famille Gauer qui n’a cessé de recevoir aussi bien les gens de la région que les stars et les célébrités du monde entier.
Giacomo raconte son bonheur en Suisse, sa découverte des grands vins, sa passion de la cuisine, son goût des rencontres simples avec des hôtes célèbres: Saddrudin Aga Khan, David Niven, James Mason, Sean Connery (qui a cassé une lampe en se levant de sa chaise), le roi de Suède, le roi d’Italie Victor Emmanuel…
«Giacomo est la mémoire vivante de l’Auberge, confie son propriétaire actuel, Jean-Jacques Gauer. Il se souvient de tout, Wikipédia ne lui arrive pas à la cheville. J’ai eu la chance de travailler avec lui pendant de nombreuses années, c’est impossible de ne pas l’aimer».

Giacomo, Le goût de l’olive et du Raisin,
par Christiane Chessex-Viguet, Editions Favre

 

Robert Habel